et des pinces cruelles, On mord Les arteres du coeur et les nerfs des cervelles Pour en scruter la vie ample et dedalienne; Et c'est enfin La-bas, au bord d'un lac, ici, pres d'un ravin, Un tel acharnement A delier la terre ancienne De l'etreinte innombrable et compacte du temps, Que ce qui fut la vie et la mort millenaires Et les faunes des eaux et les faunes des bois Et les hommes hurlant sous les premiers tonnerres, Tout apparait enorme et minime a la fois. Ainsi l'apre science et la recherche sure Tirant de l'univers les lois et les mesures Dedient aux penseurs purs leurs taches graduees; Et les grappes des faits et des preuves sans nombre Melent leurs feux precis aux feux melanges d'ombres Que les hauts constructeurs empruntent aux nuees. Descartes et Spinoza, Leibniz, Kant et Hegel, Vous, les cerveaux armes pour unoeuvre eternel, Dites, en quels etaux de logique profonde, Vous enserriez le monde Pour le ployer et le darder vers l'unite? Chacun de vous plantait la fixite Des merveilleux concepts et des fortes methodes, Dans les pourpres vapeurs que le reve echafaude; Tout y semblait prevu, magnifique et complet; Mais tout a coup vos plans l'un sur l'autre croulaient; Du fond des horizons, d'autres ombres roulaient Et de neuves clartes trouaient la brume epaisse, Comme autant de chemins, vers quelque autre synthese. L'oeuvre nouvelle a peine illuminait les yeux, Qu'une autre encor aussi puissante et aussi claire Melait sa feerie a la splendeur solaire; Toutes tremblaient dans le brouillard dore des cieux, Ramifiant jusqu'au zenith leurs harmonies, Puis s'en allaient en s'ecroulant, Tenebreuses et solitaires, A mesure qu'apparaissaient sur terre, De nouveaux abstracteurs et de recents genies. ï ces batailles d'or entre ces dieux humains! Et quel fervent eclair ils lancaient de leurs mains Quand leur vaste raison, heroique et profonde, Saccageait l'infini et recreait le monde! Ils tressaient le multiple et ses branches dardees En guirlande innombrable, autour de leur idee; Et le temps et l'espace, et la terre et les cieux, Tout se nouait, avec des liens judicieux, Depuis l'humble vallon jusqu'aux ardentes cimes, De bas en haut, a chaque etage des abimes Et qu'importe que leuroeuvre fait de nuages, Au vent toujours plus froid des siecles et des ages, Desagrege l'orgueil geant de ses sommets? Ne sont-ils point admirables a tout jamais, Eux qui fixaient a leurs fleches d'argent pour cibles Les plus hauts points des problemes inaccessibles, Et qui portaient en eux le grand reve entete D'emprisonner quand meme, un jour, l'eternite, Dans le gel blanc d'une immobile verite? La Louange du corps humain Dans la clarte pleniere et ses rayons soudains Penetrant jusqu'au coeur des ramures profondes, Femmes dont les corps nus brillent en ces jardins, Vous etes des fragments magnifiques du monde. Au long des buis ombreux et des hauts escaliers, Ouand vous passez, joyeusement entrelacees, Votre ronde simule un mouvement espalier Charge de fruits pendus a ses branches tressees. Si dans la paix et la grandeur des midis clairs L'une de vous, soudain, s'arrete et plus ne bouge, Elle apparait debout comme un thyrse de chair Ou flotterait le pampre en feu de ses crins rouges. Lasses, quand vous dormez dans la douce chaleur, Votre groupe est semblable a des barques remplies D'une large moisson de soleil et de fleurs Qu'assemblerait l'etang sur ses berges palies. Et dans vos gestes blancs, sous les grands arbres verts, Et dans vos jeux noues, sous des grappes de roses, Coulent le rythme epars dans l'immense univers Et la seve tranquille et puissante des choses. Vos os minces et durs sont de blancs mineraux Solidement dresses en noble architecture; L'ame de flamme et d'or qui brule en vos cerveaux N'est qu'un aspect complexe et fin de la nature. Il est vous-meme, avec son calme et sa douceur, Le beau jardin qui vous prete ses abris d'ombre; Et le rosier des purs etes est votre coeur, Et vos levres de feu sont ses roses sans nombre. Magnifiez-vous donc et comprenez-vous mieux! Si vous voulez savoir ou la clarte reside, Croyez que l'or vibrant et les astres des cieux Songent, sous votre front, avec leurs feux lucides. Tout est similitude, image, attrait, lien; Ainsi que les joyaux d'un bougeant, diademe, Tout se penetre et se mire, o femmes, si bien Qu'en vous et hors de vous, tout est vous-memes. Les Reves ï ces iles au bout de l'univers perdues, Et leurs villes, leurs bois, leurs plaines et leurs plages Que les mirages Projettent tout a coup jusqu'aux nuages Et retiennent, avec quels fils d'argent, Avec quels noeuds en or bougeant, Aux clous des astres suspendues! Mon coeur et mon esprit en ont reve souvent. Mon coeur disait: " Sur leurs forets, le vent Passe plus doux qu'en aucun lieu du monde; L'ombre y est tendre, ample, profonde, Et se parfume, avant d'entrer dans la maison, Au toucher clair des floraisons Dont les seuils s'environnent. La lumiere que jette a la mer le soleil S'y brise, ainsi qu'une couronne Dont chaque flot emporte un diamant vermeil. Aucun ongle de bruit n'y griffe le silence; Sans alourdir le temps, les heures s'y balancent, De l'aube au soir, ainsi que lianes en fleur, Autour des arbres bleus dans la molle chaleur; L'unanime sommeil des bois gagne les plaines; La brise passe, avec ses doigts fleurant le miel; Les lignes d'ambre et d'or des montagnes lointaines Dans le matin leger, tremblent au fond du ciel." Et mon esprit disait: " Les plus beaux paysages Sont heureux d'abriter, sous leurs roses, les sages. L'homme desire en vain etre celui Oui pousse une lumiere au-dela de sa nuit Et s'evade de la blanche prison Oue lui font les rayons de sa propre raison. Tout est mirage: espace, effets, temps, causes. L'esprit humain, depuis qu'il est lui-meme, impose Au tumulte total de l'enorme nature Sa fixe et maigre et personnelle architecture. Il s'avance, s'egare et se perd dans l'abstrait. Les clous des verites ne s'arrachent jamais, Malgre l'acharnement des ongles et des mains, D'entre les joints soudes d'une cloison d'airain. Nous ne voyons, nous ne jugeons que l'apparence. Qui raisonne, complique un peu son ignorance. L'ample realite se noue aux rets des songes Et le bonheur est fait avec tous les mensonges". Mon coeur et mon esprit parlaient ainsi, Un soir d'effort lasse et de morne souci, Quand le soleil n'etait plus guere Qu'une pauvre et vieillotte lumiere Errante aux bords de la terre. Mais tout mon etre ardent, qui brusquement puisait Une force rugueuse, apre et soudaine, Dans le rouge tresor de sa valeur humaine, Leur repondait: "Je sens courir en moi une ivresse vivace. J'ai la tete trop haute et le front trop tenace, Pour accepter la paix et le calme mineurs D'un doute raisonne et d'un savant bonheur, En tels pays, la-bas, aux confins d'or du monde. Je veux la lutte avide et sa fievre feconde, Dans les chemins ou largement me fait accueil L'apre existence, avec sa rage et son orgueil. L'instinct me rive au front assez de certitude. Que l'esprit pense ou non avec exactitude, La force humaine, en son torrent large et grondeur, Mele le faux au vrai, sous un flot de splendeurs. Homme, tout affronter vaut mieux que tout comprendre; La vie est a monter, et non pas a descendre; Elle est un escalier garde par des flambeaux; Et les affres, les pleurs, les crimes, les fleaux, Et les espoirs, les triomphes, les cris, les fetes, Grappes de fer et d'or dont ses rampes sont faites, S'y nouent, violemment, en une apre beaute. Et qu'importe souffrir, si c'est pour s'exalter, Jusque dans la douleur, la crainte et le martyre, Et savoir seul combien on s'aime et on s'admire!" La Conquete Le monde est trepidant de trains et de navires. De l'est a l'ouest, du sud au nord, Stridents et violents, Ils vont et fuient; Et leurs signaux et leurs sifflets dechirent L'aube, le jour, le soir, la nuit; Et leur fumee enorme et transversale Barre les cites colossales; Et la plaine et la greve, et les flots et les cieux, Et le tonnerre sourd de leurs roulants essieux, Et le bruit rauque et haletant de leurs chaudieres Font tressaillir, a coups tumultueux de gongs, Ici la-bas, partout, jusqu'en son coeur profond, La terre. Et le labeur des bras et l'effort des cerveaux Et le travail des mains et le vol des pensees, S'enchevetrent autour des merveilleux reseaux Que dessine l'elan des trains et des vaisseaux, A travers l'etendue immense et angoissee. Et des villes de flamme et d'ombre, a l'horizon, Et des gares de verre et de fonte se levent, Et de grands ports batis pour la lutte ou le reve Arrondissent leur mole et soulevent leurs ponts; Et des phares dont les lueurs brusquement tournent Illuminent la nuit et rament sur la mer; Et c'est ici Marseille, Hambourg, Glasgow, Anvers, Et c'est la-bas Bombay, Syngapoure et Melbourne. ï ces navires clairs et ces convois geants Charges de peaux, de bois, de fruits, d'ambre ou de cuivre A travers les pays du simoun ou du givre, A travers le sauvage ou torpide ocean! ï ces forets a fond de cale, o ces carrieres Que transporte le dos ploye des lourds wagons Et ces marbres dores plus beaux que des lumieres Et ces mineraux froids plus clairs que des poisons, Amas bariole de depouilles massives Venu du Cap, de Sakhaline ou de Ceylan, Autour de quoi s'agite en rages convulsives Tout le combat de l'or torride et virulent! ï l'or! sang de la force implacable et moderne; L'or merveilleux, l'or effarant, l'or criminel, L'or des trones, l'or des ghettos, l'or des autels; L'or souterrain dont les banques sont les cavernes Et qui reve, en leurs flancs, avant de s'en aller, Sur la mer qu'il traverse ou sur la terre qu'il foule, Nourrir ou affamer, grandir ou ravaler, Le coeur myriadaire et rouge de la foule. Jadis l'or etait pur et se vouait aux dieux, Il etait l'ame en feu dont fermentait leur foudre. Quand leurs temples sortaient blancs et nus de la poudre, Il en ornait le faite et refletait les cieux. Aux temps des heros blonds, il se fit legendaire; Siegfried, tu vins a lui dans le couchant marin, Et tes yeux regardaient son bloc aureolaire Luire, comme un soleil, sous les flots verts du Rhin. Mais aujourd'hui l'or vit et respire dans l'homme, Il est sa foi tenace et son dur axiome, Il rode, eclair livide, autour de sa folie; Il entame son coeur, il pourrit sa bonte; Il met sa taie aux yeux divins de sa beaute; Quand la brusque debacle aux ruines s'allie, L'or bouleverse et ravage, telle la guerre, Le formidable espoir des cites de la terre. Pourtant c'est grace a lui Que l'homme, un jour, a redresse la tete Pour que l'immensite fut sa conquete. ï l'eblouissement a travers les esprits! Les metaux conducteurs de rapides paroles, Par-dessus les vents fous, par-dessus la mer folle, Semblent les nerfs tendus d'un immense cerveau. Tout parait obeir a quelque ordre nouveau. L'Europe est une forge ou se frappe l'idee. Races des vieux pays, forces desaccordees, Vous nouez vos destins epars, depuis le temps Que l'or met sous vos fronts le meme espoir battant; Havres et quais gluants de poix et de resines, Entrepots noirs, chantiers grincants, rouges usines, Votre travail geant serre en tous sens ses noeuds Depuis que l'or sur terre aveugle l'or des cieux. C'est l'or de vie ou l'or de mort, c'est l'or lyrique Oui contourne l'Asie et penetre l'Afrique; C'est l'or par-dela l'Ocean, l'or migrateur Rue des poles blancs vers les roux equateurs, L'or qui brille sur les gloires ou les desastres, L'or qui tourne, autour des siecles, comme les astres; L'or unanime et clair qui guide, obstinement, De mer en mer, de continent en continent, Ou que leur mat se dresse, ou que leur rail s'etire, Partout! l'essor dompte des trains et des navires. La Mort - Triste dame, mon ame, De quel sejour de deuil et d'or, Viens-tu, ce soir, parler encor, Triste dame, mon ame? - Je viens d'un palais de flambeaux Dont j'ai brise les portes closes; Je tiens, entre mes mains, les roses Qui fleuriront sur ton tombeau... - Douce dame, mon ame, Puisque la mort doit survenir, J'ai la crainte de l'avenir, Douce dame, mon ame. - Ce que tu crains, c'est ta beaute. La vie en haut, la mort sous terre Tressent les fleurs de leur mystere Au front de ton eternite. - Belle dame, mon ame, Le temps s'avance en tres grand deuil Avec sa faulx, jusqu'a mon seuil, Belle dame, mon ame. - Le temps n'est qu'un mensonge: il fuit; Seul existe celui qui cree, Emprisonnant l'ample duree Dans l'heure ou son genie ecrit. La Joie ï ces larges beaux jours dont les matins flamboient! La terre ardente et fiere est plus superbe encor Et la vie eveillee est d'un parfum si fort Que tout l'etre s'en grise et bondit vers la joie. Soyez remercies, mes yeux, D'etre restes si clairs, sous mon front deja vieux, Pour voir au loin bouger et vibrer la lumiere; Et vous, mes mains, de tressaillir dans le soleil; Et vous, mes doigts, de recueillir les fruits vermeils Pendus au long du mur, pres des roses tremieres. Soyez remercie, mon corps, D'etre ferme, rapide, et fremissant encor Au toucher des vents prompts ou des brises profondes; Et vous, mon torse droit et mes larges poumons, De respirer, au long des mers ou sur les monts, L'air radieux et vif qui baigne et mord les mondes. ï ces matins de fete et de calme beaute! Roses dont la rosee orne les purs visages, Oiseaux venus vers nous, comme de blancs presages, Jardins d'ombre massive ou de frele clarte! A l'heure ou l'ample ete tiedit les avenues, Je vous aime, chemins, par ou s'en est venue Celle qui recelait, entre ses mains, mon sort; Je vous aime, lointains marais et bois austeres Et sous mes pieds, jusqu'au trefonds, j'aime la terre, La terre fidele et sure ou reposent mes morts. J'existe en tout ce qui m'entoure et me penetre. Gazons epais, sentiers perdus, massifs de hetres, Eau lucide que nulle ombre ne vient ternir, Vous devenez moi-meme etant mon souvenir. Ma vie, infiniment, en vous tous se prolonge, je forme et je deviens tout ce qui fut mon songe; Dans le vaste horizon dont s'eblouit mon?il, Arbres frissonnants d'or, vous etes mon orgueil; Ma volonte, pareille aux noeuds dans votre ecorce, Aux jours de travail ferme et sain, durcit ma force. Quand vous frolez mon front, roses des jardins clairs, De vrais baisers de flamme illuminent ma chair; Tout m'est caresse, ardeur, beaute, frisson, folie, Je suis ivre du monde et je me multiplie Si fort en tout ce qui rayonne et m'eblouit Que mon coeur en defaille et se delivre en cris. ï ces bonds de ferveur, profonds, puissants et tendres Comme si quelque aile immense te soulevait, Si tu les as sentis vers l'infini te tendre, Homme, ne te plains pas, meme en des temps mauvais; Quel que soit le malheur qui te prenne pour proie, Dis-toi qu'un jour, en un supreme instant, Tu as goute quand meme, a coeur battant, La douce et formidable joie, Et que ton ame hallucinant tes yeux Jusqu'a meler ton etre aux forces unanimes, Pendant ce jour unique et cette heure sublime, T'a fait semblable aux dieux. Les Idees Sur les villes d'orgueil vers leurs destins dardees, Regnent, sans qu'on les voie, Plus haut que la douleur et plus haut que la joie, Vivifiantes, les idees. Aux premiers temps de force et de ferveur sereines, Des que l'esprit fut devenu flambeau, Elles se sont demelees Et envolees Du beau dedale d'or des cervelles humaines, Pour s'en venir briller et s'eployer, la-haut; Et depuis lors, elles s'imposent A nos craintes, a nos espoirs et a nos gloses, Hantant nos coeurs et nos esprits Et regardant les etres et les choses, Comme si, sous leurs paupieres decloses, S'ouvraient les yeux de l'infini. Elles vibrent ainsi dans l'immense matiere, Formant autour du monde une ronde de feux, Sans qu'aucune ne soit une clarte premiere. Pourtant, a voir leur or perdurer dans les cieux, L'homme qui les crea de sa propre lumiere, Ivre de leur splendeur, en fit un jour: les Dieux. Meme aujourd'hui leur flamme apparait eternelle, Mais ne se nourrit plus de force et de beaute Oue grace au sang de la realite Toujours mobile et sans cesse nouvelle, Que nous jetons vers elles. Plus les penseurs d'un temps seront exacts et clairs, Plus leur front sera fier et leur ame ravie D'etre les ouvriers exaltes de la vie, Plus ils dirigeront vers eux-memes l'eclair Qui rallume, soudain, d'un feu nouveau, les tetes, Plus leurs pas sonneront, au chemin des conquetes, Plus ils s'admireront entre eux, etant vraiment Ce qui vit de plus haut, sous le vieux firmament, Plus s'epanouiront, larges et fecondees, Aux horizons, la-haut, les supremes idees. Les Rythmes souverains Michel-Ange Quand Buonarotti dans la Sixtine entra, Il demeura Comme aux ecoutes, Puis son oeil mesura la hauteur de la voute Et son pas le chemin de l'autel au portail. Il observa le jour verse par les fenetres Et comment il faudrait et dompter et soumettre Les chevaux clairs et effrenes de son travail. Puis il partit jusques au soir vers la campagne. Les lignes des vallons, les masses des montagnes Peuplerent son cerveau de leurs puissants contours. Il surprenait dans les arbres noueux et lourds Que le vent rudoyait et ployait avec force Les tensions d'un dos, ou les galbes d'un torse, Ou l'elan vers le ciel de grands bras exaltes, Si bien qu'en ces instants toute l'humanite - Gestes, marches, repos, attitudes et poses - Prenait pour lui l'aspect amplifie des choses. Il regagna la ville au tomber de la nuit, Tour a tour glorieux et mecontent de lui, Car aucune des visions qu'il avait eues Ne s'etait, a ses yeux, apaisee en statue. Le lendemain avant le soir, Sa lourde humeur crevant en lui comme une grappe De raisins noirs, Il partit tout a coup chercher querelle au pape. "Pourquoi l'avoir choisi, Lui, Michel-Ange, un statuaire; Et le forcer a peindre en du platre durci Une sainte legende au haut d'un sanctuaire? La Sixtine est obscure, et ses murs mal construits: Le plus roux des soleils n'en chasse point la nuit! A quoi bon s'acharner sur un plafond funebre Ä colorer de l'ombre et dorer des tenebres. Et puis encor, quel bucheron lui fournirait Le vaste bois pour un si large echafaudage?" Le pape repondit sans changer de visage: "On abattra pour vous ma plus haute foret." Michel-Ange sortit et s'en alla dans Rome, Hostile au pape, hostile au monde, hostile aux hommes, Croyant heurter partout aux abords du palais Mille ennemis qui le guettaient, groupes dans l'ombre. Et qui raillaient deja la violence sombre Et la neuve grandeur de l'art qu'il preparait. Son sommeil ne fut plus qu'une enorme poussee De gestes orageux a travers sa pensee; Qu'il s'etendit, le soir, dans son lit, sur son dos, Ses nerfs restaient brulants jusque dans son repos; Il etait fremissant toujours, comme une fleche Qui troue une muraille et vibre dans la breche: Pour augmenter encor ses maux quotidiens Il s'angoissait des maux et des plaintes des siens: Son terrible cerveau semblait un incendie Plein de feux ravageurs et de flammes brandies. Mais plus son coeur souffrait, Plus l'amertume ou la rancoeur y penetrait, Plus il se preparait a soi-meme d'obstacles Pour eloigner l'instant de foudre et de miracle Qui tout a coup eclairerait tout son labeur, Mieux il elaborait en son ame croyante L'oeuvre sombre et flamboyante Dont il portait en lui le triomphe et la peur. Ce fut au temps de Mai, quand sonnaient les matines, Que Michel-Ange, enfin, rentra dans la Sixtine. Avec la force en son cerveau Il avait ramasse son idee en faisceaux: Des groupes nets et surs, d'une ligne ample et fiere, Se mouvaient devant lui dans l'egale lumiere; L'echafaudage etait dresse si fermement Qu'il aurait pu mener jusques au firmament. Un grand jour lumineux se glissait sous la voute, En epousait la courbe et la fleurissait toute. Michel-Ange montait les echelles de bois, Alerte, et enjambant trois degres a la fois. Une flamme nouvelle ardait sous sa paupiere, Ses doigts, la-haut, palpaient et caressaient les pierres Qu'il allait revetir de gloire et de beaute. Puis il redescendit d'un pas precipite Et verrouilla, d'une main forte, La porte. Il se cloitra pendant des jours, des mois, des ans, Farouche a maintenir l'orgueil et le mystere Autour de son travail nombreux et solitaire; Chaque matin, il franchissait, au jour naissant, De son meme pas lourd, le seuil de la chapelle, Et comme un tacheron violent et muet, Pendant que le soleil autour des murs tournait, Il employait ses mains a leur?uvre immortelle. Deja, En douze pendentifs qu'il leur departagea Sept prophetes et cinq sibylles Cherchaient a penetrer de vieux livres obscurs Dont le texte immobile Arretait devant eux, le mobile futur. Le long d'une corniche aux aretes carrees, De beaux corps lumineux se mouvaient hardiment Et leur torse ou leur dos peuplait l'entablement De leur vigueur fleurie et de leur chair doree. Des couples d'enfants nus soutenaient des frontons, Des guirlandes jetaient ci et la leurs festons, Le long serpent d'airain sortait de sa caverne, Judith se pavanait dans le sang d'Holopherne, Goliath s'ecroulait ainsi qu'un monument Et, vers les cieux, montait le supplice d'Aman. Et sans erreurs, et sans ratures, Et jour a jour, et sans repos, L'oeuvre s'affermissait en sa pleine structure; Bientot La Genese regna au centre de la voute: On y pouvait voir Dieu comme un lutteur qui joute Avec le chaos sombre et la terre et les eaux; La lune et le soleil marquaient d'un double sceau, Dans l'etendue ardente et nouvelle, leur place. Jehovah bondissait et volait dans l'espace, Baigne par la lumiere ou porte par le vent; Le ciel, la mer, les monts, tout paraissait vivant D'une force ample et lente, et dument ordonnee; Devant son createur, la belle Eve etonnee Levait ses tendres mains et ployait le genou, Tandis qu'Adam sentait le doigt du Dieu jaloux Toucher ses doigts et l'appeler aux?uvres grandes; Et Cain et Abel preparaient leurs offrandes; Et le demon devenu femme et tentateur Ornait de ses seins lourds l'arbre dominateur; Et, sous les pampres d'or de son clos tributaire, L'ivresse de Noe s'echouait sur le sol; Et le deluge noir epandait comme un vol Ses larges ailes d'eau sur les bois et la terre. Dans ce travail geant que seul il acheva Michel-Ange brulait du feu de Jehovah; Un art sureleve jaillit de sa cervelle; Le plafond fut peuple d'une race nouvelle D'etres majestueux, violents et pensifs. Son genie eclatait, austere et convulsif, Comme celui de Dante ou de Savonarole. Les bouches qu'il ouvrait disaient d'autres paroles, Les yeux qu'il eclairait voyaient d'autres destins. Sous les fronts releves, dans les torses hautains, Grondait et palpitait sa grande ame profonde; Il recreait, selon son coeur, l'homme et le monde Si magnifiquement qu'aujourd'hui pour tous ceux Que hantent les splendeurs et les gloires latines, Il a fixe, sur la voute de la Sixtine, Son geste tout puissant, dans le geste de Dieu. Ce fut par un jour frais d'automne, Que l'on apprit enfin Que le travail, dans la chapelle, avait pris fin Et que l'oeuvre etait bonne. La louange monta comme un flux de la mer Avec sa vague ardente et son grondement clair. Mais Jules deux, le pape, hesitant a conclure, Son silence fit mal ainsi qu'une brulure, Et le peintre s'enfuit vers son isolement. Il rentra, comme heureux, en son ancien tourment, Et la rage, et l'orgueil, et leur tristesse etrange, Et le soupcon mal refrene Se remirent a dechainer Leur tragique ouragan a travers Michel-Ange. La Priere Que bondisse soudain mon ame aventuriere Vers l'avenir, Et tout a coup je sens encor, Comme au temps de l'enfance, au fond de moi, fremir L'aile qui dort Des anciennes prieres. D'autres phrases et d'autres mots sont murmures, Mais le vieux rythme avec ses cris est demeure, Apres combien de jours, le meme; Les temps l'ont imprime aux sursauts de mon coeur, Des que je suis allegre et violent d'ardeur, Et que je sens combien je m'aime. ï l'antique foyer dont survit l'etincelle! ï priere debout! ï priere nouvelle! Futur, vous m'exaltez comme autrefois mon Dieu, Vous aussi dominez l'heure et l'age ou nous sommes, Mais vous, du moins, un jour, vous deviendrez les hommes Et serez leur esprit, leur front, leur bras, leurs yeux. Dussiez-vous etre moins que ne le veut mon reve, Que m'importe, si chaque fois Que mon ardeur vous entrevoit Elle s'attise et se releve. Des aujourd'hui mon coeur se sent d'accord Avec vos cris et vos transports, Hommes d'alors Quand vous serez vraiment les maitres de la terre. Et c'est du fond du present dur Que je dedie a votre orgueil futur Mon temeraire amour et son feu solitaire. Je ne suis point de ceux Dont le passe doux et pieux Tranquillise l'ame modeste; La lutte et ses perils font se tendre mon corps Vers le toujours vivace et renaissant effort, Et je ne puis songer a limiter mes gestes Aux seuls gestes qu'ont faits les morts. J'aime la violente et terrible atmosphere Ou tout esprit se meut, en notre temps, sur terre, Et les essais, et les combats, et les labeurs D'autant plus temeraires Qu'ils n'ont pour feux qui les eclairent Que des lueurs. Dites, trouver sa joie a se grandir soi-meme, En ces heures ou de ferveur ou d'anatheme, Lorsque l'ame angoissee est plus haute qu'aux jours D'uniforme croyance et de paisible amour; Dites, aimer l'elan qui refoule les doutes, Dites, avoir la peur de s'attarder en route, Et de n'etre vaillant assez pour faire accueil Au jeune, alerte et dangereux orgueil. Dites, vouer a tous son verbe autoritaire, Qu'admirera peut-etre et chantera la terre Quand elle en comprendra la fervente aprete; Donner un sens divin aux passions humaines Pour que leurs noeuds formidables fassent les chaines Qui relient l'avenir, avec temerite, Au present deja surmonte. Dites, ne reculer que pour bondir plus fort, Au rebours de l'habitude qui est la mort; Savoir que d'autres mains imposeront la gloire Au front encor voile des finales victoires. Que le geste qu'on fait n'est point pour notre temps, Mais le faire quand meme avec un coeur battant; Aimer toute oeuvre ou s'ebauchent les destinees Et pour les jours ou reviendraient l'ombre et l'effroi, Nourrir toujours, armer toujours, au fond de soi, Une confiance acharnee. Et guetter l'heure ou les soirs d'or Reveillent, doucement, la belle aile qui dort Des prieres profondes Pour imprimer l'elan a la nouvelle foi Qui fait du monde l'homme, et de l'homme le monde, Et lentement s'impose et se condense en loi. Toute la Flandre Les Pas L'hiver, quand on fermait, A grand bruit lourd, les lourds volets, Et que la lampe s'allumait Dans la cuisine basse, Des pas se mettaient a sonner, des pas, des pas, Au long du mur, sur le trottoir d'en face. Tous les enfants etaient rentres, Rompant leurs jeux enchevetres; Le village semblait un amas d'ombres Autour de son clocher, D'ou les cloches deja laissaient tomber, Une a une, les heures sombres Et les craintes sans nombre: Paquets de peur, au fond du coeur, Et malgre moi, je m'asseyais tout contre Les lourds volets et j'ecoutais et redoutais Ces pas, toujours ces pas, Qui s'en allaient a la rencontre De je ne savais quoi d'obscur et de triste, la-bas. Je connaissais celui de la servante, Celui de l'echevin, celui du lanternier, Celui de l'apre et grimacante mendiante Qui remportait des blaireaux morts, en son panier; Celui du colporteur, celui du messager, Et ceux de Pieter Hoste et de son pere Dont la maison, pres du calvaire, Portait un aigle d'or a son pignon leger, Je les connaissais tous: ceux que scandait la canne De l'horloger, ou bien les bequilles de Wanne La devote, qui priait tant que c'etait trop, Et ceux du vieux sonneur, humeur de brocs, Et tous, et tous - mais les autres, les autres? Il en etait qui s'en venaient - savait-on d'ou? - Monotones, comme un debit de patenotres, Ou bien furtifs, comme les pas d'un fou, Ou bien pesants d'une marche si lasse Qu'ils semblaient trainer l'espace Et le temps infini aux clous de leurs souliers. Il en etait de si tristes et de si mornes, Surtout vers la Toussaint, quand les vents cornent Le deuil illimite par le pays entier: Ils revenaient de France et de Hollande Ils se croisaient sur la route marchande, Ils s'etaient fuis ou rencontres - depuis quel temps? - Et se reenfoncaient dans l'ombre refondue, A cette heure des morts, ou des bourdons battants, Aux quatre coins de l'etendue, Comme des pas, sonnaient aussi. Oh! tous ceux-la, avec leur fievre et leurs soucis! Oh! tous ces pas en defile par ma memoire! Qui donc en redira le deuil ambulatoire, Lorsque je les guettais l'hiver, en tapinois, Rapetisse dans mon angoisse et mon effroi, Derriere un volet clos, au fond de mon village? Un soir, qu'avaient passe des attelages, Avec des bruits de fers entrechoques, On trouva mort, le long du quai, Un roulier roux qui revenait de Flandre. On ne surprit jamais son assassin. Mais, certes, moi, oh! j'avais du l'entendre Froler les murs, avec sa hache en main. Une autre fois, a l'heure ou le blanc boulanger, Ses pains vendus, fermait boutique, Il avait vu la dame enigmatique Qu'on dit sorciere ici, et sainte un peu plus loin, En vetement de paille et d'or tourner le coin Et vivement, entrer au cimetiere; Tandis que moi, j'avais oui, en meme temps, Son dur manteau flottant, Comme un rateau gratter la terre. Mon coeur avait battu si fort Que, pendant toute une semaine, Je ne revai que de la mort. Et puis, qu'allaient-ils faire au fond des plaines Ces autres pas qu'on entendait, vers le Noel, Venir en masse, a travers neige et gel, D'au-dela de l'Escaut massif et lethargique? Une lueur rouge et tragique Mordait le ciel. Ils se rendaient, au long des bois, Depuis quels temps, toujours au meme endroit, Pres des mares que l'on disait hantees; On entendait des cris, pareils a des huees, Monter. Et seul, le lendemain, Le fossoyeur partait, la beche en main, Cacher la-bas, sous les neiges etincelantes, Un tas de rameaux morts et de betes sanglantes. Mon ame en tremble encore et mon esprit Revoit toujours le fossoyeur qui passe, Et quand la fievre ameute en moi, la nuit, Les troubles visions de ma cervelle lasse, Les pas que j'entendis etant enfant, Oreille au guet, genoux serres et coeur battant. Fn mes heures de veille ou de souffrance bleme, Terriblement, me traversent moi-meme Et font courir leur rythme dans mon sang. Ils arrivent, des horizons de lune et d'ombre, Sournois, tetus, compacts, mysterieux, Le sol en est dement. Leur nombre? - Feuilles des bois, grains de bles murs, greles des cieux! Ils sont pareils aux menaces qui passent Et leur deroulement, pendant la nuit, Est si lointain qu'ils semblent faire, De lieue en lieue, une ceinture a la terre Et, maille a maille, et, bruit a bruit, Serrer en eux tout l'infini. Oh! qu'ils me sont restes imprimes dans la chair Les pas que j'entendais, par les soirs de Decembre Et les routes de l'hiver clair, Venir du bout du monde et traverser ma chamber! Un Toit, la-bas Oh! la maison perdue, au fond du viel hiver, Dans les dunes de Flandre et les vents de la mer. Une lampe de cuivre eclaire un coin de chambre; Et c'est le soir, et c'est la nuit, et c'est novembre. Des quatre heures, on a ferme les lourds volets; Le mur est quadrille par l'ombre des filets. Autour du foyer pauvre et sous le plafond, rode L'odeur du goemon, de l'algue et de l'iode. Le pere, apres deux jours de lutte avec le flot, Est revenu du large, et repose, la-haut; La mere allaite, et la flamme qui diminue N'eclaire plus la paix de sa poitrine nue. Et lent, et s'asseyant sur l'escabeau boitant, Le morne aieul a pris sa pipe, et l'on n'entend Dans le logis, ou chacun vit a l'etouffee, Que ce vieillard qui fume a pesantes bouffees. Mais au-dehors, La meute innombrable des vents Aboie, autour des seuils et des auvents; Ils viennent, d'au-dela des vagues effarees, Dieu sait pour quelle atroce et nocturne curee; L'horizon est battu par leur course et leur vol, Ils saccagent la dune, ils depecent le sol; Leurs dents apres et volontaires Ragent et s'acharnent si fort Qu'elles mordraient, jusqu'au fond de la terre, Les morts. Helas, sous les cieux fous, la pauvre vie humaine Abritant, pres des flots, son angoisse et sa peine! La mere et les enfants, et dans son coin, l'aieul, Bloc du passe, debout encor, mais vivant seul, Et recitant, a bras lasses, chaque antienne, Cahin-caha, des besognes quotidiennes. Helas! la pauvre vie, au fond du vieil hiver, Lorsque la dune crie, et hurle avec la mer, Et que la femme ecoute, aupres du feu sans flamme, On ne sait quoi de triste et de pauvre en son ame, Et que ses bras fievreux et affoles de peur Serrent l'enfant pour le blottir jusqu'en son coeur, Et qu'elle pleure, et qu'elle attend, et que la chambre Est comme un nid tordu dans le poing de novembre. Guillaume de Juliers I Avec ses necromants et ses filles de joie Et ses pretres et ses soldats et ses devins, Plus clair que Scipion, plus fier qu'Hector de Troie, Guillaume de Juliers, archidiacre, s'en vint Pour la defendre et l'affermir, chercher refuge, Un soir que toutes les cloches sonnaient Et s'acharnaient Dans Bruges. Il etait jeune, ardent et franc de volonte. Il dominait la foule et la cite, Sans le vouloir, par ce don d'etre, Partout ou il passait, le maitre. Son existence etait sa volupte. Il melait tout: luxure et foi, rage et sagesse; La mort meme n'etait pour lui qu'une allegresse Et qu'une fete en un jardin de sang. II Forets d'armes et de drapeaux, eblouissant D'or et d'acier une aurore de braise, La-bas, sur les hauteurs qui dominent Courtrai, Orgueil au clair, haine en arret, S'amoncellent les vengeances francaises. "Il me faut le pouvoir en Flandre" , a dit le roi, Et ses troupes que commande Robert d'Artois, Belles comme la mer eclatante et cabree, Sont la, pour effrayer et pour broyer, Ferocement, Le dur, compact, mais entete Flamand, Sous leur maree. Oh! les heures que vecurent alors, Sous la terre, les morts, A voir leurs fils les invoquer et soudain prendre Un peu du sol sacre ou se melait leur cendre Et le manger, pour se nourrir le coeur! Guillaume etait present. Il regardait ces hommes Frustes surgir plus haut que les heros de Rome Et plus il ne douta qu'il ne serait vainqueur. Il avait ordonne qu'on mit d'enormes claies Sur les mares, sur les fosses et sur les plaies Du sol mordu par la riviere et ses remous; La terre semblait ferme et n'etait qu'un grand trou. Les tisserands de Bruges etaient masses derriere. L'apre charrue avait fourni l'arme de guerre. Nul ne bougeait. Ils attendaient qu'on vint a eux, Blocs de courage et de ferveur silencieux. Legers et clairs et bouillonnants, comme l'ecume Qui blanchissait aux mors de leurs chevaux, Heaumes d'argent, houppes de plumes, Temeraires, comme autrefois a Roncevaux, Ceux de France se ruerent en pleine lutte. Et ce ne fut en un instant que heurts, chocs, chutes, Cris et rages. Et puis la mort dans un marais. Us choient larges et drus, comme, au vent, les javelles", pit Guillaume, tandis que des charges nouvelles Tombaient et s'ecrasaient sur des cadavres frais Et que d'autres suivaient et puis d'autres encore Et puis d'autres, si loin que l'horizon entier - Feux d'armures meles aux lumieres d'aurore - Semblait d'un elan fou bondir vers les charniers. La France etait atteinte et la Flandre sauvee. Aussi, quand, apres mille efforts, La rage au coeur, mais la force enervee, Sur le point mou que leur faisaient les morts, Les ducs et les barons, sur leurs chevaux de guerre, Passerent, Leur fougue se brisa contre le fer flamand. Ce fut un rouge, feroce et merveilleux moment. Guillaume de Juliers marchait de proie en proie, Ses narines saignaient, ses dents crissaient de joie Et son rire sonnait pendant regorgement. Comme un buisson mouvant de haine carnassiere Il se dardait. A ceux qui levaient leur visiere Et imploraient merci son poing fendait le front, Et leur donnait la mort en leur criant l'affront D'avoir ete vaincus par des manants de Flandre, Sa maladive ardeur ne pouvait plus ascendre: Il eut voulu les mordre avant de les tuer. Et les cardeurs, les tisserands et les bouchers L'accompagnaient, comme en frairie, En ces banquets de rage et de tuerie. Autant que lui, ils se soulaient et s'affolaient De leur travail; Pesants comme des pieux, fermes comme des proues, Ils refoulaient des chevaliers, comme un betail, Dans de la boue, Ils leur broyaient les dents, les bras, les francs, les corps Et, les talons plantes dans les trous des blessures, Ils saccageaient ce large ecroulement d'armures Et leur volaient l'eclair de leurs eperons d'or. III Et les cloches ivres comme les ames Dans la ville sonnaient, la-bas; On deversait hors des paniers, Par tes, Les eperons princiers Sur les autels de Notre-Dame. Cordiers, macons, vanniers, foulons, Dansaient, au bruit balourd des gros bourdons; Des tisserands qui s'affublaient de heaumes Et des filles de joies et des soudards, Sur un pavois geant couvert d'un etendard Hissaient Guillaume; Et tandis que coulaient cidre, cervoise et vin, Lui souriait, en se penchant vers ses devins Qui, grace a leur nocturne et tragique science, Lui donnaient le pouvoir de faner de ses mains, Devant le monde entier, le lys royal de France. L'Escaut Et celui-ci puissant, compact, pale et vermeil. Remue, en ses mains d'eau, du gel et du soleil; Et celui-la etale, entre ses rives brunes, Un jardin sombre et clair pour les jeux de la lune; Et cet autre se jette a travers le desert, Pour suspendre ses flots aux levres de la mer; Et tel autre, dont les lueurs percent les brumes Et tout a coup s'allument, Figure un Walhallah de verre et d'or, Ou des gnomes velus gardent les vieux tresors. En Touraine, tel fleuve est un manteau de gloire. Leurs noms? L'Oural, l'Oder, le Nil, le Rhin, la Loire. Gestes de Dieux, cris de heros, marche de Rois, Vous les solennisez du bruit de vos exploits. Leurs bords sont grands de votre orgueil; des palais vastes Y soulevent jusques aux nuages leur faste. Tous sont guerriers: des couronnes cruelles S'y refletent - tours, burgs, donjons et citadelles - Dont les grands murs unis sont pareils aux linceuls, Il n'est qu'un fleuve, un seul, Qui mele au deploiement de ses meandres Mieux que de la grandeur et de la cruaute, Et celui-la se voue au peuple - et aux cites Ou vit, travaille et se redresse encor, la Flandre! Tu es doux ou rugueux, paisible ou arrogant, Escaut des Nords - vagues pales et verts rivages - Route du vent et du soleil, cirque sauvage Ou se cabre l'etalon noir des ouragans, Ou l'hiver blanc s'accoude a des glacons torpides, Ou l'ete luit dans l'or des facettes rapides Que remuaient les bras nerveux de tes courants. T'ai-je adore durant ma prime enfance! Surtout alors qu'on me faisait defense De manier Voile ou rames de marinier, Et de roder parmi tes barques mal gardees. Les plus belles idees Qui rechauffent mon front, Tu me les as donnees: Ce qu'est l'espace immense et l'horizon profond, Ce qu'est le temps et ses heures-bien mesurees, Au va-et-vient de tes marees, Je l'ai appris par ta grandeur. Mes yeux ont pu cueillir les fleurs tremieres Des plus rouges lumieres, Dans les plaines de ta splendeur. Tes brouillards roux et farouches furent les tentes Ou s'abrita la douleur haletante Dont j'ai longtemps, pour ma gloire, souffert; Tes flots ont ameute, de leurs rythmes, mes vers; Tu m'as petri le corps, tu m'as exalte l'ame; Tes tempetes, tes vents, tes courants forts, tes flammes Ont traverse comme un crible, ma chair; Tu m'as trempe, tel un acier qu'on forge, Mon etre est tien, et quand ma voix Te nomme, un brusque et violent emoi M'angoisse et me serre la gorge. Escaut, Sauvage et bel Escaut, Tout l'incendie De ma jeunesse endurante et brandie, Tu l'as epanoui: Aussi, Le jour que m'abattra le sort, C'est dans ton sol, c'est sur tes bords, Qu'on cachera mon corps, Pour te sentir, meme a travers la mort, encor! Je sais ta gloire, Escaut, violente ou sereine: Jadis, quand la louve romaine Mordait le monde au coeur, La machoire de sa fureur, Dans les plaines que tu proteges N'eut a broyer que pluie et boue, que vent et neige, Et tes hommes libres et francs, De loin en loin, du haut des barques, Lui laisserent a coups de javelots la marque De leur courage, au long des flancs. Une brume, longtemps, pesa sur ton histoire: Bruges, Ypres et Gand regnent avant Anvers. Mais aussitot que ta cite monte, sa gloire Jette ton nom marin aux vents de l'univers. Tu es le fleuve immense aux larges quais, ou tronent Les banquiers de la ville et les marchands du port; Et tous les pavillons majestueux des nords Mirent leurs blasons d'or dans l'or de tes eaux jaunes. On construit ton clocher; et ses tonnants bourdons Livrent bientot dans l'air leur bataille de sons; Il monte, et chante, et regne, et celebre sa vierge, Droit comme un cri, beau comme un mat, clair comme un cierge. Tes navires charges de seigle et de froment Semblent de lourds greniers d'abondance doree, Qui vont, sous le soleil et sous le firmament, Nourrir la terre avec le pain de tes contrees. Le lin qu'on file a tes foyers, le chanvre vert Qu'on travaille en tes bourgs, sont devenus la toile Dont sont faites, de l'Est a l'Ouest, toutes les voiles Qui, la poitrine au vent, partent dompter la mer. Tu es le nourricier qui enseigne l'audace; Tes fils sont paysans ou matelots, ils sont Balourds, mais forts; apres, mais surs; lents, mais tenaces: L'aventure n'est que l'elan de leur raison. Et ta ville grandit, toujours, encor: ses Hanses Remuent l'or fermentant en leur geant brassin; Voici qu'elle a vaincu Venise, et sa main tient Les fortunes du monde, au creux de ses balances. Eclat supreme et long frisson de son orgueil. Quand tout a coup Depuis sa tour qui prie et son havre qui bout, Jusque sur ses campagnes Et sur leurs toits, et sur leurs seuils, Passe le geste fou Et s'etend l'ombre au loin de Philippe d'Espagne. ï fleuve Escaut, de quel recul geant, Vers l'Ocean, Ont du sauter tes ondes, Quand s'est rue vers ta splendeur calme et profonde, Tout un torrent feroce et bondissant De sang? La belle gloire a deserte tes rives; Et tes espoirs ont tout a coup sombre, - Larges bateaux desempares - L'un apres l'autre, a la derive. Un soir mortel sur tes vagues s'est epandu. Au long des ports qui dominent tes plaines, On t'a charge de chaines, On t'a fletri, on t'a vendu. Oh! le desert de tes lourds flots amers! Quand plus aucune grande voile De toile, Partie avec orgueil Des vagues d'or qui allument ton seuil, Ne cingla vers la mer! Helas! qu'il te fallut longtemps attendre Avant qu'un cri ne soulevat tes Flandres, Si farouches jadis pour soutenir leurs droits. Escaut, tu n'etais plus qu'une meute captive De flots hurlants entre deux rives, Dont trafiquaient en leurs traites les rois. Ou'un d'eux luttat pour t'affranchir, sitot les haines Se redressaient et aggravaient le poids des chaines Que tu trainais en gemissant. Enfin, apres des ans, et puis encor des ans, L'homme d'ombre et de gloire, Bonaparte, mela ta vie a sa victoire Et assouplit ton cours hautain Superbement aux meandres de son destin. Alors, tu fus geant comme naguere, Tes solides bassins de pierre Serrerent, Entre leurs bords, Tous les butins de fievre et d'or Qui s'en venaient du bout des mers et de la terre, Et sur la robe de tes eaux Scintillerent tous les anciens joyaux; Et sur l'avant de tes coques bien arrimees, Les deesses aux seins squameux Projeterent, comme autrefois, ton nom fameux, Dans le buccin des renommees. Escaut! Escaut! Tu es le geste clair Que la patrie entiere Pour gagner l'infini fait vers la mer. Tous les canaux de Flandre et toutes ses rivieres Aboutissent, ainsi que des veines d'ardeur, Jusqu'a ton coeur. Tu es l'ample auxiliaire et la force feconde D'un peuple ardu, farouche et violent, Qui veut tailler sa part dans la splendeur du monde. Tes bords puissants et gras, ton cours profond et lent Sont l'image de sa tenacite vivace, L'homme d'ici, sa famille, sa race, Ses tristesses, ses volontes, ses voeux Se retrouvent en tes aspects silencieux. Cieux tragiques, cieux exaltes, cieux monotones, Escaut d'hiver, Escaut d'ete, Escaut d'automne, Tout notre etre changeant se reconnait en toi; Vainqueurs, tu nous soutiens; vaincus, tu nous delivres, Et ce sera toujours et chaque fois Par toi Que le pays foule, gemissant et pantois, Redressera sa force et voudra vivre et vivre! Les Fumeurs "C'est aujourd'hui, Au cabaret du Jour et de la Nuit, Qu'on sacrera Maitre et Seigneur des vrais fumeurs, Celui Qui maintiendra Le plus longtemps, Devant les juges competents, Une meme pipe allumee. Or, qu'a tous soit legere La biere, Et soit docile la fumee." Ont pris place, sur double rang, Pres des tables, le long des bancs Les grands fumeurs de Flandre et de Brabant. Deja, depuis une heure ils fument, A petits coups, a mince brume, Le gros et compact tabac, Qu'a resserre, avec une ardeur douce, Leur pouce, En des pipes neuves de Gouda. Ils fument tous, et tous se taisent, La bouche au frais, le ventre a l'aise; Ils fument tous et se surveillent Du coin de l'oeil et de l'oreille. Ils fument tous, meticuleusement, Sans nulle hate aventuriere, Si bien que l'on n'entend Que l'horloge de cuivre et son tictaquement, Ou bien encor, de temps en temps, Le flasque et lourd ecrasement D'un crachat blanc contre les pierres. Et tous, ils fumeraient ainsi, Inepuisablement, tout un apres-midi, N'etait que les novices Ne se doutent bientot, a maints indices, Que leur effort touche a sa fin, Et que le feu, entre leurs mains, S'eteint. Mais eux, les vieux, restent fermes. En vain Les petites volutes Tracent peut-etre, avec leurs fins reseaux, Le nom du vainqueur de la lutte, Pres du plafond, la-haut; Ils s'entetent a n'avoir d'yeux Minutieux Que pour leur pipe, ou luit et bouge Le seul point rouge, Dont leu, pensee ait le souci. Ils le tiennent a leur merci, Ils le couvent a l'etouffee, Laissant de moins en moins les subtiles bouffees Passer entre leurs levres minces Comme des pinces. ï leur savoir malicieux, Et leurs gestes mysterieux, Et ce qu'il faut de temps et d'heures Avant Qu'un foyer clair, entre leurs doigts fervents, Ne meure! Ils etaient dix, les voici cinq; ils restent trois; Et de ceux-ci, le moins adroit, Malgre les cris et les disputes, Se leve et deserte la lutte. Enfin, les deux plus forts, les deux derniers, Un corroyeur, un batelier, Barbe roussatre et barbe grise Le coeur ardent et sur, se maintiennent aux prises. Et c'est alors un unanime enfievrement: On se bouscule et l'on regarde Ces deux maitres restant superbement Calmes, parmi la foule hagarde, Et qui fument, et se taisent jusqu'au moment Ou, tout a coup, celui de Flandre, Tatant du doigt le fond du fourneau d'or, Palit, en n'y trouvant que cendres; Tandis que l'autre emet encor Patiemment, a petites secousses, Un menu flot de brouillard bleu, Et ne pretend cesser le jeu Qu'apres avoir verse trois derniers brins de feu, Victorieux, Sur l'ongle pale de son pouce. Et les grands juges reunis Au cabaret du Jour et de la Nuit Conferent dans la grand'chambre, Au champion du Vieux Brabant, Luttant Contre celui de Flandre, Une pipe d'ecume et d'ambre Avec des fleurs et des rubans. Les Heures Les Heures claires XII Au temps ou longuement j'avais souffert, Ou les heures m'etaient des pieges, Tu m'apparus l'accueillante lumiere Qui luit, aux fenetres, l'hiver, Au fond des soirs, sur de la neige. Ta clarte d'ame hospitaliere Frola, sans le blesser, mon coeur, Comme une main de tranquille chaleur. Puis lentement s'en vint la confiance, Et la franchise et la tendresse, et l'alliance Enfin de nos deux mains amies, Un soir de claire entente et de douce accalmie. Depuis, bien que la brise ait succede au gel, En nous-memes, et sous le ciel Dont les flammes recomposees Pavoisent d'or tous les chemins de nos pensees, Et que l'amour soit devenu la fleur immense Naissant du fier desir Qui sans cesse, pour mieux encor grandir, En notre coeur se recommence, Je regarde toujours la petite lumiere Qui me fut douce la premiere. XVII Pour nous aimer des yeux Lavons nos deux regards, de ceux Que nous avons croises, par milliers, dans la vie Mauvaise et asservie. L'aube est en fleur et en rosee Et en lumiere tamisee Tres douce; On croirait voir de molles plumes D'argent et de soleil, a travers brumes, Froler et caresser, dans le jardin, les mousses. Nos bleus et merveilleux etangs Tremblent et s'animent d'or miroitant; Des vols emeraudes, sous les arbres, circulent; Et la clarte, hors des chemins, des clos, des haies, Balaie La cendre humide, ou traine encor le crepuscule. XVIII Au clos de notre amour, l'ete se continue: Un paon d'or suit l'avenue Et traverse le gazon vert; Nos etangs bleus luisent, couverts Du baiser blanc des nenuphars de neige; Aux quinconces nos groseilliers font des corteges; Un insecte de prisme irrite un coeur de fleur; De merveilleux sous-bois se jaspent de lueurs; Et, comme des bulles legeres, mille abeilles, Sur des grappes d'argent, vibrent au long des treilles. L'air est si beau qu'il parait chatoyant; Sous les midis profonds et radiants, On dirait qu'il remue en roses de lumiere; Tandis qu'au loin, les routes coutumieres Telles de lents gestes qui s'allongent vermeils, A l'horizon nacre, montent vers le soleil. Certes, la robe en diamants du bel ete Ne vet aucun jardin d'aussi pure clarte, Et c'est la joie unique eclose en nos deux ames, Qui reconnait sa vie en ces bouquets de flammes. Les Heures d'apres-midi IV L'ombre est lustrale et l'aurore irisee. De la branche d'ou s'envole la-haut L'oiseau, Tombent des gouttes de rosee. Une purete lucide et frele Orne le matin si clair Que des prismes semblent briller dans l'air. On ecoute une source; on entend un bruit d'ailes. Oh! que tes yeux sont beaux, a cette heure premiere Ou nos etangs d'argent luisent dans la lumiere Et refletent le jour qui se leve la-bas. Ton front est radieux et ton artere bat. La vie intense et bonne et sa force divine Entrent si pleinement, tel un battant bonheur, En ta poitrine, Que pour en contenir l'angoisse et la fureur, Tes mains soudain prennent mes mains Et les appuient, comme avec peur, Contre ton coeur. V Je t'apporte, ce soir, comme offrande, ma joie D'avoir plonge mon corps dans l'or et dans la soie Du vent joyeux et franc et du soleil superbe; Mes pieds sont clairs d'avoir marche parmi les herbes, Mes mains douces d'avoir touche le coeur des fleurs, Mes yeux brillants d'avoir soudain senti les pleurs Naitre, sourdre et monter autour de mes prunelles, Devant la terre en fete et sa force eternelle. L'espace entre ses bras de bougeante clarte, Ivre et fervent et sanglotant, m'a emporte, Et j'ai passe je ne sais ou, tres loin, la-bas, Avec des cris captifs que delivraient mes pas. Je t'apporte la vie et la beaute des plaines; Respire-les sur moi a franche et bonne haleine, Les origans ont caresse mes doigts, et l'air Et sa lumiere et ses parfums sont dans ma chair. IX Le bon travail, fenetre ouverte, Avec l'ombre des feuilles vertes Et le voyage du soleil Sur le papier vermeil, Maintient la douce violence De son silence, Et notre bonne et pensive maison. Et vivement les fleurs se penchent, Et les grands fruits luisent, de branche en branche, Et les merles et les bouvreuils et les pinsons Chantent et chantent Pour que mes vers eclatent Clairs et frais, purs et vrais, Ainsi que leurs chansons, Leur chair doree et leurs petales ecarlates. Et je te vois passer dans le jardin la-bas, Parfois a l'ombre et au soleil melee; Mais ta tete ne se retourne pas, Pour que l'heure ne soit troublee Ou je travaille, avec mon coeur jaloux, A ces poemes francs et doux. XIII Les baisers morts des defuntes annees Ont mis leur sceau sur ton visage, Et, sous le vent morne et rugueux de l'age, Bien des roses, parmi tes traits, se sont fanees. Je ne vois plus ta bouche et tes grands yeux Luire comme un matin de tete, Ni, lentement, se reposer ta tete; Dans le jardin massif et noir de tes cheveux. Tes mains cheres qui demeurent si douces Ne viennent plus comme autrefois, Avec de la lumiere au bout des doigts, Me caresser le front, comme une aube les mousses. Ta chair jeune et belle, ta chair Que je parais de mes pensees, N'a plus sa fraicheur pure de rosee, Et tes bras ne sont plus pareils aux rameaux clairs. Tout tombe, helas, et se fane sans cesse; Tout est change, meme ta voix, Ton corps s'est affaisse comme un pavois, Pour laisser choir les victoires de la jeunesse. Mais neanmoins, mon coeur ferme et fervent te dit: Que m'importent les deuils mornes et engourdis, Puisque je sais que rien au monde Ne troublera jamais notre etre exalte Et que notre ame est trop profonde Pour que l'amour depende encor de la beaute. XIX Je suis sorti des bosquets du sommeil, Morose un peu de t'a voir delaissee Sous leurs branches et leurs ombres tressees, Loin du joyeux et matinal soleil. Deja luisent les flox et les roses tremieres; Et je m'en vais par le jardin, songeant A des vers clairs de cristal et d'argent Qui tenteraient dans la lumiere. Puis tout a coup, je m'en reviens vers toi, Avec tant de ferveur et tant d'emoi Qu'il me semble que ma pensee De loin, subitement, a deja traverse, Pour provoquer ta joie et ton reveil, Toute l'ombre feuillue et lourde du sommeil. Et quand je te rejoins dans notre maison tiede Que l'ombre et le silence encor possedent, Mes baisers francs, mes baisers clairs, Sonnent, comme une aubade, aux vallons de ta chair. Les Heures du soir XV Non, mon ame jamais de toi ne s'est lassee! Au temps de juin, jadis, tu me disais: "Si je savais, ami, si je savais Que ma presence, un jour, dut te peser, Avec mon pauvre coeur et ma triste pensee Vers n'importe ou, je partirais." Et doucement ton front montait vers mon baiser. Et tu disais encor: "On se deprend de tout et la vie est si pleine! Et qu'importe qu'elle soit d'or La chaine Qui lie au meme anneau d'un port Nos deux barques humaines! " Et doucement tes pleurs me laissaient voir ta peine. Et tu disais, Et tu disais encore: "Quittons-nous, quittons-nous, avant les jours mauvais. Notre existence fut trop haute Pour se trainer banalement de faute en faute." Et tu fuyais et tu fuyais Et mes deux mains eperdument te retenaient. Non, mon ame jamais de toi ne s'est lassee. XXI Avec mes vieilles mains de ton front rapprochees J'ecarte tes cheveux et je baise, ce soir, Pendant ton bref sommeil au bord de l'atre noir La ferveur de tes yeux, sous tes longs cils cachee. Oh! la bonne tendresse en cette fin de jour! Mes yeux suivent les ans dont l'existence est faite Et tout a coup ta vie y parait si parfaite Qu'un emouvant respect attendrit mon amour. Et comme au temps ou tu m'etais la fiancee, L'ardeur me vient encor de tomber a genoux Et de toucher la place ou bat ton coeur si doux Avec des doigts aussi chastes que mes pensees. XXVI Lorsque tu fermeras mes yeux a la lumiere, Baise-les longuement, car ils t'auront donne Tout ce qui peut tenir d'amour passionne Dans le dernier regard de leur ferveur derniere. Sous l'immobile eclat du funebre flambeau, Penche vers leur adieu ton triste et beau visage Pour que s'imprime et dure en eux la seule image Qu'ils garderont dans le tombeau. Et que je sente, avant que le cercueil se cloue, Sur le lit pur et blanc se rejoindre nos mains Et que pres de mon front sur les pales coussins, Une supreme fois se repose ta joue. Et qu'apres je m'en aille au loin avec mon coeur Qui te conservera une flamme si forte Que meme a travers la terre compacte et morte Les autres morts en sentiront l'ardeur! Les Bles mouvants Dialogue rustique ANTOINE Pour apprendre a noircir quelque papier frivole, Nos fils envoient au loin, vers les mornes ecoles, Leurs fillettes et leurs gamins. Et c'est a nous, les vieux, qu'on impose la tache De mener paitre au long des sinueux chemins Les vaches Et de refaire, apres combien de temps, Les besognes qu'on fit quand on etait enfant. GUILLAUME Je m'en souviens encor: j'avais huit ans a peine Que je poussais deja, de plaine en plaine, A fouet souple et claquant, le betail noir et roux, Que je laissais griller quelques faines de hetre Sous la cendre d'un feu champetre, Et qu'on etait content de mon travail chez nous ANTOINE L'esprit des champs a bien change Et nul ne voit le seduisant danger Qui nous attire et nous menace. On ne fait plus chez nous des gens de notre race, Au front compact comme le poing; Tout se desserre et se disjoint Et le meilleur s'en va et rien ne le ramene: On dirait d'un tamis ou passeraient les graines. GUILLAUME Depuis qu'il fut soldat, Mon fils est revenu des pays de la-bas La tete pleine D'un tas de mots nouveaux que je ne comprends pas, On croirait bien qu'il perd l'haleine Quand il les dit, Si longs et si nombreux sont-ils! Et son aine qui tient ma ferme Commence peu a peu a penser comme lui. Son coeur est pris, l'erreur y germe; J'etais jadis son guide et parfois son appui. Mais aujourd'hui, Si je lui parle et s'il m'ecoute, Ce n'est que pour se taire et suivre une autre route Que celle ou j'ai marche! Ainsi dernierement a-t-il vendu son seigle Et tout son ble fauche, Non plus au boulanger, comme il etait de regle Depuis le temps de mon aieul, Mais a quelque marchand de la ville prochaine Qui n'a qu'un prix, un seul, Pour tout ce qu'il achete et ce qu'il vend de graines. ANTOINE Comment ne point se plaindre ou ne se facher pas Depuis que l'on a peur de se lasser les bras Et de s'user les poings et de ployer l'echine Et que l'on fait venir quelque grele machine Qu'active un feu mauvais et qui bat le froment, Et le seigle, et l'avoine, et l'orge, aveuglement? Ce n'est plus le travail, mais c'en est la risee, Et Dieu sait bien pourquoi la grange et la moisson Flambent parfois et font crier tout l'horizon Des que s'envole au loin quelque cendre embrasee. GUILLAUME Tous ces malheurs, ami, nous viennent de la ville Monstrueuse et vorace, arrogante et servile, Qui se ramasse au loin et puis bondit vers nous A travers la campagne et le vent clair et doux. Il ne faudrait nommer qu'en nous signant ces choses Qui depuis cinquante ans furent les mornes causes De l'orgueil des cites et du grand deuil des champs. ï les anciens chemins, sinueux et penchants Autour des vieux enclos et des eaux solitaires! Voici qu'on coupe en deux les pres hereditaires, Qu'une gare stridente et de cris et de bruits Reveille les hameaux au milieu de la nuit; Qu'une route de fer, de feu et de scories Traverse les vergers bornant les metairies Et qu'il n'est plus un coin au fond des bois, la-bas, Ou le sifflet d'un train soudain ne s'entend pas. ANTOINE Le soir, quand je me rends au bout de l'avenue, Ce que je vois jetant la-haut, jusques aux nues, Ses lueurs, c'est la ville illuminee au loin. Et je rentre chez moi en lui montrant le poing, Heureux de lui crier ses torts dans les tenebres. Elle apparait alors si mechamment funebre Et si mauvaise et si fausse que je voudrais Qu'elle brulat d'un coup comme un pan de foret. Je la voue au viol sanglant des flammes rouges, Je la maudis dans ses palais et dans ses bouges. Ah! si ma haine avait, pour me servir, cent bras! Mais mon corps est piteux et mes membres sont las Kt rien n'est pauvre et vain comme un flot de paroles. GUILLAUME C'est la sagesse et la raison qui nous isolent. Mais que croule le ciel, je n'avouerai jamais Qu'il est mal de penser ainsi que je pensais, Me souvenant des miens qui pensaient bien naguere. Quand nous serons partis, que deviendra la terre? ANTOINE On dira de nous deux: "Ils furent paysans, Tenacement, et dans leurs os et dans leur sang, Et leur ame ne s'est de leur corps retiree Qu'a l'heure ou la folie eut perdu leur contree." Quelques chansons du village Le Sabotier Vite allumez bougie et cierge, Pauvre femme, devant la Vierge, Votre mari le sabotier Voit aujourd'hui son jour dernier. Et les enfants en troupe folle Sortent gaiment de leur ecole Et font claquer sur le trottoir Leurs sabots blancs, leurs sabots noirs. - Vous, les gamins, cessez de faire Un tel vacarme sur la terre Quand meurt en un logis voisin, Sur sa couche, un homme de bien. - Ne vous emportez point, ma femme, A l'heure ou doit partir mon ame; Laissez claquer sur le trottoir Les sabots blancs, les sabots noirs. - S'ils font ce bruit sous la fenetre, Nul n'entendra venir le pretre Ni la sonnette du bedeau Ni ceux qui tiennent les flambeaux. - Souliers de bois a forme antique, En ai-je fait dans ma boutique! Laissez claquer sur le trottoir Les sabots blancs, les sabots noirs. - Et qui dira d'une voix claire Les prieres reglementaires Comme Dieu meme le prescrit, Sans que se trouble son esprit? - J'ecoute au loin tourner leur ronde Avec mon ame, avec le monde; Laissez claquer sur le trottoir Les sabots blancs, les sabots noirs. - Tant que sautent dans la rue Ces soques dures et bourrues, Aucun ange ne chantera Pour votre mort l'alleluia! - Afin de mieux rythmer leur danse, Tournent les feux du ciel immense. Laissez claquer au fond du soir Les sabots blancs, les sabots noirs. Le Mort En contournant le presbytere Les morts d'ici s'en vont en terre. Le menuisier quitte son banc Pour voir passer les cercueils blancs. La servante de l'archipretre Met ses grands yeux la a fenetre. Les quatre enfants du colporteur Cessent leurs jeux devastateurs. Et pres du seuil, fumant sa pipe, Se tient le vieux marchand de nippes. Le mort repose sur son dos parmi la paille et les copeaux. Chacun l'y voit, mal a son aise, Ses os pointus heurtant la caisse. Aucun cercueil n'est sans defauts, L'un est trop bas, l'autre est trop haut. Et les porteurs qui le trimbalent Ont les epaules inegales. Au carrefour de "l'Arbre aux rats" Le vent souleve un coin du drap. Les quatre planches de la biere Ont comme peur de la lumiere. On voit les clous, on voit la croix; Chacun songe: "Le mort a froid." On sait qu'a peine une chemise Couvre sa peau rugueuse et grise, Qu'au jour tonnant du jugement Il paraitra sans vetements, Et plein de honte, et pauvre et bleme, Et grelottant devant Dieu meme. Le cortege longe les pres Et la ferme du Prieure. Le mort, jadis, mena sa herse Parmi les champs que l'on traverse. Dans le mois d'aout, en plein soleil, Il y fauchait orge et meteil. Son coeur avait pour habitude De se pencher sur ce sol rude, De lui parler a mots tout bas, Le soir, lorsque les bras sont las. Ses doigts etaient heureux de prendre A ce champ noir un peu de cendre, De l'emporter a la maison Pour en sentir pres des tisons, Lorsque l'on cause a la nuit proche, Les mottes seches, dans ses poches. Le cimetiere aux buis epais Leve la-bas ses trois cypres. Le fossoyeur, avec sa beche, Creuse la terre ocreuse et seche. Sa bru l'a reveille trop tard Et le travail est en retard. Le sang lui bout dans chaque artere, A voir de loin venir la biere. Sa colere s'en prend au mort, Et pour soudain marquer le tort Que ce defunt maudit lui cause, Feroce, il crache dans la fosse. Des pas sonnent sur le talus, Se rapprochant de plus en plus. Le cimetiere ouvre ses grilles A ceux qui sont de la famille. Le ciel est noir, le vent est fou, Le mort est la, devant son trou. Entre la biere et la terre orde Le fossoyeur glisse ses cordes. Avec un bruit terrible et creux Elles serrent le bois rugueux. Aucun sanglot ne fait entendre Sa douleur lourde, immense et tendre. Et dans la nuit et le neant, Immensement le mort descend. Les Ailes rouges de la Guerre Ceux de Liege Dut la guerre mortelle et sacrilege Broyer notre pays de combats en combats, Jamais, sous le soleil, une ame n'oubliera Ceux qui sont morts pour le monde, la-bas, A Liege. Ainsi qu'une montagne Qui marcherait et laisserait tomber par chocs Ses blocs, Sur les villes et les campagnes, S'avancait la pesante et feroce Allemagne. Oh tragique moment, Les gens fuyaient vers l'inconnu, eperdument Seuls, ceux de Liege resisterent A ce sinistre ecroulement D'hommes et d'armes sur la terre. S'ils agirent ainsi, C'est qu'ils savaient qu'entre leurs mains etait remis Le sort De la Bretagne grande et de la France claire; Et qu'il fallait que leurs efforts, Apres s'etre acharnes, s'acharnassent encor En des efforts plus sanguinaires. Peu importait Qu'en ces temps sombres, Contre l'innombrable empire qu'ils affrontaient, Ils ne fussent qu'un petit nombre; A chaque heure du jour, Defendant et leur ville, et ses forts tour a tour, Ils livraient cent combats parmi les intervalles; Ils tuaient en courant, et ne se lassaient pas D'ensanglanter le sol a chacun de leurs pas Et d'etre prompts sous les rafales Des balles. Meme lorsque la nuit, dans le ciel sulfureux, Un Zeppelin rodeur passait au-dessus d'eux, Les designant aux coups par sa brusque lumiere, Nul ne reculait, fut-ce d'un pas, en arriere, Mais, tous, ils bondissaient d'un si farouche elan, En avant, Que la place qu'ils occupaient demeurait vide Quand y frappait la mort rapide. A l'attaque, sur les glacis, Quand, rang par rang, se presentaient les ennemis, Sous l'eclair courbe et regulier des mitrailleuses, Un tir serre, qui, tout a coup, se dilatait, Immensement les rejetait, Et, rang par rang, les abattait Sur la terre silencieuse. Chaudfontaine et Loncin, et Boncelle et Barchon, Retentissaient du bruit d'acier de leurs coupoles; Ils assumaient la nuit, le jour, sur leurs epaules, La charge et le tonnerre et l'effroi des canons. A nos troupes couchees, Dans les tranchees, Des gamines et des gamins Distribuaient le pain Et rapportaient la biere Avec la bonne humeur indomptee et guerriere. On y parlait d'exploits accomplis simplement Et comme, a tel moment, Le meilleur des regiments Fut a tel point fureur, carnage et foudroiement, Que jamais troupe de guerre Ne fut plus ferme et plus terrible sur la terre. La ville entiere s'exaltait De vivre sous la foudre; L'heroisme s'y respirait, Comme la poudre; Le coeur humain s'y composait D'une neuve substance Et le prodige y grandissait Chaque existence: Tout s'y passait dans l'ordre intense et surhumain. ï vous, les hommes de demain, Dut la guerre mortelle et sacrilege Meme nous ecraser dans un dernier combat, Jamais, sous le soleil, une ame n'oubliera, Ceux qui sont morts pour le monde, la-bas, A Liege. Poemes legendaries de Flandre et de Brabant Le Banquet des gueux La joie Des yeux qui voient S'emplir, jusques aux bords, Les hanaps d'or, Illuminait tous les visages; On se sentait unis; on se revait vainqueurs. La bonne et joviale humeur Passait Du front ardent des fous au front grave des sages. Mais, neanmoins, il se melait Au bruit entrechoque des coupes, Tels mots soudain qui s'en allaient, De groupe en groupe, Braises en feu, bruler les coeurs. L'heure etait grave; elle angoissait les consciences. L'oblique et louche et souterraine defiance Se glissait dans le peuple et atteignait les rois. Comme un mur foudroye se divisait la foi. Deux grands fleuves sourdaient de la meme montagne: Rome avait pour garant latin, le roi d'Espagne, Tandis qu'au Nord, ceux qui pesaient sur l'ordre humain Defendaient tous Martin Luther, moine germain. Les convives causaient, heureux les uns des autres; Certains des plus ardents s'improvisaient apotres, Et, pour prouver leur droit, se reclamaient de Dieu. Les uns raillaient, a voix haute, Philippe Deux. Ils se moquaient de ses buchers expiatoires, Trones de bleme effroi, trones de piete noire, Qu'il allumait, sinistrement, autour du sien. D'aucuns lui refusaient jusqu'au nom de chretien: Au lieu de les sauver, il affolait les ames. Son pouvoir etait tel qu'un grand drapeau de flammes Qui frolerait, de ville en bourg, chaque maison, Jusques au soir, ou brulerait tout l'horizon. Le comte de Mansfeld regardait la lumiere Grouper en un faisceau d'argent Les clartes de son verre; Il pressentait combien l'accord etait urgent; Et de sa levre ferme il disait la louange Et la force secrete et le prestige etrange Et les dons souverains de Guillaume d'Orange. Et les bons mots croisaient les quolibets De l'un a l'autre bout des tables; Et l'on jouait, vaillamment, entre cadets, Du gobelet; ï leur rire apre et franc et leur verve indomptable Et leur soudaine joie a prononcer le nom Victorieux et redoutable De Lamoral, comte d'Egmont! On s'exaltait ainsi, et la vie etait fiere. De prestes echansons passaient, le bras orne De la sveltesse en col de cygne des aiguieres; Les desirs fous cavalcadaient eperonnes; La table etincelait sous des lustres de joie. Les plats unis et clairs miraient les hanaps tors, Et les pourpoints de vair et les manches de soie, Et les mains au sang bleu dont les bagues chatoient Se remuaient dans l'or. Alors, Au moment ou l'entente etait a tel point chaude Qu'on se fut ligue, fut-ce contre le soleil, Le comte Henri de BREDERODE, Frappant trois coups subits sur un plateau vermeil, Donna l'eveil A ses valets epars qui comprirent son ordre. Et tout a coup, dans le desordre Des soucoupes d'argent et des buires d'email, Sur la nappe ou stagnaient des lueurs de vitrail, A travers l'apparat des feux et des vaisselles, Fut projete, en ribambelle, Un tas de pots, un tas d'ecuelles, Que des mains de seigneurs, gaiment, se disputaient. Parmi les plus hardis, Brederode prit place, Et revetant l'humble besace, Et dessechant son broc fruste et rugueux, D'un trait: "Puisqu'ils nous ont jete ce mot comme un outrage, Nous serons tous, dit-il superbement, des gueux; Des gueux d'orgueil, des gueux de rage, Des gueux." Et le mot ricocha soudain, de bouche en bouche. On ne sait quel eclair, quelle flamme farouche Il portait comme aigrette, en son rapide envol. Il paraissait pauvre et vaillant, tragique et fol; Les plus graves seigneurs l'acceptaient comme une arme; Les plus hautement fiers y decouvraient un charme; On eut dit qu'il comblait leurs v?ux et leurs souhaits; Il etait la bravade unie a la surprise Et quelques-uns deja le melaient aux devises Que leur esprit railleur et violent cherchait. On se serrait les mains en de brusques etreintes; On prodiguait les sarcasmes et les serments; Les coeurs se fleurissaient de rouges devouments Et les ames se devoilaient belles, sans crainte; Et le pain et le sel se melangeaient au vin. Certains mots s'envolaient qui ne voulaient rien dire, Mais la fievre etait haute et large le delire. Tous comprenaient que rien ne se faisait en vain En cette heure de jeune et terrible folie; Qu'ensemble ils denouaient le noeud qui tient le sort; Et que tous ayant bu les superbes vins forts, Chacun en sablerait, jusque devant la mort, La lie.