, vous l'avez entendue, c'est de vous poursuivre sur la terre au tribunal des hommes, dans le ciel au tribunal de Dieu ! " -- Ainsi, vous persistez ? " -- Je le jure devant ce Dieu qui m'entend : je prendrai le monde entier Á tÊmoin de votre crime, et cela jusqu'Á ce que j'aie trouvÊ un vengeur. " -- Vous Ëtes une prostituÊe, dit-il d'une voix tonnante, et vous subirez le supplice des prostituÊes ! FlÊtrie aux yeux du monde que vous invoquerez, t×chez de prouver Á ce monde que vous n'Ëtes ni coupable ni folle ! " " Puis s'adressant Á l'homme qui l'accompagnait : " -- Bourreau, dit-il, fais ton devoir. " -- Oh ! son nom, son nom ! s'Êcria Felton ; son nom, dites-le-moi ! -- Alors, malgrÊ mes cris, malgrÊ ma rÊsistance, car je commenÚais Á comprendre qu'il s'agissait pour moi de quelque chose de pire que la mort, le bourreau me saisit, me renversa sur le parquet, me meurtrit de ses Êtreintes, et suffoquÊe par les sanglots, presque sans connaissance, invoquant Dieu, qui ne m'Êcoutait pas, je poussai tout Á coup un effroyable cri de douleur et de honte ; un fer brÙlant, un fer rouge, le fer du bourreau, s'Êtait imprimÊ sur mon Êpaule. " Felton poussa un rugissement. " Tenez, dit Milady, en se levant alors avec une majestÊ de reine, -- tenez, Felton, voyez comment on a inventÊ un nouveau martyre pour la jeune fille pure et cependant victime de la brutalitÊ d'un scÊlÊrat. Apprenez Á connaÏtre le coeur des hommes, et dÊsormais faites-vous moins facilement l'instrument de leurs injustes vengeances. " Milady d'un geste rapide ouvrit sa robe, dÊchira la batiste qui couvrait son sein, et, rouge d'une feinte colÉre et d'une honte jouÊe, montra au jeune homme l'empreinte ineffaÚable qui dÊshonorait cette Êpaule si belle. " Mais, s'Êcria Felton, c'est une fleur de lys que je vois lÁ ! -- Et voilÁ justement oÝ est l'infamie, rÊpondit Milady. La flÊtrissure d'Angleterre !... il fallait prouver quel tribunal me l'avait imposÊe, et j'aurais fait un appel public Á tous les tribunaux du royaume ; mais la flÊtrissure de France... oh ! par elle, j'Êtais bien rÊellement flÊtrie. " C'en Êtait trop pour Felton. P×le, immobile, ÊcrasÊ par cette rÊvÊlation effroyable, Êbloui par la beautÊ surhumaine de cette femme qui se dÊvoilait Á lui avec une impudeur qu'il trouva sublime, il finit par tomber Á genoux devant elle comme faisaient les premiers chrÊtiens devant ces pures et saintes martyres que la persÊcution des empereurs livrait dans le cirque Á la sanguinaire lubricitÊ des populaces. La flÊtrissure disparut, la beautÊ seule resta. " Pardon, pardon ! s'Êcria Felton, oh ! pardon ! " Milady lut dans ses yeux : Amour, amour. " Pardon de quoi ? demanda-t-elle. -- Pardon de m'Ëtre joint Á vos persÊcuteurs. " Milady lui tendit la main. " Si belle, si jeune ! " s'Êcria Felton en couvrant cette main de baisers. Milady laissa tomber sur lui un de ces regards qui d'un esclave font un roi. Felton Êtait puritain : il quitta la main de cette femme pour baiser ses pieds. Il ne l'aimait dÊjÁ plus, il l'adorait. Quand cette crise fut passÊe, quand Milady parut avoir recouvrÊ son sang-froid, qu'elle n'avait jamais perdu ; lorsque Felton eut vu se refermer sous le voile de la chastetÊ ces trÊsors d'amour qu'on ne lui cachait si bien que pour les lui faire dÊsirer plus ardemment : " Ah ! maintenant, dit-il, je n'ai plus qu'une chose Á vous demander, c'est le nom de votre vÊritable bourreau ; car pour moi il n'y en a qu'un ; l'autre Êtait l'instrument, voilÁ tout. -- Eh quoi, frÉre ! s'Êcria Milady, il faut encore que je te le nomme, et tu ne l'as pas devinÊ ? -- Quoi ! reprit Felton, lui !... encore lui !... toujours lui !... Quoi ! le vrai coupable... -- Le vrai coupable, dit Milady, c'est le ravageur de l'Angleterre, le persÊcuteur des vrais croyants, le l×che ravisseur de l'honneur de tant de femmes, celui qui pour un caprice de son coeur corrompu va faire verser tant de sang Á deux royaumes, qui protÉge les protestants aujourd'hui et qui les trahira demain... -- Buckingham ! c'est donc Buckingham ! " s'Êcria Felton exaspÊrÊ. Milady cacha son visage dans ses mains, comme si elle n'eÙt pu supporter la honte que lui rappelait ce nom. " Buckingham, le bourreau de cette angÊlique crÊature ! s'Êcria Felton. Et tu ne l'as pas foudroyÊ, mon Dieu ! et tu l'as laissÊ noble, honorÊ, puissant pour notre perte Á tous ! -- Dieu abandonne qui s'abandonne lui-mËme, dit Milady. -- Mais il veut donc attirer sur sa tËte le ch×timent rÊservÊ aux maudits ! continua Felton avec une exaltation croissante, il veut donc que la vengeance humaine prÊvienne la justice cÊleste ! -- Les hommes le craignent et l'Êpargnent. -- Oh ! moi, dit Felton, je ne le crains pas et je ne l'Êpargnerai pas !... " Milady sentit son ×me baignÊe d'une joie infernale. " Mais comment Lord de Winter, mon protecteur, mon pÉre, demanda Felton, se trouve-t-il mËlÊ Á tout cela ? -- Ecoutez, Felton, reprit Milady, car Á cÆtÊ des hommes l×ches et mÊprisables, il est encore des natures grandes et gÊnÊreuses. J'avais un fiancÊ, un homme que j'aimais et qui m'aimait ; un coeur comme le vÆtre, Felton, un homme comme vous. Je vins Á lui et je lui racontai tout ;, il me connaissait, celui-lÁ, et ne douta point un instant. C'Êtait un grand seigneur, c'Êtait un homme en tout point l'Êgal de Buckingham. Il ne dit rien, il ceignit seulement son ÊpÊe, s'enveloppa de son manteau et se rendit Á Buckingham Palace. -- Oui, oui, dit Felton, je comprends ; quoique avec de pareils hommes ce ne soit pas l'ÊpÊe qu'il faille employer, mais le poignard. -- Buckingham Êtait parti depuis la veille, envoyÊ comme ambassadeur en Espagne, oÝ il allait demander la main de l'infante pour le roi Charles Ier, qui n'Êtait alors que prince de Galles. Mon fiancÊ revint. " -- Ecoutez, me dit-il, cet homme est parti, et pour le moment, par consÊquent, il Êchappe Á ma vengeance ; mais en attendant soyons unis, comme nous devions l'Ëtre, puis rapportez-vous-en Á Lord de Winter pour soutenir son honneur et celui de sa femme. " -- Lord de Winter ! s'Êcria Felton. -- Oui, dit Milady, Lord de Winter, et maintenant vous devez tout comprendre, n'est-ce pas ? Buckingham resta plus d'un an absent. Huit jours avant son arrivÊe, Lord de Winter mourut subitement, me laissant sa seule hÊritiÉre. D'oÝ venait le coup ? Dieu, qui sait tout, le sait sans doute, moi je n'accuse personne... -- Oh ! quel abÏme, quel abÏme ! s'Êcria Felton. -- Lord de Winter Êtait mort sans rien dire Á son frÉre. Le secret terrible devait Ëtre cachÊ Á tous, jusqu'Á ce qu'il Êclat×t comme la foudre sur la tËte du coupable. Votre protecteur avait vu avec peine ce mariage de son frÉre aÏnÊ avec une jeune fille sans fortune. Je sentis que je ne pouvais attendre d'un homme trompÊ dans ses espÊrances d'hÊritage aucun appui. Je passai en France rÊsolue Á y demeurer pendant tout le reste de ma vie. Mais toute ma fortune est en Angleterre ; les communications fermÊes par la guerre, tout me manqua : force fut alors d'y revenir ; il y a six jours j'abordais Á Portsmouth. -- Eh bien ? dit Felton. -- Eh bien, Buckingham apprit sans doute mon retour, il en parla Á Lord de Winter, dÊjÁ prÊvenu contre moi, et lui dit que sa belle-soeur Êtait une prostituÊe, une femme flÊtrie. La voix pure et noble de mon mari n'Êtait plus lÁ pour me dÊfendre. Lord de Winter crut tout ce qu'on lui dit, avec d'autant plus de facilitÊ qu'il avait intÊrËt Á le croire. Il me fit arrËter, me conduisit ici, me remit sous votre garde. Vous savez le reste : aprÉs-demain il me bannit, il me dÊporte ; aprÉs-demain il me relÉgue parmi les inf×mes. Oh ! la trame est bien ourdie, allez ! le complot est habile et mon honneur n'y survivra pas. Vous voyez bien qu'il faut que je meure, Felton ; Felton, donnez-moi ce couteau ! " Et Á ces mots, comme si toutes ses forces Êtaient ÊpuisÊes, Milady se laissa aller dÊbile et languissante entre les bras du jeune officier, qui, ivre d'amour, de colÉre et de voluptÊs inconnues, la reÚut avec transport, la serra contre son coeur, tout frissonnant Á l'haleine de cette bouche si belle, tout Êperdu au contact de ce sein si palpitant. " Non, non, dit-il ; non, tu vivras honorÊe et pure, tu vivras pour triompher de tes ennemis. " Milady le repoussa lentement de la main en l'attirant du regard ; mais Felton, Á son tour, s'empara d'elle, l'implorant comme une divinitÊ. " Oh ! la mort, la mort ! dit-elle en voilant sa voix et ses paupiÉres, oh ! la mort plutÆt que la honte ; Felton, mon frÉre, mon ami, je t'en conjure ! -- Non, s'Êcria Felton, non, tu vivras, et tu seras vengÊe ! -- Felton, je porte malheur Á tout ce qui m'entoure ! Felton, abandonne-moi ! Felton, laisse-moi mourir ! -- Eh bien, nous mourrons donc ensemble ! " s'Êcria-t-il en appuyant ses lÉvres sur celles de la prisonniÉre. Plusieurs coups retentirent Á la porte ; cette fois, Milady le repoussa rÊellement. " Ecoute, dit-elle, on nous a entendus, on vient ! c'en est fait, nous sommes perdus ! -- Non, dit Felton, c'est la sentinelle qui me prÊvient seulement qu'une ronde arrive. -- Alors, courez Á la porte et ouvrez vous-mËme. " Felton obÊit ; cette femme Êtait dÊjÁ toute sa pensÊe, toute son ×me. Il se trouva en face d'un sergent commandant une patrouille de surveillance. " Eh bien, qu'y a-t-il ? demanda le jeune lieutenant. -- Vous m'aviez dit d'ouvrir la porte si j'entendais crier au secours, dit le soldat, mais vous aviez oubliÊ de me laisser la clef ; je vous ai entendu crier sans comprendre ce que vous disiez, j'ai voulu ouvrir la porte, elle Êtait fermÊe en dedans, alors j'ai appelÊ le sergent. -- Et me voilÁ " , dit le sergent. Felton, ÊgarÊ, presque fou, demeurait sans voix. Milady comprit que c'Êtait Á elle de s'emparer de la situation, elle courut Á la table et prit le couteau qu'y avait dÊposÊ Felton : " Et de quel droit voulez-vous m'empËcher de mourir ? dit-elle. -- Grand Dieu ! " s'Êcria Felton en voyant le couteau luire Á sa main. En ce moment, un Êclat de rire ironique retentit dans le corridor. Le baron, attirÊ par le bruit, en robe de chambre, son ÊpÊe sous le bras, se tenait debout sur le seuil de la porte. " Ah ! ah ! dit-il, nous voici au dernier acte de la tragÊdie ; vous le voyez, Felton, le drame a suivi toutes les phases que j'avais indiquÊes ; mais soyez tranquille, le sang ne coulera pas. " Milady comprit qu'elle Êtait perdue si elle ne donnait pas Á Felton une preuve immÊdiate et terrible de son courage. " Vous vous trompez, Milord, le sang coulera, et puisse ce sang retomber sur ceux qui le font couler ! " Felton jeta un cri et se prÊcipita vers elle ; il Êtait trop tard : Milady s'Êtait frappÊe. Mais le couteau avait rencontrÊ, heureusement, nous devrions dire adroitement, le busc de fer qui, Á cette Êpoque, dÊfendait comme une cuirasse la poitrine des femmes ; il avait glissÊ en dÊchirant la robe, et avait pÊnÊtrÊ de biais entre la chair et les cÆtes. La robe de Milady n'en fut pas moins tachÊe de sang en une seconde. Milady Êtait tombÊe Á la renverse et semblait Êvanouie. Felton arracha le couteau. " Voyez, Milord, dit-il d'un air sombre, voici une femme qui Êtait sous ma garde et qui s'est tuÊe ! -- Soyez tranquille, Felton, dit Lord de Winter, elle n'est pas morte, les dÊmons ne meurent pas si facilement, soyez tranquille et allez m'attendre chez moi. -- Mais, Milord... -- Allez, je vous l'ordonne. " A cette injonction de son supÊrieur, Felton obÊit ; mais, en sortant, il mit le couteau dans sa poitrine. Quant Á Lord de Winter, il se contenta d'appeler la femme qui servait Milady et, lorsqu'elle fut venue, lui recommandant la prisonniÉre toujours Êvanouie, il la laissa seule avec elle. Cependant, comme Á tout prendre, malgrÊ ses soupÚons, la blessure pouvait Ëtre grave, il envoya, Á l'instant mËme, un homme Á cheval chercher un mÊdecin. CHAPITRE LVIII. EVASION Comme l'avait pensÊ Lord de Winter, la blessure de Milady n'Êtait pas dangereuse ; aussi dÉs qu'elle se trouva seule avec la femme que le baron avait fait appeler et qui se h×tait de la dÊshabiller, rouvrit-elle les yeux. Cependant, il fallait jouer la faiblesse et la douleur ; ce n'Êtaient pas choses difficiles pour une comÊdienne comme Milady ; aussi la pauvre femme fut-elle si complÉtement dupe de sa prisonniÉre, que, malgrÊ ses instances, elle s'obstina Á la veiller toute la nuit. Mais la prÊsence de cette femme n'empËchait pas Milady de songer. Il n'y avait plus de doute, Felton Êtait convaincu, Felton Êtait Á elle : un ange apparÙt-il au jeune homme pour accuser Milady, il le prendrait certainement, dans la disposition d'esprit oÝ il se trouvait, pour un envoyÊ du dÊmon. Milady souriait Á cette pensÊe, car Felton, c'Êtait dÊsormais sa seule espÊrance, son seul moyen de salut. Mais Lord de Winter pouvait l'avoir soupÚonnÊ, mais Felton maintenant pouvait Ëtre surveillÊ lui-mËme. Vers les quatre heures du matin, le mÊdecin arriva ; mais depuis le temps oÝ Milady s'Êtait frappÊe, la blessure s'Êtait dÊjÁ refermÊe : le mÊdecin ne put donc en mesurer ni la direction, ni la profondeur ; il reconnut seulement au pouls de la malade que le cas n'Êtait point grave. Le matin, Milady, sous prÊtexte qu'elle n'avait pas dormi de la nuit et qu'elle avait besoin de repos, renvoya la femme qui veillait prÉs d'elle. Elle avait une espÊrance, c'est que Felton arriverait Á l'heure du dÊjeuner, mais Felton ne vint pas. Ses craintes s'Êtaient-elles rÊalisÊes ? Felton, soupÚonnÊ par le baron, allait-il lui manquer au moment dÊcisif ? Elle n'avait plus qu'un jour : Lord de Winter lui avait annoncÊ son embarquement pour le 23 et l'on Êtait arrivÊ au matin du 22. NÊanmoins, elle attendit encore assez patiemment jusqu'Á l'heure du dÏner. Quoiqu'elle n'eÙt pas mangÊ le matin, le dÏner fut apportÊ Á l'heure habituelle ; Milady s'aperÚut alors avec effroi que l'uniforme des soldats qui la gardaient Êtait changÊ. Alors elle se hasarda Á demander ce qu'Êtait devenu Felton. On lui rÊpondit que Felton Êtait montÊ Á cheval il y avait une heure, et Êtait parti. Elle s'informa si le baron Êtait toujours au ch×teau ; le soldat rÊpondit que oui, et qu'il avait ordre de le prÊvenir si la prisonniÉre dÊsirait lui parler. Milady rÊpondit qu'elle Êtait trop faible pour le moment, et que son seul dÊsir Êtait de demeurer seule. Le soldat sortit, laissant le dÏner servi. Felton Êtait ÊcartÊ, les soldats de marine Êtaient changÊs, on se dÊfiait donc de Felton. C'Êtait le dernier coup portÊ Á la prisonniÉre. RestÊe seule, elle se leva ; ce lit oÝ elle se tenait par prudence et pour qu'on la crÙt gravement blessÊe, la brÙlait comme un brasier ardent. Elle jeta un coup d'oeil sur la porte : le baron avait fait clouer une planche sur le guichet ; il craignait sans doute que, par cette ouverture, elle ne parvÏnt encore, par quelque moyen diabolique, Á sÊduire les gardes. Milady sourit de joie ; elle pouvait donc se livrer Á ses transports sans Ëtre observÊe : elle parcourait la chambre avec l'exaltation d'une folle furieuse ou d'une tigresse enfermÊe dans une cage de fer. Certes, si le couteau lui fÙt restÊ, elle eÙt songÊ, non plus Á se tuer elle-mËme, mais, cette fois, Á tuer le baron. A six heures, Lord de Winter entra ; il Êtait armÊ jusqu'aux dents. Cet homme, dans lequel, jusque-lÁ, Milady n'avait vu qu'un gentleman assez niais, Êtait devenu un admirable geÆlier : il semblait tout prÊvoir, tout deviner, tout prÊvenir. Un seul regard jetÊ sur Milady lui apprit ce qui se passait dans son ×me. " Soit, dit-il, mais vous ne me tuerez point encore aujourd'hui ; vous n'avez plus d'armes, et d'ailleurs je suis sur mes gardes. Vous aviez commencÊ Á pervertir mon pauvre Felton : il subissait dÊjÁ votre infernale influence, mais je veux le sauver, il ne vous verra plus, tout est fini. Rassemblez vos hardes, demain vous partirez. J'avais fixÊ l'embarquement au 24, mais j'ai pensÊ que plus la chose serait rapprochÊe, plus elle serait sÙre. Demain Á midi j'aurai l'ordre de votre exil, signÊ Buckingham. Si vous dites un seul mot Á qui que ce soit avant d'Ëtre sur le navire, mon sergent vous fera sauter la cervelle, et il en a l'ordre ; si, sur le navire, vous dites un mot Á qui que ce soit avant que le capitaine vous le permette, le capitaine vous fait jeter Á la mer, c'est convenu. Au revoir, voilÁ ce que pour aujourd'hui j'avais Á vous dire. Demain je vous reverrai pour vous faire mes adieux ! " Et sur ces paroles le baron sortit. Milady avait ÊcoutÊ toute cette menaÚante tirade le sourire du dÊdain sur les lÉvres, mais la rage dans le coeur. On servit le souper ; Milady sentit qu'elle avait besoin de forces, elle ne savait pas ce qui pouvait se passer pendant cette nuit qui s'approchait menaÚante, car de gros nuages roulaient au ciel, et des Êclairs lointains annonÚaient un orage. L'orage Êclata vers les dix heures du soir : Milady sentait une consolation Á voir la nature partager le dÊsordre de son coeur ; la foudre grondait dans l'air comme la colÉre dans sa pensÊe ; il lui semblait que la rafale, en passant, Êchevelait son front comme les arbres dont elle courbait les branches et enlevait les feuilles ; elle hurlait comme l'ouragan, et sa voix se perdait dans la grande voix de la nature, qui, elle aussi, semblait gÊmir et se dÊsespÊrer. Tout Á coup elle entendit frapper Á une vitre, et, Á la lueur d'un Êclair, elle vit le visage d'un homme apparaÏtre derriÉre les barreaux. Elle courut Á la fenËtre et l'ouvrit. " Felton ! s'Êcria-t-elle, je suis sauvÊe ! -- Oui, dit Felton ! mais silence, silence ! il me faut le temps de scier vos barreaux. Prenez garde seulement qu'ils ne vous voient par le guichet. -- Oh ! c'est une preuve que le Seigneur est pour nous, Felton, reprit Milady, ils ont fermÊ le guichet avec une planche. -- C'est bien, Dieu les a rendus insensÊs ! dit Felton. -- Mais que faut-il que je fasse ? demanda Milady. -- Rien, rien ; refermez la fenËtre seulement. Couchez-vous, ou, du moins, mettez-vous dans votre lit tout habillÊe ; quand j'aurai fini, je frapperai aux carreaux. Mais pourrez-vous me suivre ? -- Oh ! oui. -- Votre blessure ? -- Me fait souffrir, mais ne m'empËche pas de marcher. -- Tenez-vous donc prËte au premier signal. " Milady referma la fenËtre, Êteignit la lampe, et alla, comme le lui avait recommandÊ Felton, se blottir dans son lit. Au milieu des plaintes de l'orage, elle entendait le grincement de la lime contre les barreaux, et, Á la lueur de chaque Êclair, elle apercevait l'ombre de Felton derriÉre les vitres. Elle passa une heure sans respirer, haletante, la sueur sur le front, et le coeur serrÊ par une Êpouvantable angoisse Á chaque mouvement qu'elle entendait dans le corridor. Il y a des heures qui durent une annÊe. Au bout d'une heure, Felton frappa de nouveau. Milady bondit hors de son lit et alla ouvrir. Deux barreaux de moins formaient une ouverture Á passer un homme. " Etes-vous prËte ? demanda Felton. -- Oui. Faut-il que j'emporte quelque chose ? -- De l'or, si vous en avez. -- Oui, heureusement on m'a laissÊ ce que j'en avais. -- Tant mieux, car j'ai usÊ tout le mien pour frÊter une barque. -- Prenez " , dit Milady en mettant aux mains de Felton un sac plein d'or. Felton prit le sac et le jeta au pied du mur. " Maintenant, dit-il, voulez-vous venir ? -- Me voici. " Milady monta sur un fauteuil et passa tout le haut de son corps par la fenËtre : elle vit le jeune officier suspendu au-dessus de l'abÏme par une Êchelle de corde. Pour la premiÉre fois, un mouvement de terreur lui rappela qu'elle Êtait femme. Le vide l'Êpouvantait. " Je m'en Êtais doutÊ, dit Felton. -- Ce n'est rien, ce n'est rien, dit Milady, je descendrai les yeux fermÊs. -- Avez-vous confiance en moi ? dit Felton. -- Vous le demandez ? -- Rapprochez vos deux mains ; croisez-les, c'est bien. " Felton lui lia les deux poignets avec son mouchoir, puis par-dessus le mouchoir, avec une corde. " Que faites-vous ? demanda Milady avec surprise. -- Passez vos bras autour de mon cou et ne craignez rien. -- Mais je vous ferai perdre l'Êquilibre, et nous nous briserons tous les deux. -- Soyez tranquille, je suis marin. " Il n'y avait pas une seconde Á perdre ; Milady passa ses deux bras autour du cou de Felton et se laissa glisser hors de la fenËtre. Felton se mit Á descendre les Êchelons lentement et un Á un. MalgrÊ la pesanteur des deux corps, le souffle de l'ouragan les balanÚait dans l'air. Tout Á coup Felton s'arrËta. " Qu'y a-t-il ? demanda Milady. -- Silence, dit Felton, j'entends des pas. -- Nous sommes dÊcouverts ! " Il se fit un silence de quelques instants. " Non, dit Felton, ce n'est rien. -- Mais enfin quel est ce bruit ? -- Celui de la patrouille qui va passer sur le chemin de ronde. -- OÝ est le chemin de ronde ? -- Juste au-dessous de nous. -- Elle va nous dÊcouvrir. -- Non, s'il ne fait pas d'Êclairs. -- Elle heurtera le bas de l'Êchelle. -- Heureusement elle est trop courte de six pieds. -- Les voilÁ, mon Dieu ! -- Silence ! " Tous deux restÉrent suspendus, immobiles et sans souffle, Á vingt pieds du sol ; pendant ce temps les soldats passaient au-dessous riant et causant. Il y eut pour les fugitifs un moment terrible. La patrouille passa ; on entendit le bruit des pas qui s'Êloignait, et le murmure des voix qui allait s'affaiblissant. " Maintenant, dit Felton, nous sommes sauvÊs. " Milady poussa un soupir et s'Êvanouit. Felton continua de descendre. Parvenu au bas de l'Êchelle, et lorsqu'il ne sentit plus d'appui pour ses pieds, il se cramponna avec ses mains ; enfin, arrivÊ au dernier Êchelon, il se laissa pendre Á la force des poignets et toucha la terre. Il se baissa, ramassa le sac d'or et le prit entre ses dents. Puis il souleva Milady dans ses bras, et s'Êloigna vivement du cÆtÊ opposÊ Á celui qu'avait pris la patrouille. BientÆt il quitta le chemin de ronde, descendit Á travers les rochers, et, arrivÊ au bord de la mer, fit entendre un coup de sifflet. Un signal pareil lui rÊpondit, et, cinq minutes aprÉs, il vit apparaÏtre une barque montÊe par quatre hommes. La barque s'approcha aussi prÉs qu'elle put du rivage, mais il n'y avait pas assez de fond pour qu'elle pÙt toucher le bord ; Felton se mit Á l'eau jusqu'Á la ceinture, ne voulant confier Á personne son prÊcieux fardeau. Heureusement la tempËte commenÚait Á se calmer, et cependant la mer Êtait encore violente ; la petite barque bondissait sur les vagues comme une coquille de noix. " Au sloop, dit Felton, et nagez vivement. " Les quatre hommes se mirent Á la rame ; mais la mer Êtait trop grosse pour que les avirons eussent grande prise dessus. Toutefois on s'Êloignait du ch×teau ; c'Êtait le principal. La nuit Êtait profondÊment tÊnÊbreuse, et il Êtait dÊjÁ presque impossible de distinguer le rivage de la barque, Á plus forte raison n'eÙt-on pas pu distinguer la barque du rivage. Un point noir se balanÚait sur la mer. C'Êtait le sloop. Pendant que la barque s'avanÚait de son cÆtÊ de toute la force de ses quatre rameurs, Felton dÊliait la corde, puis le mouchoir qui liait les mains de Milady. Puis, lorsque ses mains furent dÊliÊes, il prit de l'eau de la mer et la lui jeta au visage. Milady poussa un soupir et ouvrit les yeux. " OÝ suis-je ? dit-elle. -- SauvÊe, rÊpondit le jeune officier. -- Oh ! sauvÊe ! sauvÊe ! s'Êcria-t-elle. Oui, voici le ciel, voici la mer ! Cet air que je respire, c'est celui de la libertÊ. Ah !... merci, Felton, merci ! " Le jeune homme la pressa contre son coeur. " Mais qu'ai-je donc aux mains ? demanda Milady ; il me semble qu'on m'a brisÊ les poignets dans un Êtau. " En effet, Milady souleva ses bras : elle avait les poignets meurtris. " HÊlas ! dit Felton en regardant ces belles mains et en secouant doucement la tËte. -- Oh ! ce n'est rien, ce n'est rien ! s'Êcria Milady : maintenant je me rappelle ! " Milady chercha des yeux autour d'elle. " Il est lÁ " , dit Felton en poussant du pied le sac d'or. On s'approchait du sloop. Le marin de quart hÊla la barque, la barque rÊpondit. " Quel est ce b×timent ? demanda Milady. -- Celui que j'ai frÊtÊ pour vous. -- OÝ va-t-il me conduire ? -- OÝ vous voudrez, pourvu que, moi, vous me jetiez Á Portsmouth. -- Qu'allez-vous faire Á Portsmouth ? demanda Milady. -- Accomplir les ordres de Lord de Winter, dit Felton avec un sombre sourire. -- Quels ordres ? demanda Milady. -- Vous ne comprenez donc pas ? dit Felton. -- Non ; expliquez-vous, je vous en prie. -- Comme il se dÊfiait de moi, il a voulu vous garder lui-mËme, et m'a envoyÊ Á sa place faire signer Á Buckingham l'ordre de votre dÊportation. -- Mais s'il se dÊfiait de vous, comment vous a-t-il confiÊ cet ordre ? -- Etais-je censÊ savoir ce que je portais ? -- C'est juste. Et vous allez Á Portsmouth ? -- Je n'ai pas de temps Á perdre : c'est demain le 23, et Buckingham part demain avec la flotte. -- Il part demain, pour oÝ part-il ? -- Pour La Rochelle. -- Il ne faut pas qu'il parte ! s'Êcria Milady, oubliant sa prÊsence d'esprit accoutumÊe. -- Soyez tranquille, rÊpondit Felton, il ne partira pas. " Milady tressaillit de joie ; elle venait de lire au plus profond du coeur du jeune homme : la mort de Buckingham y Êtait Êcrite en toutes lettres. " Felton... , dit-elle, vous Ëtes grand comme Judas MacchabÊe ! Si vous mourez, je meurs avec vous : voilÁ tout ce que je puis vous dire. -- Silence ! dit Felton, nous sommes arrivÊs. " En effet, on touchait au sloop. Felton monta le premier Á l'Êchelle et donna la main Á Milady, tandis que les matelots la soutenaient, car la mer Êtait encore fort agitÊe. Un instant aprÉs ils Êtaient sur le pont. " Capitaine, dit Felton, voici la personne dont je vous ai parlÊ, et qu'il faut conduire saine et sauve en France. -- Moyennant mille pistoles, dit le capitaine. -- Je vous en ai donnÊ cinq cents. -- C'est juste, dit le capitaine. -- Et voilÁ les cinq cents autres, reprit Milady, en portant la main au sac d'or. -- Non, dit le capitaine, je n'ai qu'une parole, et je l'ai donnÊe Á ce jeune homme ; les cinq cents autres pistoles ne me sont dues qu'en arrivant Á Boulogne. -- Et nous y arriverons ? -- Sains et saufs, dit le capitaine, aussi vrai que je m'appelle Jack Buttler. -- Eh bien, dit Milady, si vous tenez votre parole, ce n'est pas cinq cents, mais mille pistoles que je vous donnerai. -- Hurrah pour vous alors, ma belle dame, cria le capitaine, et puisse Dieu m'envoyer souvent des pratiques comme Votre Seigneurie ! -- En attendant, dit Felton, conduisez-nous dans la petite baie de Chichester, en avant de Portsmouth ; vous savez qu'il est convenu que vous nous conduirez lÁ. " Le capitaine rÊpondit en commandant la manoeuvre nÊcessaire, et vers les sept heures du matin le petit b×timent jetait l'ancre dans la baie dÊsignÊe. Pendant cette traversÊe, Felton avait tout racontÊ Á Milady : comment, au lieu d'aller Á Londres, il avait frÊtÊ le petit b×timent, comment il Êtait revenu, comment il avait escaladÊ la muraille en plaÚant dans les interstices des pierres, Á mesure qu'il montait, des crampons, pour assurer ses pieds, et comment enfin, arrivÊ aux barreaux, il avait attachÊ l'Êchelle, Milady savait le reste. De son cÆtÊ, Milady essaya d'encourager Felton dans son projet ; mais aux premiers mots qui sortirent de sa bouche, elle vit bien que le jeune fanatique avait plutÆt besoin d'Ëtre modÊrÊ que d'Ëtre affermi. Il fut convenu que Milady attendrait Felton jusqu'Á dix heures ; si Á dix heures il n'Êtait pas de retour, elle partirait. Alors, en supposant qu'il fÙt libre, il la rejoindrait en France, au couvent des CarmÊlites de BÊthune. CHAPITRE LIX. CE QUI SE PASSAIT A PORTSMOUTH LE 23 AOUT 1628 Felton prit congÊ de Milady comme un frÉre qui va faire une simple promenade prend congÊ de sa soeur en lui baisant la main. Toute sa personne paraissait dans son Êtat de calme ordinaire : seulement une lueur inaccoutumÊe brillait dans ses yeux, pareille Á un reflet de fiÉvre ; son front Êtait plus p×le encore que de coutume ; ses dents Êtaient serrÊes, et sa parole avait un accent bref et saccadÊ qui indiquait que quelque chose de sombre s'agitait en lui. Tant qu'il resta sur la barque qui le conduisait Á terre, il demeura le visage tournÊ du cÆtÊ de Milady, qui, debout sur le pont, le suivait des yeux. Tous deux Êtaient assez rassurÊs sur la crainte d'Ëtre poursuivis : on n'entrait jamais dans la chambre de Milady avant neuf heures ; et il fallait trois heures pour venir du ch×teau Á Londres. Felton mit pied Á terre, gravit la petite crËte qui conduisait au haut de la falaise, salua Milady une derniÉre fois, et prit sa course vers la ville. Au bout de cent pas, comme le terrain allait en descendant, il ne pouvait plus voir que le m×t du sloop. Il courut aussitÆt dans la direction de Portsmouth, dont il voyait en face de lui, Á un demi-mille Á peu prÉs, se dessiner dans la brume du matin les tours et les maisons. Au-delÁ de Portsmouth, la mer Êtait couverte de vaisseaux dont on voyait les m×ts, pareils Á une forËt de peupliers dÊpouillÊs par l'hiver, se balancer sous le souffle du vent. Felton, dans sa marche rapide, repassait ce que dix annÊes de mÊditations ascÊtiques et un long sÊjour au milieu des puritains lui avaient fourni d'accusations vraies ou fausses contre le favori de Jacques VI et de Charles Ier. Lorsqu'il comparait les crimes publics de ce ministre, crimes Êclatants, crimes europÊens, si on pouvait le dire, avec les crimes privÊs et inconnus dont l'avait chargÊ Milady, Felton trouvait que le plus coupable des deux hommes que renfermait Buckingham Êtait celui dont le public ne connaissait pas la vie. C'est que son amour si Êtrange, si nouveau, si ardent, lui faisait voir les accusations inf×mes et imaginaires de Lady de Winter, comme on voit au travers d'un verre grossissant, Á l'Êtat de monstres effroyables, des atomes imperceptibles en rÊalitÊ auprÉs d'une fourmi. La rapiditÊ de sa course allumait encore son sang ; l'idÊe qu'il laissait derriÉre lui, exposÊe Á une vengeance effroyable, la femme qu'il aimait ou plutÆt qu'il adorait comme une sainte, l'Êmotion passÊe, sa fatigue prÊsente, tout exaltait encore son ×me au-dessus des sentiments humains. Il entra Á Portsmouth vers les huit heures du matin ; toute la population Êtait sur pied ; le tambour battait dans les rues et sur le port ; les troupes d'embarquement descendaient vers la mer. Felton arriva au palais de l'AmirautÊ, couvert de poussiÉre et ruisselant de sueur ; son visage, ordinairement si p×le, Êtait pourpre de chaleur et de colÉre. La sentinelle voulut le repousser ; mais Felton appela le chef du poste, et tirant de sa poche la lettre dont il Êtait porteur : " Message pressÊ de la part de Lord de Winter " , dit-il. Au nom de Lord de Winter, qu'on savait l'un des plus intimes de Sa Gr×ce, le chef de poste donna l'ordre de laisser passer Felton, qui, du reste, portait lui-mËme l'uniforme d'officier de marine. Felton s'ÊlanÚa dans le palais. Au moment oÝ il entrait dans le vestibule un homme entrait aussi, poudreux, hors d'haleine, laissant Á la porte un cheval de poste qui en arrivant tomba sur les deux genoux. Felton et lui s'adressÉrent en mËme temps Á Patrick, le valet de chambre de confiance du duc. Felton nomma le baron de Winter, l'inconnu ne voulut nommer personne, et prÊtendit que c'Êtait au duc seul qu'il pouvait se faire connaÏtre. Tous deux insistaient pour passer l'un avant l'autre. Patrick, qui savait que Lord de Winter Êtait en affaires de service et en relations d'amitiÊ avec le duc, donna la prÊfÊrence Á celui qui venait en son nom. L'autre fut forcÊ d'attendre, et il fut facile de voir combien il maudissait ce retard. Le valet de chambre fit traverser Á Felton une grande salle dans laquelle attendaient les dÊputÊs de La Rochelle conduits par le prince de Soubise, et l'introduisit dans un cabinet oÝ Buckingham, sortant du bain, achevait sa toilette, Á laquelle, cette fois comme toujours, il accordait une attention extraordinaire. " Le lieutenant Felton, dit Patrick, de la part de Lord de Winter. -- De la part de Lord de Winter ! rÊpÊta Buckingham, faites entrer. " Felton entra. En ce moment Buckingham jetait sur un canapÊ une riche robe de chambre brochÊe d'or, pour endosser un pourpoint de velours bleu tout brodÊ de perles. " Pourquoi le baron n'est-il pas venu lui-mËme ? demanda Buckingham, je l'attendais ce matin. -- Il m'a chargÊ de dire Á Votre Gr×ce, rÊpondit Felton, qu'il regrettait fort de ne pas avoir cet honneur, mais qu'il en Êtait empËchÊ par la garde qu'il est obligÊ de faire au ch×teau. -- Oui, oui, dit Buckingham, je sais cela, il a une prisonniÉre. -- C'est justement de cette prisonniÉre que je voulais parler Á Votre Gr×ce, reprit Felton. -- Eh bien, parlez. -- Ce que j'ai Á vous dire ne peut Ëtre entendu que de vous, Milord. -- Laissez-nous, Patrick, dit Buckingham, mais tenez-vous Á portÊe de la sonnette ; je vous appellerai tout Á l'heure. " Patrick sortit. " Nous sommes seuls, Monsieur, dit Buckingham, parlez. -- Milord, dit Felton, le baron de Winter vous a Êcrit l'autre jour pour vous prier de signer un ordre d'embarquement relatif Á une jeune femme nommÊe Charlotte Backson. -- Oui, Monsieur, et je lui ai rÊpondu de m'apporter ou de m'envoyer cet ordre et que je le signerais. -- Le voici, Milord. -- Donnez " , dit le duc. Et, le prenant des mains de Felton, il jeta sur le papier un coup d'oeil rapide. Alors, s'apercevant que c'Êtait bien celui qui lui Êtait annoncÊ, il le posa sur la table, prit une plume et s'apprËta Á signer. " Pardon, Milord, dit Felton arrËtant le duc, mais Votre Gr×ce sait-elle que le nom de Charlotte Backson n'est pas le vÊritable nom de cette jeune femme ? -- Oui, Monsieur, je le sais, rÊpondit le duc en trempant la plume dans l'encrier. -- Alors, Votre Gr×ce connaÏt son vÊritable nom ? demanda Felton d'une voix brÉve. -- Je le connais. " Le duc approcha la plume du papier. " Et, connaissant ce vÊritable nom, reprit Felton, Monseigneur signera tout de mËme ? -- Sans doute, dit Buckingham, et plutÆt deux fois qu'une. -- Je ne puis croire, continua Felton d'une voix qui devenait de plus en plus brÉve et saccadÊe, que Sa Gr×ce sache qu'il s'agit de Lady de Winter... -- Je le sais parfaitement, quoique je sois ÊtonnÊ que vous le sachiez, vous ! -- Et Votre Gr×ce signera cet ordre sans remords ? " Buckingham regarda le jeune homme avec hauteur. " Ah ÚÁ, Monsieur, savez-vous bien, lui dit-il, que vous me faites lÁ d'Êtranges questions, et que je suis bien simple d'y rÊpondre ? -- RÊpondez-y, Monseigneur, dit Felton, la situation est plus grave que vous ne le croyez peut-Ëtre. " Buckingham pensa que le jeune homme, venant de la part de Lord de Winter, parlait sans doute en son nom et se radoucit. " Sans remords aucun, dit-il, et le baron sait comme moi que Milady de Winter est une grande coupable, et que c'est presque lui faire gr×ce que de borner sa peine Á l'extradition. " Le duc posa sa plume sur le papier. " Vous ne signerez pas cet ordre, Milord ! dit Felton en faisant un pas vers le duc. -- Je ne signerai pas cet ordre, dit Buckingham, et pourquoi ? -- Parce que vous descendrez en vous-mËme, et que vous rendrez justice Á Milady. -- On lui rendra justice en l'envoyant Á Tyburn, dit Buckingham ; Milady est une inf×me. -- Monseigneur, Milady est un ange, vous le savez bien, et je vous demande sa libertÊ. -- Ah ÚÁ, dit Buckingham, Ëtes-vous fou de me parler ainsi ? -- Milord, excusez-moi ! je parle comme je puis ; je me contiens. Cependant, Milord, songez Á ce que vous allez faire, et craignez d'outrepasser la mesure ! -- PlaÏt-il ?... Dieu me pardonne ! s'Êcria Buckingham, mais je crois qu'il me menace ! -- Non, Milord, je prie encore, et je vous dis : une goutte d'eau suffit pour faire dÊborder le vase plein, une faute lÊgÉre peut attirer le ch×timent sur la tËte ÊpargnÊe malgrÊ tant de crimes. -- Monsieur Felton, dit Buckingham, vous allez sortir d'ici et vous rendre aux arrËts sur-le-champ. -- Vous allez m'Êcouter jusqu'au bout, Milord. Vous avez sÊduit cette jeune fille, vous l'avez outragÊe, souillÊe ; rÊparez vos crimes envers elle, laissez-la partir librement, et je n'exigerai pas autre chose de vous . -- Vous n'exigerez pas ? dit Buckingham regardant Felton avec Êtonnement et appuyant sur chacune des syllabes des trois mots qu'il venait de prononcer. -- Milord, continua Felton s'exaltant Á mesure qu'il parlait, Milord, prenez garde, toute l'Angleterre est lasse de vos iniquitÊs ; Milord, vous avez abusÊ de la puissance royale que vous avez presque usurpÊe ; Milord, vous Ëtes en horreur aux hommes et Á Dieu ; Dieu vous punira plus tard, mais, moi, je vous punirai aujourd'hui. -- Ah ! ceci est trop fort ! " cria Buckingham en faisant un pas vers la porte. Felton lui barra le passage. " Je vous le demande humblement, dit-il, signez l'ordre de mise en libertÊ de Lady de Winter ; songez que c'est la femme que vous avez dÊshonorÊe. -- Retirez-vous, Monsieur, dit Buckingham, ou j'appelle et vous fais mettre aux fers. -- Vous n'appellerez pas, dit Felton en se jetant entre le duc et la sonnette placÊe sur un guÊridon incrustÊ d'argent ; prenez garde, Milord, vous voilÁ entre les mains de Dieu. -- Dans les mains du diable, vous voulez dire, s'Êcria Buckingham en Êlevant la voix pour attirer du monde, sans cependant appeler directement. -- Signez, Milord, signez la libertÊ de Lady de Winter, dit Felton en poussant un papier vers le duc. -- De force ! vous moquez-vous ? holÁ, Patrick ! -- Signez, Milord ! -- Jamais ! -- Jamais ! -- A moi " , cria le duc, et en mËme temps il sauta sur son ÊpÊe. Mais Felton ne lui donna pas le temps de la tirer : il tenait tout ouvert et cachÊ dans son pourpoint le couteau dont s'Êtait frappÊe Milady ; d'un bond il fut sur le duc. En ce moment Patrick entrait dans la salle en criant : " Milord, une lettre de France ! -- De France ! " s'Êcria Buckingham, oubliant tout en pensant de qui lui venait cette lettre. Felton profita du moment et lui enfonÚa dans le flanc le couteau jusqu'au manche. " Ah ! traÏtre ! cria Buckingham, tu m'as tuÊ... -- Au meurtre ! " hurla Patrick. Felton jeta les yeux autour de lui pour fuir, et, voyant la porte libre, s'ÊlanÚa dans la chambre voisine, qui Êtait celle oÝ attendaient, comme nous l'avons dit, les dÊputÊs de La Rochelle, la traversa tout en courant et se prÊcipita vers l'escalier ; mais, sur la premiÉre marche, il rencontra Lord de Winter, qui, le voyant p×le, ÊgarÊ, livide, tachÊ de sang Á la main et Á la figure, lui sauta au cou en s'Êcriant : " Je le savais, je l'avais devinÊ et j'arrive trop tard d'une minute ! Oh ! malheureux que je suis ! " Felton ne fit aucune rÊsistance ; Lord de Winter le remit aux mains des gardes, qui le conduisirent, en attendant de nouveaux ordres, sur une petite terrasse dominant la mer, et il s'ÊlanÚa dans le cabinet de Buckingham. Au cri poussÊ par le duc, Á l'appel de Patrick, l'homme que Felton avait rencontrÊ dans l'antichambre se prÊcipita dans le cabinet. Il trouva le duc couchÊ sur un sofa, serrant sa blessure dans sa main crispÊe. " La Porte, dit le duc d'une voix mourante, La Porte, viens-tu de sa part ? -- Oui, Monseigneur, rÊpondit le fidÉle serviteur d'Anne d'Autriche, mais trop tard peut-Ëtre. -- Silence, La Porte ! on pourrait vous entendre ; Patrick, ne laissez entrer personne : oh ! je ne saurai pas ce qu'elle me fait dire ! mon Dieu, je me meurs ! " Et le duc s'Êvanouit. Cependant, Lord de Winter, les dÊputÊs, les chefs de l'expÊdition, les officiers de la maison de Buckingham, avaient fait irruption dans sa chambre ; partout des cris de dÊsespoir retentissaient. La nouvelle qui emplissait le palais de plaintes et de gÊmissements en dÊborda bientÆt partout et se rÊpandit par la ville. Un coup de canon annonÚa qu'il venait de se passer quelque chose de nouveau et d'inattendu. Lord de Winter s'arrachait les cheveux. " Trop tard d'une minute ! s'Êcriait-il, trop tard d'une minute ! Oh ! mon Dieu, mon Dieu, quel malheur ! " En effet, on Êtait venu lui dire Á sept heures du matin qu'une Êchelle de corde flottait Á une des fenËtres du ch×teau ; il avait couru aussitÆt Á la chambre de Milady, avait trouvÊ la chambre vide et la fenËtre ouverte, les barreaux sciÊs, il s'Êtait rappelÊ la recommandation verbale que lui avait fait transmettre d'Artagnan par son messager, il avait tremblÊ pour le duc, et, courant Á l'Êcurie, sans prendre le temps de faire seller son cheval, avait sautÊ sur le premier venu, Êtait accouru ventre Á terre, et sautant Á bas dans la cour, avait montÊ prÊcipitamment l'escalier, et, sur le premier degrÊ, avait, comme nous l'avons dit, rencontrÊ Felton. Cependant le duc n'Êtait pas mort : il revint Á lui, rouvrit les yeux, et l'espoir rentra dans tous les coeurs. " Messieurs, dit-il, laissez-moi seul avec Patrick et La Porte. " Ah ! c'est vous, de Winter ! vous m'avez envoyÊ ce matin un singulier fou, voyez l'Êtat dans lequel il m'a mis ! -- Oh ! Milord ! s'Êcria le baron, je ne m'en consolerai jamais. -- Et tu aurais tort, mon cher de Winter, dit Buckingham en lui tendant la main, je ne connais pas d'homme qui mÊrite d'Ëtre regrettÊ pendant toute la vie d'un autre homme ; mais laisse-nous, je t'en prie. " Le baron sortit en sanglotant. Il ne resta dans le cabinet que le duc blessÊ, La Porte et Patrick. On cherchait un mÊdecin, qu'on ne pouvait trouver. " Vous vivrez, Milord, vous vivrez, rÊpÊtait, Á genoux devant le sofa du duc, le messager d'Anne d'Autriche. -- Que m'Êcrivait-elle ? dit faiblement Buckingham tout ruisselant de sang et domptant, pour parler de celle qu'il aimait, d'atroces douleurs, que m'Êcrivait-elle ? Lis-moi sa lettre. -- Oh ! Milord ! fit La Porte. -- ObÊis, La Porte ; ne vois-tu pas que je n'ai pas de temps Á perdre ? " La Porte rompit le cachet et plaÚa le parchemin sous les yeux du duc ; mais Buckingham essaya vainement de distinguer l'Êcriture. " Lis donc, dit-il, lis donc, je n'y vois plus ; lis donc ! car bientÆt peut- Ëtre je n'entendrai plus, et je mourrai sans savoir ce qu'elle m'a Êcrit. " La Porte ne fit plus de difficultÊ, et lut : " Milord, " Par ce que j'ai, depuis que je vous connais, souffert par vous et pour vous, je vous conjure, si vous avez souci de mon repos, d'interrompre les grands armements que vous faites contre la France et de cesser une guerre dont on dit tout haut que la religion est la cause visible, et tout bas que votre amour pour moi est la cause cachÊe. Cette guerre peut non seulement amener pour la France et pour l'Angleterre de grandes catastrophes, mais encore pour vous, Milord, des malheurs dont je ne me consolerais pas. " Veillez sur votre vie, que l'on menace et qui me sera chÉre du moment oÝ je ne serai pas obligÊe de voir en vous un ennemi. " Votre affectionnÊe, " ANNE " Buckingham rappela tous les restes de sa vie pour Êcouter cette lecture ; puis, lorsqu'elle fut finie, comme s'il eÙt trouvÊ dans cette lettre un amer dÊsappointement : " N'avez-vous donc pas autre chose Á me dire de vive voix, La Porte ? demanda-t-il. -- Si fait, Monseigneur : la reine m'avait chargÊ de vous dire de veiller sur vous, car elle avait eu avis qu'on voulait vous assassiner. -- Et c'est tout, c'est tout ? reprit Buckingham avec impatience. -- Elle m'avait encore chargÊ de vous dire qu'elle vous aimait toujours. -- Ah ! fit Buckingham, Dieu soit louÊ ! ma mort ne sera donc pas pour elle la mort d'un Êtranger !... " La Porte fondit en larmes. " Patrick, dit le duc, apportez-moi le coffret oÝ Êtaient les ferrets de diamants. " Patrick apporta l'objet demandÊ, que La Porte reconnut pour avoir appartenu Á la reine. " Maintenant le sachet de satin blanc, oÝ son chiffre est brodÊ en perles. " Patrick obÊit encore. " Tenez, La Porte, dit Buckingham, voici les seuls gages que j'eusse Á elle, ce coffret d'argent, et ces deux lettres. Vous les rendrez Á Sa MajestÊ ; et pour dernier souvenir... (il chercha autour de lui quelque objet prÊcieux)... vous y joindrez... " Il chercha encore ; mais ses regards obscurcis par la mort ne rencontrÉrent que le couteau tombÊ des mains de Felton, et fumant encore du sang vermeil Êtendu sur la lame. " Et vous y joindrez ce couteau " , dit le duc en serrant la main de La Porte. Il put encore mettre le sachet au fond du coffret d'argent, y laissa tomber le couteau en faisant signe Á La Porte qu'il ne pouvait plus parler ; puis, dans une derniÉre convulsion, que cette fois il n'avait plus la force de combattre, il glissa du sofa sur le parquet. Patrick poussa un grand cri. Buckingham voulut sourire une derniÉre fois ; mais la mort arrËta sa pensÊe, qui resta gravÊe sur son front comme un dernier baiser d'amour. En ce moment le mÊdecin du duc arriva tout effarÊ ; il Êtait dÊjÁ Á bord du vaisseau amiral, on avait ÊtÊ obligÊ d'aller le chercher lÁ. Il s'approcha du duc, prit sa main, la garda un instant dans la sienne, et la laissa retomber. " Tout est inutile, dit-il, il est mort. -- Mort, mort ! " s'Êcria Patrick. A ce cri toute la foule rentra dans la salle, et partout ce ne fut que consternation et que tumulte. AussitÆt que Lord de Winter vit Buckingham expirÊ, il courut Á Felton, que les soldats gardaient toujours sur la terrasse du palais. " MisÊrable ! dit-il au jeune homme qui, depuis la mort de Buckingham, avait retrouvÊ ce calme et ce sang-froid qui ne devaient plus l'abandonner ; misÊrable ! qu'as-tu fait ? -- Je me suis vengÊ, dit-il. -- Toi ! dit le baron ; dis que tu as servi d'instrument Á cette femme maudite ; mais je te le jure, ce crime sera son dernier crime. -- Je ne sais ce que vous voulez dire, reprit tranquillement Felton, et j'ignore de qui vous voulez parler, Milord ; j'ai tuÊ M. de Buckingham parce qu'il a refusÊ deux fois Á vous-mËme de me nommer capitaine : je l'ai puni de son injustice, voilÁ tout. " De Winter, stupÊfait, regardait les gens qui liaient Felton, et ne savait que penser d'une pareille insensibilitÊ. Une seule chose jetait cependant un nuage sur le front pur de Felton. A chaque bruit qu'il entendait, le naÐf puritain croyait reconnaÏtre les pas et la voix de Milady venant se jeter dans ses bras pour s'accuser et se perdre avec lui. Tout Á coup il tressaillit, son regard se fixa sur un point de la mer, que de la terrasse oÝ il se trouvait on dominait tout entiÉre ; avec ce regard d'aigle du marin, il avait reconnu, lÁ oÝ un autre n'aurait vu qu'un goÊland se balanÚant sur les flots, la voile du sloop qui se dirigeait vers les cÆtes de France. Il p×lit, porta la main Á son coeur, qui se brisait, et comprit toute la trahison. " Une derniÉre gr×ce, Milord ! dit-il au baron. -- Laquelle ? demanda celui-ci. -- Quelle heure est-il ? " Le baron tira sa montre. " Neuf heures moins dix minutes " , dit-il. Milady avait avancÊ son dÊpart d'une heure et demie ; dÉs qu'elle avait entendu le coup de canon qui annonÚait le fatal ÊvÊnement, elle avait donnÊ l'ordre de lever l'ancre. La barque voguait sous un ciel bleu Á une grande distance de la cÆte. " Dieu l'a voulu " , dit Felton avec la rÊsignation du fanatique, mais cependant sans pouvoir dÊtacher les yeux de cet esquif Á bord duquel il croyait sans doute distinguer le blanc fantÆme de celle Á qui sa vie allait Ëtre sacrifiÊe. De Winter suivit son regard, interrogea sa souffrance et devina tout. " Sois puni seul d'abord, misÊrable, dit Lord de Winter Á Felton, qui se laissait entraÏner les yeux tournÊs vers la mer ; mais je te jure, sur la mÊmoire de mon frÉre que j'aimais tant, que ta complice n'est pas sauvÊe. " Felton baissa la tËte sans prononcer une syllabe. Quant Á de Winter, il descendit rapidement l'escalier et se rendit au port. CHAPITRE LX. EN FRANCE La premiÉre crainte du roi d'Angleterre, Charles Ier, en apprenant cette mort, fut qu'une si terrible nouvelle ne dÊcourage×t les Rochelois ; il essaya, dit Richelieu dans ses MÊmoires, de la leur cacher le plus longtemps possible, faisant fermer les ports par tout son royaume, et prenant soigneusement garde qu'aucun vaisseau ne sortÏt jusqu'Á ce que l'armÊe que Buckingham apprËtait fÙt partie, se chargeant, Á dÊfaut de Buckingham, de surveiller lui-mËme le dÊpart. Il poussa mËme la sÊvÊritÊ de cet ordre jusqu'Á retenir en Angleterre l'ambassadeur de Danemark, qui avait pris congÊ, et l'ambassadeur ordinaire de Hollande, qui devait ramener dans le port de Flessingue les navires des Indes que Charles Ier avait fait restituer aux Provinces- Unies. Mais comme il ne songea Á donner cet ordre que cinq heures aprÉs l'ÊvÊnement, c'est-Á-dire Á deux heures de l'aprÉs-midi, deux navires Êtaient dÊjÁ sortis du port : l'un emmenant, comme nous le savons, Milady, laquelle, se doutant dÊjÁ de l'ÊvÊnement, fut encore confirmÊe dans cette croyance en voyant le pavillon noir se dÊployer au m×t du vaisseau amiral. Quant au second b×timent, nous dirons plus tard qui il portait et comment il partit. Pendant ce temps, du reste, rien de nouveau au camp de La Rochelle ; seulement le roi, qui s'ennuyait fort, comme toujours, mais peut-Ëtre encore un peu plus au camp qu'ailleurs, rÊsolut d'aller incognito passer les fËtes de saint Louis Á Saint-Germain, et demanda au cardinal de lui faire prÊparer une escorte de vingt mousquetaires seulement. Le cardinal, que l'ennui du roi gagnait quelquefois, accorda avec grand plaisir ce congÊ Á son royal lieutenant, lequel promit d'Ëtre de retour vers le 15 septembre. M. de TrÊville, prÊvenu par Son Eminence, fit son porte-manteau, et comme, sans en savoir la cause, il savait le vif dÊsir et mËme l'impÊrieux besoin que ses amis avaient de revenir Á Paris, il va sans dire qu'il les dÊsigna pour faire partie de l'escorte. Les quatre jeunes gens surent la nouvelle un quart d'heure aprÉs M. de TrÊville, car ils furent les premiers Á qui il la communiqua. Ce fut alors que d'Artagnan apprÊcia la faveur que lui avait accordÊe le cardinal en le faisant enfin passer aux mousquetaires ; sans cette circonstance, il Êtait forcÊ de rester au camp tandis que ses compagnons partaient. On verra plus tard que cette impatience de remonter vers Paris avait pour cause le danger que devait courir Mme Bonacieux en se rencontrant au couvent de BÊthune avec Milady, son ennemie mortelle. Aussi, comme nous l'avons dit, Aramis avait Êcrit immÊdiatement Á Marie Michon, cette lingÉre de Tours qui avait de si belles connaissances, pour qu'elle obtÏnt que la reine donn×t l'autorisation Á Mme Bonacieux de sortir du couvent et de se retirer soit en Lorraine, soit en Belgique. La rÊponse ne s'Êtait pas fait attendre, et, huit ou dix jours aprÉs, Aramis avait reÚu cette lettre : " Mon cher cousin, " Voici l'autorisation de ma soeur Á retirer notre petite servante du couvent de BÊthune, dont vous pensez que l'air est mauvais pour elle. Ma soeur vous envoie cette autorisation avec grand plaisir, car elle aime fort cette petite fille, Á laquelle elle se rÊserve d'Ëtre utile plus tard. " Je vous embrasse. " MARIE MICHON. " A cette lettre Êtait jointe une autorisation ainsi conÚue : " La supÊrieure du couvent de BÊthune remettra aux mains de la personne qui lui remettra ce billet la novice qui Êtait entrÊe dans son couvent sous ma recommandation et sous mon patronage. " Au Louvre, le 10 aoÙt 1628. " ANNE. " On comprend combien ces relations de parentÊ entre Aramis et une lingÉre qui appelait la reine sa soeur avaient ÊgayÊ la verve des jeunes gens ; mais Aramis, aprÉs avoir rougi deux ou trois fois jusqu'au blanc des yeux aux grosses plaisanteries de Porthos, avait priÊ ses amis de ne plus revenir sur ce sujet, dÊclarant que s'il lui en Êtait dit encore un seul mot, il n'emploierait plus sa cousine comme intermÊdiaire dans ces sortes d'affaires. Il ne fut donc plus question de Marie Michon entre les quatre mousquetaires, qui d'ailleurs avaient ce qu'ils voulaient : l'ordre de tirer Mme Bonacieux du couvent des carmÊlites de BÊthune. Il est vrai que cet ordre ne leur servirait pas Á grand-chose tant qu'ils seraient au camp de La Rochelle, c'est-Á-dire Á l'autre bout de la France ; aussi d'Artagnan allait-il demander un congÊ Á M. de TrÊville, en lui confiant tout bonnement l'importance de son dÊpart, lorsque cette nouvelle lui fut transmise, ainsi qu'Á ses trois compagnons, que le roi allait partir pour Paris avec une escorte de vingt mousquetaires, et qu'ils faisaient partie de l'escorte. La joie fut grande. On envoya les valets devant avec les bagages, et l'on partit le 16 au matin. Le cardinal reconduisit Sa MajestÊ de SurgÉres Á MauzÊ, et lÁ, le roi et son ministre prirent congÊ l'un de l'autre avec de grandes dÊmonstrations d'amitiÊ. Cependant le roi, qui cherchait de la distraction, tout en cheminant le plus vite qu'il lui Êtait possible, car il dÊsirait Ëtre arrivÊ Á Paris pour le 23, s'arrËtait de temps en temps pour voler la pie, passe-temps dont le goÙt lui avait autrefois ÊtÊ inspirÊ par de Luynes, et pour lequel il avait toujours conservÊ une grande prÊdilection. Sur les vingt mousquetaires, seize, lorsque la chose arrivait, se rÊjouissaient fort de ce bon temps ; mais quatre maugrÊaient de leur mieux. D'Artagnan surtout avait des bourdonnements perpÊtuels dans les oreilles, ce que Porthos expliquait ainsi : " Une trÉs grande dame m'a appris que cela veut dire que l'on parle de vous quelque part. " Enfin l'escorte traversa Paris le 23, dans la nuit ; le roi remercia M. de TrÊville, et lui permit de distribuer des congÊs pour quatre jours, Á la condition que pas un des favorisÊs ne paraÏtrait dans un lieu public, sous peine de la Bastille. Les quatre premiers congÊs accordÊs, comme on le pense bien, furent Á nos quatre amis. Il y a plus, Athos obtint de M. de TrÊville six jours au lieu de quatre et fit mettre dans ces six jours deux nuits de plus, car ils partirent le 24, Á cinq heures du soir, et par complaisance encore, M. de TrÊville postdata le congÊ du 25 au matin. " Eh, mon Dieu, disait d'Artagnan, qui, comme on le sait, ne doutait jamais de rien, il me semble que nous faisons bien de l'embarras pour une chose bien simple : en deux jours, et en crevant deux ou trois chevaux (peu m'importe : j'ai de l'argent), je suis Á BÊthune, je remets la lettre de la reine Á la supÊrieure, et je ramÉne le cher trÊsor que je vais chercher, non pas en Lorraine, non pas en Belgique, mais Á Paris, oÝ il sera mieux cachÊ, surtout tant que M. le cardinal sera Á La Rochelle. Puis, une fois de retour de la campagne, Eh bien, moitiÊ par la protection de sa cousine, moitiÊ en faveur de ce que nous avons fait personnellement pour elle, nous obtiendrons de la reine ce que nous voudrons. Restez donc ici, ne vous Êpuisez pas de fatigue inutilement ; moi et Planchet, c'est tout ce qu'il faut pour une expÊdition aussi simple. " A ceci Athos rÊpondit tranquillement : " Nous aussi, nous avons de l'argent ; car je n'ai pas encore bu tout Á fait le reste du diamant, et Porthos et Aramis ne l'ont pas tout Á fait mangÊ. Nous crÉverons donc aussi bien quatre chevaux qu'un. Mais songez, d'Artagnan, ajouta-t-il d'une voix si sombre que son accent donna le frisson au jeune homme, songez que BÊthune est une ville oÝ le cardinal a donnÊ rendez-vous Á une femme qui, partout oÝ elle va, mÉne le malheur aprÉs elle. Si vous n'aviez affaire qu'Á quatre hommes, d'Artagnan, je vous laisserais aller seul ; vous avez affaire Á cette femme, allons-y quatre, et plaise Á Dieu qu'avec nos quatre valets nous soyons en nombre suffisant ! -- Vous m'Êpouvantez, Athos, s'Êcria d'Artagnan ; que craignez-vous donc, mon Dieu ? -- Tout ! " rÊpondit Athos. D'Artagnan examina les visages de ses compagnons, qui, comme celui d'Athos, portaient l'empreinte d'une inquiÊtude profonde, et l'on continua la route au plus grand pas des chevaux, mais sans ajouter une seule parole. Le 25 au soir, comme ils entraient Á Arras, et comme d'Artagnan venait de mettre pied Á terre Á l'auberge de la Herse d'Or pour boire un verre de vin, un cavalier sortit de la cour de la poste, oÝ il venait de relayer, prenant au grand galop, et avec un cheval frais, le chemin de Paris. Au moment oÝ il passait de la grande porte dans la rue, le vent entrouvrit le manteau dont il Êtait enveloppÊ, quoiqu'on fÙt au mois d'aoÙt, et enleva son chapeau, que le voyageur retint de sa main, au moment oÝ il avait dÊjÁ quittÊ sa tËte, et l'enfonÚa vivement sur ses yeux. D'Artagnan, qui avait les yeux fixÊs sur cet homme, devint fort p×le et laissa tomber son verre. " Qu'avez-vous, Monsieur ? dit Planchet... Oh ! lÁ, accourez, Messieurs, voilÁ mon maÏtre qui se trouve mal ! " Les trois amis accoururent et trouvÉrent d'Artagnan qui, au lieu de se trouver mal, courait Á son cheval. Ils l'arrËtÉrent sur le seuil de la porte. " Eh bien, oÝ diable vas-tu donc ainsi ? lui cria Athos. -- C'est lui ! s'Êcria d'Artagnan, p×le de colÉre et la sueur sur le front, c'est lui ! laissez-moi le rejoindre ! -- Mais qui, lui ? demanda Athos. -- Lui, cet homme ! -- Quel homme ? -- Cet homme maudit, mon mauvais gÊnie, que j'ai toujours vu lorsque j'Êtais menacÊ de quelque malheur : celui qui accompagnait l'horrible femme lorsque je la rencontrai pour la premiÉre fois, celui que je cherchais quand j'ai provoquÊ Athos, celui que j'ai vu le matin du jour oÝ Mme Bonacieux a ÊtÊ enlevÊe ! l'homme de Meung enfin ! je l'ai vu, c'est lui ! Je l'ai reconnu quand le vent a entrouvert son manteau. -- Diable ! dit Athos rËveur. -- En selle, Messieurs, en selle ; poursuivons-le, et nous le rattraperons. -- Mon cher, dit Aramis, songez qu'il va du cÆtÊ opposÊ Á celui oÝ nous allons ; qu'il a un cheval frais et que nos chevaux sont fatiguÊs ; que par consÊquent nous crÉverons nos chevaux sans mËme avoir la chance de le rejoindre. Laissons l'homme, d'Artagnan, sauvons la femme. -- Eh ! Monsieur ! s'Êcria un garÚon d'Êcurie courant aprÉs l'inconnu, eh ! Monsieur, voilÁ un papier qui s'est ÊchappÊ de votre chapeau ! Eh ! Monsieur ! eh ! -- Mon ami, dit d'Artagnan, une demi-pistole pour ce papier ! -- Ma foi, Monsieur, avec grand plaisir ! Le voici ! " Le garÚon d'Êcurie, enchantÊ de la bonne journÊe qu'il avait faite, rentra dans la cour de l'hÆtel : d'Artagnan dÊplia le papier. " Eh bien ? demandÉrent ses amis en l'entourant. -- Rien qu'un mot ! dit d'Artagnan. -- Oui, dit Aramis, mais ce mot est un nom de ville ou de village. -- " ArmentiÉres " , lut Porthos. ArmentiÉres, je ne connais pas cela ! -- Et ce nom de ville ou de village est Êcrit de sa main ! s'Êcria Athos. -- Allons, allons, gardons soigneusement ce papier, dit d'Artagnan, peut-Ëtre n'ai-je pas perdu ma derniÉre pistole. A cheval, mes amis, Á cheval ! " Et les quatre compagnons s'ÊlancÉrent au galop sur la route de BÊthune. CHAPITRE LXI. LE COUVENT DES CARMELITES DE BETHUNE Les grands criminels portent avec eux une espÉce de prÊdestination qui leur fait surmonter tous les obstacles, qui les fait Êchapper Á tous les dangers, jusqu'au moment que la Providence, lassÊe, a marquÊ pour l'Êcueil de leur fortune impie. Il en Êtait ainsi de Milady : elle passa au travers des croiseurs des deux nations, et arriva Á Boulogne sans aucun accident. En dÊbarquant Á Portsmouth, Milady Êtait une Anglaise que les persÊcutions de la France chassaient de La Rochelle ; dÊbarquÊe Á Boulogne, aprÉs deux jours de traversÊe, elle se fit passer pour une FranÚaise que les Anglais inquiÊtaient Á Portsmouth, dans la haine qu'ils avaient conÚue contre la France. Milady avait d'ailleurs le plus efficace des passeports : sa beautÊ, sa grande mine et la gÊnÊrositÊ avec laquelle elle rÊpandait les pistoles. Affranchie des formalitÊs d'usage par le sourire affable et les maniÉres galantes d'un vieux gouverneur du port, qui lui baisa la main, elle ne resta Á Boulogne que le temps de mettre Á la poste une lettre ainsi conÚue : " A Son Eminence Monseigneur le cardinal de Richelieu, en son camp devant La Rochelle. " Monseigneur, que Votre Eminence se rassure ; Sa Gr×ce le duc de Buckingham ne partira point pour la France. " Boulogne, 25 au soir. " MILADY DE ***. " P.--S. Selon les dÊsirs de Votre Eminence, je me rends au couvent des carmÊlites de BÊthune oÝ j'attendrai ses ordres. " Effectivement, le mËme soir, Milady se mit en route ; la nuit la prit : elle s'arrËta et coucha dans une auberge ; puis, le lendemain, Á cinq heures du matin, elle partit, et trois heures aprÉs, elle entra Á BÊthune. Elle se fit indiquer le couvent des carmÊlites, et y entra aussitÆt. La supÊrieure vint au-devant d'elle ; Milady lui montra l'ordre du cardinal, l'abbesse lui fit donner une chambre et servir Á dÊjeuner. Tout le passÊ s'Êtait dÊjÁ effacÊ aux yeux de cette femme, et, le regard fixÊ vers l'avenir, elle ne voyait que la haute fortune que lui rÊservait le cardinal, qu'elle avait si heureusement servi, sans que son nom fÙt mËlÊ en rien Á toute cette sanglante affaire. Les passions toujours nouvelles qui la consumaient donnaient Á sa vie l'apparence de ces nuages qui volent dans le ciel, reflÊtant tantÆt l'azur, tantÆt le feu, tantÆt le noir opaque de la tempËte, et qui ne laissent d'autres traces sur la terre que la dÊvastation et la mort. AprÉs le dÊjeuner, l'abbesse vint lui faire sa visite ; il y a peu de distraction au cloÏtre, et la bonne supÊrieure avait h×te de faire connaissance avec sa nouvelle pensionnaire. Milady voulait plaire Á l'abbesse ; or, c'Êtait chose facile Á cette femme si rÊellement supÊrieure ; elle essaya d'Ëtre aimable : elle fut charmante et sÊduisit la bonne supÊrieure par sa conversation si variÊe et par les gr×ces rÊpandues dans toute sa personne. L'abbesse, qui Êtait une fille de noblesse, aimait surtout les histoires de cour, qui parviennent si rarement jusqu'aux extrÊmitÊs du royaume et qui, surtout, ont tant de peine Á franchir les murs des couvents, au seuil desquels viennent expirer les bruits du monde. Milady, au contraire, Êtait fort au courant de toutes les intrigues aristocratiques, au milieu desquelles, depuis cinq ou six ans, elle avait constamment vÊcu, elle se mit donc Á entretenir la bonne abbesse des pratiques mondaines de la cour de France, mËlÊes aux dÊvotions outrÊes du roi, elle lui fit la chronique scandaleuse des seigneurs et des dames de la cour, que l'abbesse connaissait parfaitement de nom, toucha lÊgÉrement les amours de la reine et de Buckingham, parlant beaucoup pour qu'on parl×t un peu. Mais l'abbesse se contenta d'Êcouter et de sourire, le tout sans rÊpondre. Cependant, comme Milady vit que ce genre de rÊcit l'amusait fort, elle continua ; seulement, elle fit tomber la conversation sur le cardinal. Mais elle Êtait fort embarrassÊe ; elle ignorait si l'abbesse Êtait royaliste ou cardinaliste : elle se tint dans un milieu prudent ; mais l'abbesse, de son cÆtÊ, se tint dans une rÊserve plus prudente encore, se contentant de faire une profonde inclination de tËte toutes les fois que la voyageuse prononÚait le nom de Son Eminence. Milady commenÚa Á croire qu'elle s'ennuierait fort dans le couvent ; elle rÊsolut donc de risquer quelque chose pour savoir de suite Á quoi s'en tenir. Voulant voir jusqu'oÝ irait la discrÊtion de cette bonne abbesse, elle se mit Á dire un mal, trÉs dissimulÊ d'abord, puis trÉs circonstanciÊ du cardinal, racontant les amours du ministre avec Mme d'Aiguillon, avec Marion de Lorme et avec quelques autres femmes galantes. L'abbesse Êcouta plus attentivement, s'anima peu Á peu et sourit. " Bon, dit Milady, elle prend goÙt Á mon discours ; si elle est cardinaliste, elle n'y met pas de fanatisme au moins. " Alors elle passa aux persÊcutions exercÊes par le cardinal sur ses ennemis. L'abbesse se contenta de se signer, sans approuver ni dÊsapprouver. Cela confirma Milady dans son opinion que la religieuse Êtait plutÆt royaliste que cardinaliste. Milady continua, renchÊrissant de plus en plus. " Je suis fort ignorante de toutes ces matiÉres-lÁ, dit enfin l'abbesse, mais tout ÊloignÊes que nous sommes de la cour, tout en dehors des intÊrËts du monde oÝ nous nous trouvons placÊes, nous avons des exemples fort tristes de ce que vous nous racontez lÁ ; et l'une de nos pensionnaires a bien souffert des vengeances et des persÊcutions de M. le cardinal. -- Une de vos pensionnaires, dit Milady ; oh ! mon Dieu ! pauvre femme, je la plains alors. -- Et vous avez raison, car elle est bien Á plaindre : prison, menaces, mauvais traitements, elle a tout souffert. Mais, aprÉs tout, reprit l'abbesse, M. le cardinal avait peut-Ëtre des motifs plausibles pour agir ainsi, et quoiqu'elle ait l'air d'un ange, il ne faut pas toujours juger les gens sur la mine. " " Bon ! dit Milady Á elle-mËme, qui sait ! je vais peut-Ëtre dÊcouvrir quelque chose ici, je suis en veine. " Et elle s'appliqua Á donner Á son visage une expression de candeur parfaite. " HÊlas ! dit Milady, je le sais ; on dit cela, qu'il ne faut pas croire aux physionomies ; mais Á quoi croira-t-on cependant, si ce n'est au plus bel ouvrage du Seigneur ? Quant Á moi, je serai trompÊe toute ma vie peut-Ëtre ; mais je me fierai toujours Á une personne dont le visage m'inspirera de la sympathie. -- Vous seriez donc tentÊe de croire, dit l'abbesse, que cette jeune femme est innocente ? -- M. le cardinal ne punit pas que les crimes, dit-elle ; il y a certaines vertus qu'il poursuit plus sÊvÉrement que certains forfaits. -- Permettez-moi, Madame, de vous exprimer ma surprise, dit l'abbesse. -- Et sur quoi ? demanda Milady avec naÐvetÊ. -- Mais sur le langage que vous tenez. -- Que trouvez-vous d'Êtonnant Á ce langage ? demanda en souriant Milady. -- Vous Ëtes l'amie du cardinal, puisqu'il vous envoie ici, et cependant... -- Et cependant j'en dis du mal, reprit Milady, achevant la pensÊe de la supÊrieure. -- Au moins n'en dites-vous pas de bien. -- C'est que je ne suis pas son amie, dit-elle en soupirant, mais sa victime. -- Mais cependant cette lettre par laquelle il vous recommande Á moi ?... -- Est un ordre Á moi de me tenir dans une espÉce de prison dont il me fera tirer par quelques-uns de ses satellites. -- Mais pourquoi n'avez-vous pas fui ? -- OÝ irais-je ? Croyez-vous qu'il y ait un endroit de la terre oÝ ne puisse atteindre le cardinal, s'il veut se donner la peine de tendre la main ? Si j'Êtais un homme, Á la rigueur cela serait possible encore ; mais une femme, que voulez-vous que fasse une femme ? Cette jeune pensionnaire que vous avez ici a-t-elle essayÊ de fuir, elle ? -- Non, c'est vrai ; mais elle, c'est autre chose, je la crois retenue en France par quelque amour. -- Alors, dit Milady avec un soupir, si elle aime, elle n'est pas tout Á fait malheureuse. -- Ainsi, dit l'abbesse en regardant Milady avec un intÊrËt croissant, c'est encore une pauvre persÊcutÊe que je vois ? -- HÊlas, oui " , dit Milady. L'abbesse regarda un instant Milady avec inquiÊtude, comme si une nouvelle pensÊe surgissait dans son esprit. " Vous n'Ëtes pas ennemie de notre sainte foi ? dit-elle en balbutiant. -- Moi, s'Êcria Milady, moi, protestante ! Oh ! non, j'atteste le Dieu qui nous entend que je suis au contraire fervente catholique. -- Alors, Madame, dit l'abbesse en souriant, rassurez-vous ; la maison oÝ vous Ëtes ne sera pas une prison bien dure, et nous ferons tout ce qu'il faudra pour vous faire chÊrir la captivitÊ. Il y a plus, vous trouverez ici cette jeune femme persÊcutÊe sans doute par suite de quelque intrigue de cour. Elle est aimable, gracieuse. -- Comment la nommez-vous ? -- Elle m'a ÊtÊ recommandÊe par quelqu'un de trÉs haut placÊ, sous le nom de Ketty. Je n'ai pas cherchÊ Á savoir son autre nom. -- Ketty ! s'Êcria Milady ; quoi ! vous Ëtes sÙre ?... -- Qu'elle se fait appeler ainsi ? Oui, Madame, la connaÏtriez-vous ? " Milady sourit Á elle-mËme et Á l'idÊe qui lui Êtait venue que cette jeune femme pouvait Ëtre son ancienne camÊriÉre. Il se mËlait au souvenir de cette jeune fille un souvenir de colÉre, et un dÊsir de vengeance avait bouleversÊ les traits de Milady, qui reprirent au reste presque aussitÆt l'expression calme et bienveillante que cette femme aux cent visages leur avait momentanÊment fait perdre. " Et quand pourrai-je voir cette jeune dame, pour laquelle je me sens dÊjÁ une si grande sympathie ? demanda Milady. -- Mais, ce soir, dit l'abbesse, dans la journÊe mËme. Mais vous voyagez depuis quatre jours, m'avez-vous dit vous-mËme ; ce matin vous vous Ëtes levÊe Á cinq heures, vous devez avoir besoin de repos. Couchez-vous et dormez, Á l'heure du dÏner nous vous rÊveillerons. " Quoique Milady eÙt trÉs bien pu se passer de sommeil, soutenue qu'elle Êtait par toutes les excitations qu'une aventure nouvelle faisait Êprouver Á son coeur avide d'intrigues, elle n'en accepta pas moins l'offre de la supÊrieure : depuis douze ou quinze jours elle avait passÊ par tant d'Êmotions diverses que, si son corps de fer pouvait encore soutenir la fatigue, son ×me avait besoin de repos. Elle prit donc congÊ de l'abbesse et se coucha, doucement bercÊe par les idÊes de vengeance auxquelles l'avait tout naturellement ramenÊe le nom de Ketty. Elle se rappelait cette promesse presque illimitÊe que lui avait faite le cardinal, si elle rÊussissait dans son entreprise. Elle avait rÊussi, elle pourrait donc se venger de d'Artagnan. Une seule chose Êpouvantait Milady, c'Êtait le souvenir de son mari, le comte de La FÉre, qu'elle avait cru mort ou du moins expatriÊ, et qu'elle retrouvait dans Athos, le meilleur ami de d'Artagnan. Mais aussi, s'il Êtait l'ami de d'Artagnan, il avait dÙ lui prËter assistance dans toutes les menÊes Á l'aide desquelles la reine avait dÊjouÊ les projets de Son Eminence ; s'il Êtait l'ami de d'Artagnan, il Êtait l'ennemi du cardinal ; et sans doute elle parviendrait Á l'envelopper dans la vengeance aux replis de laquelle elle comptait Êtouffer le jeune mousquetaire. Toutes ces espÊrances Êtaient de douces pensÊes pour Milady ; aussi, bercÊe par elles, s'endormit-elle bientÆt. Elle fut rÊveillÊe par une voix douce qui retentit au pied de son lit. Elle ouvrit les yeux, et vit l'abbesse accompagnÊe d'une jeune femme aux cheveux blonds, au teint dÊlicat, qui fixait sur elle un regard plein d'une bienveillante curiositÊ. La figure de cette jeune femme lui Êtait complÉtement inconnue ; toutes deux s'examinÉrent avec une scrupuleuse attention, tout en Êchangeant les compliments d'usage : toutes deux Êtaient fort belles, mais de beautÊs tout Á fait diffÊrentes. Cependant Milady sourit en reconnaissant qu'elle l'emportait de beaucoup sur la jeune femme en grand air et en faÚons aristocratiques. Il est vrai que l'habit de novice que portait la jeune femme n'Êtait pas trÉs avantageux pour soutenir une lutte de ce genre. L'abbesse les prÊsenta l'une Á l'autre ; puis, lorsque cette formalitÊ fut remplie, comme ses devoirs l'appelaient Á l'Êglise, elle laissa les deux jeunes femmes seules. La novice, voyant Milady couchÊe, voulait suivre la supÊrieure, mais Milady la retint. " Comment, Madame, lui dit-elle, Á peine vous ai-je aperÚue et vous voulez dÊjÁ me priver de votre prÊsence, sur laquelle je comptais cependant un peu, je vous l'avoue, pour le temps que j'ai Á passer ici ? -- Non, Madame, rÊpondit la novice, seulement je craignais d'avoir mal choisi mon temps : vous dormiez, vous Ëtes fatiguÊe. -- Eh bien, dit Milady, que peuvent demander les gens qui dorment ? un bon rÊveil. Ce rÊveil, vous me l'avez donnÊ ; laissez-moi en jouir tout Á mon aise. " Et lui prenant la main, elle l'attira sur un fauteuil qui Êtait prÉs de son lit. La novice s'assit. " Mon Dieu ! dit-elle, que je suis malheureuse ! voilÁ six mois que je suis ici, sans l'ombre d'une distraction, vous arrivez, votre prÊsence allait Ëtre pour moi une compagnie charmante, et voilÁ que, selon toute probabilitÊ, d'un moment Á l'autre je vais quitter le couvent ! -- Comment ! dit Milady, vous sortez bientÆt ? -- Du moins je l'espÉre, dit la novice avec une expression de joie qu'elle ne cherchait pas le moins du monde Á dÊguiser. -- Je crois avoir appris que vous aviez souffert de la part du cardinal, continua Milady ; c'eÙt ÊtÊ un motif de plus de sympathie entre nous. -- Ce que m'a dit notre bonne mÉre est donc la vÊritÊ, que vous Êtiez aussi une victime de ce mÊchant cardinal ? -- Chut ! dit Milady, mËme ici ne parlons pas ainsi de lui ; tous mes malheurs viennent d'avoir dit Á peu prÉs ce que vous venez de dire, devant une femme que je croyais mon amie et qui m'a trahie. Et vous Ëtes aussi, vous, la victime d'une trahison ? -- Non, dit la novice, mais de mon dÊvouement Á une femme que j'aimais, pour qui j'eusse donnÊ ma vie, pour qui je la donnerais encore. -- Et qui vous a abandonnÊe, c'est cela ! -- J'ai ÊtÊ assez injuste pour le croire, mais depuis deux ou trois jours j'ai acquis la preuve du contraire, et j'en remercie Dieu ; il m'aurait coÙtÊ de croire qu'elle m'avait oubliÊe. Mais vous, Madame, continua la novice, il me semble que vous Ëtes libre, et que si vous vouliez fuir, il ne tiendrait qu'Á vous. -- OÝ voulez-vous que j'aille, sans amis, sans argent, dans une partie de la France que je ne connais pas, oÝ je ne suis jamais venue ?... -- Oh ! s'Êcria la novice, quant Á des amis, vous en aurez partout oÝ vous vous montrerez, vous paraissez si bonne et vous Ëtes si belle ! -- Cela n'empËche pas, reprit Milady en adoucissant son sourire de maniÉre Á lui donner une expression angÊlique, que je suis seule et persÊcutÊe. -- Ecoutez, dit la novice, il faut avoir bon espoir dans le Ciel, voyez- vous ; il vient toujours un moment oÝ le bien que l'on a fait plaide votre cause devant Dieu, et, tenez, peut-Ëtre est-ce un bonheur pour vous, tout humble et sans pouvoir que je suis, que vous m'ayez rencontrÊe : car, si je sors d'ici, Eh bien, j'aurai quelques amis puissants, qui, aprÉs s'Ëtre mis en campagne pour moi, pourront aussi se mettre en campagne pour vous. -- Oh ! quand j'ai dit que j'Êtais seule, dit Milady, espÊrant faire parler la novice en parlant d'elle-mËme, ce n'est pas faute d'avoir aussi quelques connaissances haut placÊes ; mais ces connaissances tremblent elles-mËmes devant le cardinal : la reine elle-mËme n'ose pas soutenir contre le terrible ministre ; j'ai la preuve que Sa MajestÊ, malgrÊ son excellent coeur, a plus d'une fois ÊtÊ obligÊe d'abandonner Á la colÉre de Son Eminence les personnes qui l'avaient servie. -- Croyez-moi, Madame, la reine peut avoir l'air d'avoir abandonnÊ ces personnes-lÁ ; mais il ne faut pas en croire l'apparence : plus elles sont persÊcutÊes, plus elle pense Á elles, et souvent, au moment oÝ elles y pensent le moins, elles ont la preuve d'un bon souvenir. -- HÊlas ! dit Milady, je le crois : la reine est si bonne. -- Oh ! vous la connaissez donc, cette belle et noble reine, que vous parlez d'elle ainsi ! s'Êcria la novice avec enthousiasme. -- C'est-Á-dire, reprit Milady, poussÊe dans ses retranchements, qu'elle, personnellement, je n'ai pas l'honneur de la connaÏtre ; mais je connais bon nombre de ses amis les plus intimes : je connais M. de Putange ; j'ai connu en Angleterre M. Dujart ; je connais M. de TrÊville . -- M. de TrÊville ! s'Êcria la novice, vous connaissez M. de TrÊville ? -- Oui, parfaitement, beaucoup mËme. -- Le capitaine des mousquetaires du roi ? -- Le capitaine des mousquetaires du roi. -- Oh ! mais vous allez voir, s'Êcria la novice, que tout Á l'heure nous allons Ëtre des connaissances achevÊes, presque des amies ; si vous connaissez M. de TrÊville, vous avez dÙ aller chez lui ? -- Souvent ! dit Milady, qui, entrÊe dans cette voie, et s'apercevant que le mensonge rÊussissait, voulait le pousser jusqu'au bout. -- Chez lui, vous avez dÙ voir quelques-uns de ses mousquetaires ? -- Tous ceux qu'il reÚoit habituellement ! rÊpondit Milady, pour laquelle cette conversation commenÚait Á prendre un intÊrËt rÊel. -- Nommez-moi quelques-uns de ceux que vous connaissez, et vous verrez qu'ils seront de mes amis. -- Mais, dit Milady embarrassÊe, je connais M. de Louvigny, M. de Courtivron, M. de FÊrussac. " La novice la laissa dire ; puis, voyant qu'elle s'arrËtait : " Vous ne connaissez pas, dit-elle, un gentilhomme nommÊ Athos ? " Milady devint aussi p×le que les draps dans lesquels elle Êtait couchÊe, et, si maÏtresse qu'elle fÙt d'elle-mËme, ne put s'empËcher de pousser un cri en saisissant la main de son interlocutrice et en la dÊvorant du regard. " Quoi ! qu'avez-vous ? Oh ! mon Dieu ! demanda cette pauvre femme, ai-je donc dit quelque chose qui vous ait blessÊe ? -- Non, mais ce nom m'a frappÊe, parce que, moi aussi, j'ai connu ce gentilhomme, et qu'il me paraÏt Êtrange de trouver quelqu'un qui le connaisse beaucoup. -- Oh ! oui ! beaucoup ! beaucoup ! non seulement lui, mais encore ses amis : MM. Porthos et Aramis ! -- En vÊritÊ ! eux aussi je les connais ! s'Êcria Milady, qui sentit le froid pÊnÊtrer jusqu'Á son coeur. -- Eh bien, si vous les connaissez, vous devez savoir qu'ils sont bons et francs compagnons ; que ne vous adressez-vous Á eux, si vous avez besoin d'appui ? -- C'est-Á-dire, balbutia Milady, je ne suis liÊe rÊellement avec aucun d'eux ; je les connais pour en avoir beaucoup entendu parler par un de leurs amis, M. d'Artagnan. -- Vous connaissez M. d'Artagnan ! " s'Êcria la novice Á son tour, en saisissant la main de Milady et en la dÊvorant des yeux. Puis, remarquant l'Êtrange expression du regard de Milady : " Pardon, Madame, dit-elle, vous le connaissez, Á quel titre ? -- Mais, reprit Milady embarrassÊe, mais Á titre d'ami. -- Vous me trompez, Madame, dit la novice ; vous avez ÊtÊ sa maÏtresse. -- C'est vous qui l'avez ÊtÊ, Madame, s'Êcria Milady Á son tour. -- Moi ! dit la novice. -- Oui, vous ; je vous connais maintenant : vous Ëtes Madame Bonacieux. " La jeune femme se recula, pleine de surprise et de terreur. " Oh ! ne niez pas ! rÊpondez, reprit Milady. -- Eh bien, oui, Madame ! je l'aime, dit la novice sommes-nous rivales ? " La figure de Milady s'illumina d'un feu tellement sauvage que, dans toute autre circonstance, Mme Bonacieux se fÙt enfuie d'Êpouvante ; mais elle Êtait toute Á sa jalousie. " Voyons, dites, Madame, reprit Mme Bonacieux avec une Ênergie dont on l'eÙt crue incapable, avez-vous ÊtÊ ou Ëtes-vous sa maÏtresse ? -- Oh ! non ! s'Êcria Milady avec un accent qui n'admettait pas le doute sur sa vÊritÊ, jamais ! jamais ! -- Je vous crois, dit Mme Bonacieux ; mais pourquoi donc alors vous Ëtes-vous ÊcriÊe ainsi ? -- Comment, vous ne comprenez pas ! dit Milady, qui Êtait dÊjÁ remise de son trouble, et qui avait retrouvÊ toute sa prÊsence d'esprit. -- Comment voulez-vous que je comprenne ? je ne sais rien. -- Vous ne comprenez pas que M. d'Artagnan Êtant mon ami, il m'avait prise pour confidente ? -- Vraiment ! -- Vous ne comprenez pas que je sais tout, votre enlÉvement de la petite maison de Saint-Germain, son dÊsespoir, celui de ses amis, leurs recherches inutiles depuis ce moment ! Et comment ne voulez-vous pas que je m'en Êtonne, quand, sans m'en douter, je me trouve en face de vous, de vous dont nous avons parlÊ si souvent ensemble, de vous qu'il aime de toute la force de son ×me, de vous qu'il m'avait fait aimer avant que je vous eusse vue ? Ah ! chÉre Constance, je vous trouve donc, je vous vois donc enfin ! " Et Milady tendit ses bras Á Mme Bonacieux, qui, convaincue par ce qu'elle venait de lui dire, ne vit plus dans cette femme, qu'un instant auparavant elle avait crue sa rivale, qu'une amie sincÉre et dÊvouÊe. " Oh ! pardonnez-moi ! pardonnez-moi ! s'Êcria-t-elle en se laissant aller sur son Êpaule, je l'aime tant ! " Ces deux femmes se tinrent un instant embrassÊes. Certes, si les forces de Milady eussent ÊtÊ Á la hauteur de sa haine, Mme Bonacieux ne fÙt sortie que morte de cet embrassement. Mais, ne pouvant pas l'Êtouffer, elle lui sourit. " O chÉre belle ! chÉre bonne petite ! dit Milady, que je suis heureuse de vous voir ! Laissez-moi vous regarder. Et, en disant ces mots, elle la dÊvorait effectivement du regard. Oui, c'est bien vous. Ah ! d'aprÉs ce qu'il m'a dit, je vous reconnais Á cette heure, je vous reconnais parfaitement. " La pauvre jeune femme ne pouvait se douter de ce qui se passait d'affreusement cruel derriÉre le rempart de ce front pur, derriÉre ces yeux si brillants oÝ elle ne lisait que de l'intÊrËt et de la compassion. " Alors vous savez ce que j'ai souffert, dit Mme Bonacieux, puisqu'il vous a dit ce qu'il souffrait ; mais souffrir pour lui, c'est du bonheur. " Milady reprit machinalement : " Oui, c'est du bonheur. " Elle pensait Á autre chose. " Et puis, continua Mme Bonacieux, mon supplice touche Á son terme ; demain, ce soir peut-Ëtre, je le reverrai, et alors le passÊ n'existera plus. -- Ce soir ? demain ? s'Êcria Milady tirÊe de sa rËverie par ces paroles, que voulez-vous dire ? Attendez-vous quelque nouvelle de lui ? -- Je l'attends lui-mËme. -- Lui-mËme ; d'Artagnan, ici ! -- Lui-mËme. -- Mais, c'est impossible ! il est au siÉge de La Rochelle avec le cardinal ; il ne reviendra Á Paris qu'aprÉs la prise de la ville. -- Vous le croyez ainsi, mais est-ce qu'il y a quelque chose d'impossible Á mon d'Artagnan, le noble et loyal gentilhomme ! -- Oh ! je ne puis vous croire ! -- Eh bien, lisez donc ! " dit, dans l'excÉs de son orgueil et de sa joie, la malheureuse jeune femme en prÊsentant une lettre Á Milady. " L'Êcriture de Mme de Chevreuse ! se dit en elle-mËme Milady. Ah ! j'Êtais bien sÙre qu'ils avaient des intelligences de ce cÆtÊ-lÁ ! " Et elle lut avidement ces quelques lignes : " Ma chÉre enfant, tenez-vous prËte ; notre ami vous verra bientÆt, et il ne vous verra que pour vous arracher de la prison oÝ votre sÙretÊ exigeait que vous fussiez cachÊe : prÊparez-vous donc au dÊpart et ne dÊsespÊrez jamais de nous. " Notre charmant Gascon vient de se montrer brave et fidÉle comme toujours, dites-lui qu'on lui est bien reconnaissant quelque part de l'avis qu'il a donnÊ. " " Oui, oui, dit Milady, oui, la lettre est prÊcise. Savez-vous quel est cet avis ? -- Non. Je me doute seulement qu'il aura prÊvenu la reine de quelque nouvelle machination du cardinal. -- Oui, c'est cela sans doute ! " dit Milady en rendant la lettre Á Mme Bonacieux et en laissant retomber sa tËte pensive sur sa poitrine. En ce moment on entendit le galop d'un cheval. " Oh ! s'Êcria Mme Bonacieux en s'ÊlanÚant Á la fenËtre, serait-ce dÊjÁ lui ? " Milady Êtait restÊe dans son lit, pÊtrifiÊe par la surprise ; tant de choses inattendues lui arrivaient tout Á coup, que pour la premiÉre fois la tËte lui manquait. " Lui ! lui ! murmura-t-elle, serait-ce lui ? " Et elle demeurait dans son lit les yeux fixes. " HÊlas, non ! dit Mme Bonacieux, c'est un homme que je ne connais pas, et qui cependant a l'air de venir ici ; oui, il ralentit sa course, il s'arrËte Á la porte, il sonne. " Milady sauta hors de son lit. " Vous Ëtes bien sÙre que ce n'est pas lui ? dit-elle. -- Oh ! oui, bien sÙre ! -- Vous avez peut-Ëtre mal vu. -- Oh ! je verrais la plume de son feutre, le bout de son manteau, que je le reconnaÏtrais, lui ! " Milady s'habillait toujours. " N'importe ! cet homme vient ici, dites-vous ? -- Oui, il est entrÊ. -- C'est ou pour vous ou pour moi. -- Oh ! mon Dieu, comme vous semblez agitÊe ! -- Oui, je l'avoue, je n'ai pas votre confiance, je crains tout du cardinal. -- Chut ! dit Mme Bonacieux, on vient ! " Effectivement, la porte s'ouvrit, et la supÊrieure entra. " Est-ce vous qui arrivez de Boulogne ? demanda-t-elle Á Milady. -- Oui, c'est moi, rÊpondit celle-ci, et, t×chant de ressaisir son sang- froid, qui me demande ? -- Un homme qui ne veut pas dire son nom, mais qui vient de la part du cardinal. -- Et qui veut me parler ? demanda Milady. -- Qui veut parler Á une dame arrivant de Boulogne. -- Alors faites entrer, Madame, je vous prie. -- Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! dit Mme Bonacieux, serait-ce quelque mauvaise nouvelle ? -- J'en ai peur. -- Je vous laisse avec cet Êtranger, mais aussitÆt son dÊpart, si vous le permettez, je reviendrai. -- Comment donc ! je vous en prie. " La supÊrieure et Mme Bonacieux sortirent. Milady resta seule, les yeux fixÊs sur la porte ; un instant aprÉs on entendit le bruit d'Êperons qui retentissaient sur les escaliers, puis les pas se rapprochÉrent, puis la porte s'ouvrit, et un homme parut. Milady jeta un cri de joie : cet homme c'Êtait le comte de Rochefort, l'×me damnÊe de Son Eminence. CHAPITRE LXII. DEUX VARIETES DE DEMONS " Ah ! s'ÊcriÉrent ensemble Rochefort et Milady, c'est vous ! -- Oui, c'est moi. -- Et vous arrivez... ? demanda Milady. -- De La Rochelle, et vous ? -- D'Angleterre. -- Buckingham ? -- Mort ou blessÊ dangereusement ; comme je partais sans avoir rien pu obtenir de lui, un fanatique venait de l'assassiner. -- Ah ! fit Rochefort avec un sourire, voilÁ un hasard bien heureux ! et qui satisfera Son Eminence ! L'avez-vous prÊvenue ? -- Je lui ai Êcrit de Boulogne. Mais comment Ëtes-vous ici ? -- Son Eminence, inquiÉte, m'a envoyÊ Á votre recherche. -- Je suis arrivÊe d'hier seulement. -- Et qu'avez-vous fait depuis hier ? -- Je n'ai pas perdu mon temps. -- Oh ! je m'en doute bien ! -- Savez-vous qui j'ai rencontrÊ ici ? -- Non. -- Devinez. -- Comment voulez-vous ?... -- Cette jeune femme que la reine a tirÊe de prison. -- La maÏtresse du petit d'Artagnan ? -- Oui, Mme Bonacieux, dont le cardinal ignorait la retraite. -- Eh bien, dit Rochefort, voilÁ encore un hasard qui peut aller de pair avec l'autre ; M. le cardinal est en vÊritÊ un homme privilÊgiÊ. -- Comprenez-vous mon Êtonnement, continua Milady, quand je me suis trouvÊe face Á face avec cette femme ? -- Vous connaÏt-elle ? -- Non. -- Alors elle vous regarde comme une ÊtrangÉre ? " Milady sourit. " Je suis sa meilleure amie ! -- Sur mon honneur, dit Rochefort, il n'y a que vous, ma chÉre Comtesse, pour faire de ces miracles-lÁ. -- Et bien m'en a pris, chevalier, dit Milady, car savez-vous ce qui se passe ? -- Non. -- On va la venir chercher demain ou aprÉs-demain avec un ordre de la reine. -- Vraiment ? et qui cela ? -- D'Artagnan et ses amis. -- En vÊritÊ ils en feront tant, que nous serons obligÊs de les envoyer Á la Bastille. -- Pourquoi n'est-ce point dÊjÁ fait ? -- Que voulez-vous ! parce que M. le cardinal a pour ces hommes une faiblesse que je ne comprends pas. -- Vraiment ? -- Oui. -- Eh bien, dites-lui ceci, Rochefort : dites-lui que notre conversation Á l'auberge du Colombier-Rouge a ÊtÊ entendue par ces quatre hommes ; dites-lui qu'aprÉs son dÊpart l'un d'eux est montÊ et m'a arrachÊ par violence le sauf-conduit qu'il m'avait donnÊ ; dites-lui qu'ils avaient fait prÊvenir Lord de Winter de mon passage en Angleterre ; que, cette fois encore, ils ont failli faire Êchouer ma mission, comme ils ont fait Êchouer celle des ferrets ; dites-lui que parmi ces quatre hommes, deux seulement sont Á craindre, d'Artagnan et Athos ; dites-lui que le troisiÉme, Aramis, est l'amant de Mme de Chevreuse : il faut laisser vivre celui-lÁ, on sait son secret, il peut Ëtre utile ; quant au quatriÉme, Porthos, c'est un sot, un fat et un niais, qu'il ne s'en occupe mËme pas. -- Mais ces quatre hommes doivent Ëtre Á cette heure au siÉge de La Rochelle. -- Je le croyais comme vous ; mais une lettre que Mme Bonacieux a reÚue de Mme de Chevreuse, et qu'elle a eu l'imprudence de me communiquer, me porte Á croire que ces quatre hommes au contraire sont en campagne pour la venir enlever. -- Diable ! comment faire ? -- Que vous a dit le cardinal Á mon Êgard ? -- De prendre vos dÊpËches Êcrites ou verbales, de revenir en poste, et, quand il saura ce que vous avez fait, il avisera Á ce que vous devez faire. -- Je dois donc rester ici ? demanda Milady. -- Ici ou dans les environs. -- Vous ne pouvez m'emmener avec vous ? -- Non, l'ordre est formel : aux environs du camp, vous pourriez Ëtre reconnue, et votre prÊsence, vous le comprenez, compromettrait Son Eminence, surtout aprÉs ce qui vient de se passer lÁ-bas. Seulement, dites-moi d'avance oÝ vous attendrez des nouvelles du cardinal, que je sache toujours oÝ vous retrouver. -- Ecoutez, il est probable que je ne pourrai rester ici. -- Pourquoi ? -- Vous oubliez que mes ennemis peuvent arriver d'un moment Á l'autre. -- C'est vrai ; mais alors cette petite femme va Êchapper Á Son Eminence ? -- Bah ! dit Milady avec un sourire qui n'appartenait qu'Á elle, vous oubliez que je suis sa meilleure amie. -- Ah ! c'est vrai ! je puis donc dire au cardinal, Á l'endroit de cette femme... -- Qu'il soit tranquille. -- VoilÁ tout ? -- Il saura ce que cela veut dire. -- Il le devinera. Maintenant, voyons, que dois-je faire ? -- Repartir Á l'instant mËme ; il me semble que les nouvelles que vous reportez valent bien la peine que l'on fasse diligence. -- Ma chaise s'est cassÊe en entrant Á Lillers. -- A merveille ! -- Comment, Á merveille ? -- Oui, j'ai besoin de votre chaise, moi, dit la comtesse. -- Et comment partirai-je, alors ? -- A franc Êtrier. -- Vous en parlez bien Á votre aise, cent quatre-vingts lieues. -- Qu'est-ce que cela ? -- On les fera. AprÉs ? -- AprÉs : en passant Á Lillers, vous me renvoyez la chaise avec ordre Á votre domestique de se mettre Á ma disposition. -- Bien. -- Vous avez sans doute sur vous quelque ordre du cardinal ? -- J'ai mon plein pouvoir. -- Vous le montrez Á l'abbesse, et vous dites qu'on viendra me chercher, soit aujourd'hui, soit demain, et que j'aurai Á suivre la personne qui se prÊsentera en votre nom. -- TrÉs bien ! -- N'oubliez pas de me traiter durement en parlant de moi Á l'abbesse. -- A quoi bon ? -- Je suis une victime du cardinal. Il faut bien que j'inspire de la confiance Á cette pauvre petite Mme Bonacieux. -- C'est juste. Maintenant voulez-vous me faire un rapport de tout ce qui est arrivÊ ? -- Mais je vous ai racontÊ les ÊvÊnements, vous avez bonne mÊmoire, rÊpÊtez les choses comme je vous les ai dites, un papier se perd. -- Vous avez raison ; seulement que je sache oÝ vous retrouver, que je n'aille pas courir inutilement dans les environs. -- C'est juste, attendez. -- Voulez-vous une carte ? -- Oh ! je connais ce pays Á merveille. -- Vous ? quand donc y Ëtes-vous venue ? -- J'y ai ÊtÊ ÊlevÊe. -- Vraiment ? -- C'est bon Á quelque chose, vous le voyez, que d'avoir ÊtÊ ÊlevÊe quelque part. -- Vous m'attendrez donc... ? -- Laissez-moi rÊflÊchir un instant ; eh ! tenez, Á ArmentiÉres. -- Qu'est-ce que cela, ArmentiÉres ? -- Une petite ville sur la Lys ! je n'aurai qu'Á traverser la riviÉre et je suis en pays Êtranger. -- A merveille ! mais il est bien entendu que vous ne traverserez la riviÉre qu'en cas de danger. -- C'est bien entendu. -- Et, dans ce cas, comment saurai-je oÝ vous Ëtes ? -- Vous n'avez pas besoin de votre laquais ? -- Non. -- C'est un homme sÙr ? -- A l'Êpreuve. -- Donnez-le-moi ; personne ne le connaÏt, je le laisse Á l'endroit que je quitte, et il vous conduit oÝ je suis. -- Et vous dites que vous m'attendez Á ArgentiÉres ? -- A ArmentiÉres, rÊpondit Milady. -- Ecrivez-moi ce nom-lÁ sur un morceau de papier, de peur que je l'oublie ; ce n'est pas compromettant, un nom de ville, n'est-ce pas ? -- Eh, qui sait ? N'importe, dit Milady en Êcrivant le nom sur une demi- feuille de papier, je me compromets. -- Bien ! dit Rochefort en prenant des mains de Milady le papier, qu'il plia et qu'il enfonÚa dans la coiffe de son feutre ; d'ailleurs, soyez tranquille, je vais faire comme les enfants, et, dans le cas oÝ je perdrais ce papier, rÊpÊter le nom tout le long de la route. Maintenant est-ce tout ? -- Je le crois. -- Cherchons bien : Buckingham mort ou griÉvement blessÊ ; votre entretien avec le cardinal entendu des quatre mousquetaires ; Lord de Winter prÊvenu de votre arrivÊe Á Portsmouth ; d'Artagnan et Athos Á la Bastille ; Aramis l'amant de Mme de Chevreuse ; Porthos un fat ; Mme Bonacieux retrouvÊe ; vous envoyer la chaise le plus tÆt possible ; mettre mon laquais Á votre disposition ; faire de vous une victime du cardinal, pour que l'abbesse ne prenne aucun soupÚon ; ArmentiÉres sur les bords de la Lys. Est-ce cela ? -- En vÊritÊ, mon cher chevalier, vous Ëtes un miracle de mÊmoire. A propos, ajoutez une chose... -- Laquelle ? -- J'ai vu de trÉs jolis bois qui doivent toucher au jardin du couvent, dites qu'il m'est permis de me promener dans ces bois ; qui sait ? j'aurai peut-Ëtre besoin de sortir par une porte de derriÉre. -- Vous pensez Á tout. -- Et vous, vous oubliez une chose... -- Laquelle ? -- C'est de me demander si j'ai besoin d'argent. -- C'est juste, combien voulez-vous ? -- Tout ce que vous aurez d'or. -- J'ai cinq cents pistoles Á peu prÉs. -- J'en ai autant : avec mille pistoles on fait face Á tout ; videz vos poches. -- VoilÁ, Comtesse. -- Bien, mon cher Comte ! et vous partez... ? -- Dans une heure ; le temps de manger un morceau, pendant lequel j'enverrai chercher un cheval de poste. -- A merveille ! Adieu, Chevalier ! -- Adieu, Comtesse. -- Recommandez-moi au cardinal, dit Milady. -- Recommandez-moi Á Satan " , rÊpliqua Rochefort. Milady et Rochefort ÊchangÉrent un sourire et se sÊparÉrent. Une heure aprÉs, Rochefort partit au grand galop de son cheval ; cinq heures aprÉs il passait Á Arras. Nos lecteurs savent dÊjÁ comment il avait ÊtÊ reconnu par d'Artagnan, et comment cette reconnaissance, en inspirant des craintes aux quatre mousquetaires, avait donnÊ une nouvelle activitÊ Á leur voyage. CHAPITRE LXIII. UNE GOUTTE D'EAU A peine Rochefort fut-il sorti, que Mme Bonacieux rentra. Elle trouva Milady le visage riant. " Eh bien, dit la jeune femme, ce que vous craigniez est donc arrivÊ ; ce soir ou demain le cardinal vous envoie prendre ? -- Qui vous a dit cela, mon enfant ? demanda Milady. -- Je l'ai entendu de la bouche mËme du messager. -- Venez vous asseoir ici prÉs de moi, dit Milady. -- Me voici. -- Attendez que je m'assure si personne ne nous Êcoute. -- Pourquoi toutes ces prÊcautions ? -- Vous allez le savoir. " Milady se leva et alla Á la porte, l'ouvrit, regarda dans le corridor, et revint se rasseoir prÉs de Mme Bonacieux. " Alors, dit-elle, il a bien jouÊ son rÆle. -- Qui cela ? -- Celui qui s'est prÊsentÊ Á l'abbesse comme l'envoyÊ du cardinal. -- C'Êtait donc un rÆle qu'il jouait ? -- Oui, mon enfant. -- Cet homme n'est donc pas... -- Cet homme, dit Milady en baissant la voix, c'est mon frÉre. -- Votre frÉre ! s'Êcria Mme Bonacieux. -- Eh bien, il n'y a que vous qui sachiez ce secret, mon enfant ; si vous le confiez Á qui que ce soit au monde, je serai perdue, et vous aussi peut-Ëtre. -- Oh ! mon Dieu ! -- Ecoutez, voici ce qui se passe : mon frÉre, qui venait Á mon secours pour m'enlever ici de force, s'il le fallait, a rencontrÊ l'Êmissaire du cardinal qui venait me chercher ; il l'a suivi. ArrivÊ Á un endroit du chemin solitaire et ÊcartÊ, il a mis l'ÊpÊe Á la main en sommant le messager de lui remettre les papiers dont il Êtait porteur ; le messager a voulu se dÊfendre, mon frÉre l'a tuÊ. -- Oh ! fit Mme Bonacieux en frissonnant. -- C'Êtait le seul moyen, songez-y. Alors mon frÉre a rÊsolu de substituer la ruse Á la force : il a pris les papiers, il s'est prÊsentÊ ici comme l'Êmissaire du cardinal lui-mËme, et dans une heure ou deux, une voiture doit venir me prendre de la part de Son Eminence. -- Je comprends ; cette voiture, c'est votre frÉre qui vous l'envoie. -- Justement ; mais ce n'est pas tout : cette lettre que vous avez reÚue, et que vous croyez de Mme Chevreuse... -- Eh bien ? -- Elle est fausse. -- Comment cela ? -- Oui, fausse : c'est un piÉge pour que vous ne fassiez pas de rÊsistance quand on viendra vous chercher. -- Mais c'est d'Artagnan qui viendra. -- DÊtrompez-vous, d'Artagnan et ses amis sont retenus au siÉge de La Rochelle. -- Comment savez-vous cela ? -- Mon frÉre a rencontrÊ des Êmissaires du cardinal en habits de mousquetaires. On vous aurait appelÊe Á la porte, vous auriez cru avoir affaire Á des amis, on vous enlevait et on vous ramenait Á Paris. -- Oh ! mon Dieu ! ma tËte se perd au milieu de ce chaos d'iniquitÊs. Je sens que si cela durait, co