ami, vous allez manger ce morceau de papier, puis, pour vous rÊcompenser du service que vous nous aurez rendu, vous boirez ensuite ce verre de vin ; voici la lettre d'abord, m×chez avec Ênergie. " Grimaud sourit, et, les yeux fixÊs sur le verre qu'Athos venait de remplir bord Á bord, il broya le papier et l'avala. " Bravo, maÏtre Grimaud ! dit Athos, et maintenant prenez ceci ; bien, je vous dispense de dire merci. " Grimaud avala silencieusement le verre de vin de Bordeaux, mais ses yeux levÊs au ciel parlaient, pendant tout le temps que dura cette douce occupation, un langage qui, pour Ëtre muet, n'en Êtait pas moins expressif. " Et maintenant, dit Athos, Á moins que M. le cardinal n'ait l'ingÊnieuse idÊe de faire ouvrir le ventre Á Grimaud, je crois que nous pouvons Ëtre Á peu prÉs tranquilles. " Pendant ce temps, Son Eminence continuait sa promenade mÊlancolique en murmurant entre ses moustaches : " DÊcidÊment, il faut que ces quatre hommes soient Á moi. " CHAPITRE LII. PREMIERE JOURNEE DE CAPTIVITE Revenons Á Milady, qu'un regard jetÊ sur les cÆtes de France nous a fait perdre de vue un instant. Nous la retrouverons dans la position dÊsespÊrÊe oÝ nous l'avons laissÊe, se creusant un abÏme de sombres rÊflexions, sombre enfer Á la porte duquel elle a presque laissÊ l'espÊrance : car pour la premiÉre fois elle doute, pour la premiÉre fois elle craint. Dans deux occasions sa fortune lui a manquÊ, dans deux occasions elle s'est vue dÊcouverte et trahie, et dans ces deux occasions, c'est contre le gÊnie fatal envoyÊ sans doute par le Seigneur pour la combattre qu'elle a ÊchouÊ : d'Artagnan l'a vaincue, elle, cette invincible puissance du mal. Il l'a abusÊe dans son amour, humiliÊe dans son orgueil, trompÊe dans son ambition, et maintenant voilÁ qu'il la perd dans sa fortune, qu'il l'atteint dans sa libertÊ, qu'il la menace mËme dans sa vie. Bien plus, il a levÊ un coin de son masque, cette Êgide dont elle se couvre et qui la rend si forte. D'Artagnan a dÊtournÊ de Buckingham, qu'elle hait, comme elle hait tout ce qu'elle a aimÊ, la tempËte dont le menaÚait Richelieu dans la personne de la reine. D'Artagnan s'est fait passer pour de Wardes, pour lequel elle avait une de ces fantaisies de tigresse, indomptables comme en ont les femmes de ce caractÉre. D'Artagnan connaÏt ce terrible secret qu'elle a jurÊ que nul ne connaÏtrait sans mourir. Enfin, au moment oÝ elle vient d'obtenir un blanc-seing Á l'aide duquel elle va se venger de son ennemi, le blanc-seing lui est arrachÊ des mains, et c'est d'Artagnan qui la tient prisonniÉre et qui va l'envoyer dans quelque immonde Botany Bay, dans quelque Tyburn inf×me de l'ocÊan Indien. Car tout cela lui vient de d'Artagnan sans doute ; de qui viendraient tant de hontes amassÊes sur sa tËte sinon de lui ? Lui seul a pu transmettre Á Lord de Winter tous ces affreux secrets, qu'il a dÊcouverts les uns aprÉs les autres par une sorte de fatalitÊ. Il connaÏt son beau-frÉre, il lui aura Êcrit. Que de haine elle distille ! LÁ, immobile, et les yeux ardents et fixes dans son appartement dÊsert, comme les Êclats de ses rugissements sourds, qui parfois s'Êchappent avec sa respiration du fond de sa poitrine, accompagnent bien le bruit de la houle qui monte, gronde, mugit et vient se briser, comme un dÊsespoir Êternel et impuissant, contre les rochers sur lesquels est b×ti ce ch×teau sombre et orgueilleux ! Comme, Á la lueur des Êclairs que sa colÉre orageuse fait briller dans son esprit, elle conÚoit contre Mme Bonacieux, contre Buckingham, et surtout contre d'Artagnan, de magnifiques projets de vengeance, perdus dans les lointains de l'avenir ! Oui, mais pour se venger il faut Ëtre libre, et pour Ëtre libre, quand on est prisonnier, il faut percer un mur, desceller des barreaux, trouer un plancher ; toutes entreprises que peut mener Á bout un homme patient et fort mais devant lesquelles doivent Êchouer les irritations fÊbriles d'une femme. D'ailleurs, pour faire tout cela il faut avoir le temps, des mois, des annÊes, et elle... elle a dix ou douze jours, Á ce que lui a dit Lord de Winter, son fraternel et terrible geÆlier. Et cependant, si elle Êtait un homme, elle tenterait tout cela, et peut- Ëtre rÊussirait-elle : pourquoi donc le Ciel s'est-il ainsi trompÊ, en mettant cette ×me virile dans ce corps frËle et dÊlicat ! Aussi les premiers moments de la captivitÊ ont ÊtÊ terribles : quelques convulsions de rage qu'elle n'a pu vaincre ont payÊ sa dette de faiblesse fÊminine Á la nature. Mais peu Á peu elle a surmontÊ les Êclats de sa folle colÉre, les frÊmissements nerveux qui ont agitÊ son corps ont disparu, et maintenant elle s'est repliÊe sur elle-mËme comme un serpent fatiguÊ qui se repose. " Allons, allons ; j'Êtais folle de m'emporter ainsi, dit-elle en plongeant dans la glace, qui reflÉte dans ses yeux son regard brÙlant, par lequel elle semble s'interroger elle-mËme. Pas de violence, la violence est une preuve de faiblesse. D'abord je n'ai jamais rÊussi par ce moyen : peut- Ëtre, si j'usais de ma force contre des femmes, aurais-je chance de les trouver plus faibles encore que moi, et par consÊquent de les vaincre ; mais c'est contre des hommes que je lutte, et je ne suis qu'une femme pour eux. Luttons en femme, ma force est dans ma faiblesse. " Alors, comme pour se rendre compte Á elle-mËme des changements qu'elle pouvait imposer Á sa physionomie si expressive et si mobile, elle lui fit prendre Á la fois toutes les expressions, depuis celle de la colÉre qui crispait ses traits, jusqu'Á celle du plus doux, du plus affectueux et du plus sÊduisant sourire. Puis ses cheveux prirent successivement sous ses mains savantes les ondulations qu'elle crut pouvoir aider aux charmes de son visage. Enfin elle murmura, satisfaite d'elle-mËme : " Allons, rien n'est perdu. Je suis toujours belle. " Il Êtait huit heures du soir Á peu prÉs. Milady aperÚut un lit ; elle pensa qu'un repos de quelques heures rafraÏchirait non seulement sa tËte et ses idÊes, mais encore son teint. Cependant, avant de se coucher, une idÊe meilleure lui vint. Elle avait entendu parler de souper. DÊjÁ elle Êtait depuis une heure dans cette chambre, on ne pouvait tarder Á lui apporter son repas. La prisonniÉre ne voulut pas perdre de temps, et elle rÊsolut de faire, dÉs cette mËme soirÊe, quelque tentative pour sonder le terrain, en Êtudiant le caractÉre des gens auxquels sa garde Êtait confiÊe. Une lumiÉre apparut sous la porte ; cette lumiÉre annonÚait le retour de ses geÆliers. Milady, qui s'Êtait levÊe, se rejeta vivement sur son fauteuil, la tËte renversÊe en arriÉre, ses beaux cheveux dÊnouÊs et Êpars, sa gorge demi-nue sous ses dentelles froissÊes, une main sur son coeur et l'autre pendante. On ouvrit les verrous, la porte grinÚa sur ses gonds, des pas retentirent dans la chambre et s'approchÉrent. " Posez lÁ cette table " , dit une voix que la prisonniÉre reconnut pour celle de Felton. L'ordre fut exÊcutÊ. " Vous apporterez des flambeaux et ferez relever la sentinelle " , continua Felton. Ce double ordre que donna aux mËmes individus le jeune lieutenant prouva Á Milady que ses serviteurs Êtaient les mËmes hommes que ses gardiens, c'est-Á-dire des soldats. Les ordres de Felton Êtaient, au reste, exÊcutÊs avec une silencieuse rapiditÊ qui donnait une bonne idÊe de l'Êtat florissant dans lequel il maintenait la discipline. Enfin, Felton, qui n'avait pas encore regardÊ Milady, se retourna vers elle. " Ah ! ah ! dit-il, elle dort, c'est bien : Á son rÊveil elle soupera. " Et il fit quelques pas pour sortir. " Mais, mon lieutenant, dit un soldat moins stoÐque que son chef, et qui s'Êtait approchÊ de Milady, cette femme ne dort pas. -- Comment, elle ne dort pas ? dit Felton, que fait-elle donc, alors ? -- Elle est Êvanouie ; son visage est trÉs p×le, et j'ai beau Êcouter, je n'entends pas sa respiration. -- Vous avez raison, dit Felton aprÉs avoir regardÊ Milady de la place oÝ il se trouvait, sans faire un pas vers elle, allez prÊvenir Lord de Winter que sa prisonniÉre est Êvanouie, car je ne sais que faire, le cas n'ayant pas ÊtÊ prÊvu. " Le soldat sortit pour obÊir aux ordres de son officier ; Felton s'assit sur un fauteuil qui se trouvait par hasard prÉs de la porte et attendit sans dire une parole, sans faire un geste. Milady possÊdait ce grand art, tant ÊtudiÊ par les femmes, de voir Á travers ses longs cils sans avoir l'air d'ouvrir les paupiÉres : elle aperÚut Felton qui lui tournait le dos, elle continua de le regarder pendant dix minutes Á peu prÉs, et pendant ces dix minutes, l'impassible gardien ne se retourna pas une seule fois. Elle songea alors que Lord de Winter allait venir et rendre, par sa prÊsence, une nouvelle force Á son geÆlier : sa premiÉre Êpreuve Êtait perdue, elle en prit son parti en femme qui compte sur ses ressources ; en consÊquence elle leva la tËte, ouvrit les yeux et soupira faiblement. A ce soupir, Felton se retourna enfin. " Ah ! vous voici rÊveillÊe, Madame ! dit-il, je n'ai donc plus affaire ici ! Si vous avez besoin de quelque chose, vous appellerez. -- Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! que j'ai souffert ! " murmura Milady avec cette voix harmonieuse qui, pareille Á celle des enchanteresses antiques, charmait tous ceux qu'elle voulait perdre. Et elle prit en se redressant sur son fauteuil une position plus gracieuse et plus abandonnÊe encore que celle qu'elle avait lorsqu'elle Êtait couchÊe. Felton se leva. " Vous serez servie ainsi trois fois par jour, madame, dit-il : le matin Á neuf heures, dans la journÊe Á une heure, et le soir Á huit heures. Si cela ne vous convient pas, vous pouvez indiquer vos heures au lieu de celles que je vous propose, et, sur ce point, on se conformera Á vos dÊsirs. -- Mais vais-je donc rester toujours seule dans cette grande et triste chambre ? demanda Milady. -- Une femme des environs a ÊtÊ prÊvenue, elle sera demain au ch×teau, et viendra toutes les fois que vous dÊsirerez sa prÊsence. -- Je vous rends gr×ce, Monsieur " , rÊpondit humblement la prisonniÉre. Felton fit un lÊger salut et se dirigea vers la porte. Au moment oÝ il allait en franchir le seuil, Lord de Winter parut dans le corridor, suivi du soldat qui Êtait allÊ lui porter la nouvelle de l'Êvanouissement de Milady. Il tenait Á la main un flacon de sels. " Eh bien ! qu'est-ce ? et que se passe-t-il donc ici ? dit-il d'une voix railleuse en voyant sa prisonniÉre debout et Felton prËt Á sortir. Cette morte est-elle donc dÊjÁ ressuscitÊe ? Pardieu, Felton, mon enfant, tu n'as donc pas vu qu'on te prenait pour un novice et qu'on te jouait le premier acte d'une comÊdie dont nous aurons sans doute le plaisir de suivre tous les dÊveloppements ? -- Je l'ai bien pensÊ, Milord, dit Felton ; mais, enfin, comme la prisonniÉre est femme, aprÉs tout, j'ai voulu avoir les Êgards que tout homme bien nÊ doit Á une femme, sinon pour elle, du moins pour lui- mËme. " Milady frissonna par tout son corps. Ces paroles de Felton passaient comme une glace par toutes ses veines. " Ainsi, reprit de Winter en riant, ces beaux cheveux savamment ÊtalÊs, cette peau blanche et ce langoureux regard ne t'ont pas encore sÊduit, coeur de pierre ? -- Non, Milord, rÊpondit l'impassible jeune homme, et croyez-moi bien, il faut plus que des manÉges et des coquetteries de femme pour me corrompre. -- En ce cas, mon brave lieutenant, laissons Milady chercher autre chose et allons souper ; ah ! sois tranquille, elle a l'imagination fÊconde et le second acte de la comÊdie ne tardera pas Á suivre le premier. " Et Á ces mots Lord de Winter passa son bras sous celui de Felton et l'emmena en riant. " Oh ! je trouverai bien ce qu'il te faut, murmura Milady entre ses dents ; sois tranquille, pauvre moine manquÊ, pauvre soldat converti qui t'es taillÊ ton uniforme dans un froc. " " A propos, reprit de Winter en s'arrËtant sur le seuil de la porte, il ne faut pas, Milady, que cet Êchec vous Æte l'appÊtit. T×tez de ce poulet et de ces poissons que je n'ai pas fait empoisonner, sur l'honneur. Je m'accommode assez de mon cuisinier, et comme il ne doit pas hÊriter de moi, j'ai en lui pleine et entiÉre confiance. Faites comme moi. Adieu, chÉre soeur ! Á votre prochain Êvanouissement. " C'Êtait tout ce que pouvait supporter Milady : ses mains se crispÉrent sur son fauteuil, ses dents grincÉrent sourdement, ses yeux suivirent le mouvement de la porte qui se fermait derriÉre Lord de Winter et Felton ; et, lorsqu'elle se vit seule, une nouvelle crise de dÊsespoir la prit ; elle jeta les yeux sur la table, vit briller un couteau, s'ÊlanÚa et le saisit ; mais son dÊsappointement fut cruel : la lame en Êtait ronde et d'argent flexible. Un Êclat de rire retentit derriÉre la porte mal fermÊe, et la porte se rouvrit. " Ah ! ah ! s'Êcria Lord de Winter ; ah ! ah ! vois-tu bien, mon brave Felton, vois-tu ce que je t'avais dit : ce couteau, c'Êtait pour toi ; mon enfant, elle t'aurait tuÊ ; vois-tu, c'est un de ses travers, de se dÊbarrasser ainsi, d'une faÚon ou de l'autre, des gens qui la gËnent. Si je t'eusse ÊcoutÊ, le couteau eÙt ÊtÊ pointu et d'acier : alors plus de Felton, elle t'aurait ÊgorgÊ et, aprÉs toi, tout le monde. Vois donc, John, comme elle sait bien tenir son couteau. " En effet, Milady tenait encore l'arme offensive dans sa main crispÊe, mais ces derniers mots, cette suprËme insulte, dÊtendirent ses mains, ses forces et jusqu'Á sa volontÊ. Le couteau tomba par terre. " Vous avez raison, Milord, dit Felton avec un accent de profond dÊgoÙt qui retentit jusqu'au fond du coeur de Milady, vous avez raison et c'est moi qui avais tort. " Et tous deux sortirent de nouveau. Mais cette fois, Milady prËta une oreille plus attentive que la premiÉre fois, et elle entendit leurs pas s'Êloigner et s'Êteindre dans le fond du corridor. " Je suis perdue, murmura-t-elle, me voilÁ au pouvoir de gens sur lesquels je n'aurai pas plus de prise que sur des statues de bronze ou de granit ; ils me savent par coeur et sont cuirassÊs contre toutes mes armes. " Il est cependant impossible que cela finisse comme ils l'ont dÊcidÊ. " En effet, comme l'indiquait cette derniÉre rÊflexion, ce retour instinctif Á l'espÊrance, dans cette ×me profonde la crainte et les sentiments faibles ne surnageaient pas longtemps. Milady se mit Á table, mangea de plusieurs mets, but un peu de vin d'Espagne, et sentit revenir toute sa rÊsolution. Avant de se coucher elle avait dÊjÁ commentÊ, analysÊ, retournÊ sur toutes leurs faces, examinÊ sous tous les points, les paroles, les pas, les gestes, les signes et jusqu'au silence de ses geÆliers, et de cette Êtude profonde, habile et savante, il Êtait rÊsultÊ que Felton Êtait, Á tout prendre, le plus vulnÊrable de ses deux persÊcuteurs. Un mot surtout revenait Á l'esprit de la prisonniÉre : " Si je t'eusse ÊcoutÊ " , avait dit Lord de Winter Á Felton. Donc Felton avait parlÊ en sa faveur, puisque Lord de Winter n'avait pas voulu Êcouter Felton. " Faible ou forte, rÊpÊtait Milady, cet homme a donc une lueur de pitiÊ dans son ×me ; de cette lueur je ferai un incendie qui le dÊvorera. " Quant Á l'autre, il me connaÏt, il me craint et sait ce qu'il a Á attendre de moi si jamais je m'Êchappe de ses mains, il est donc inutile de rien tenter sur lui. Mais Felton, c'est autre chose ; c'est un jeune homme naÐf, pur et qui semble vertueux ; celui-lÁ, il y a moyen de le perdre. " Et Milady se coucha et s'endormit le sourire sur les lÉvres ; quelqu'un qui l'eÙt vue dormant eÙt dit une jeune fille rËvant Á la couronne de fleurs qu'elle devait mettre sur son front Á la prochaine fËte. CHAPITRE LIII. DEUXIEME JOURNEE DE CAPTIVITE Milady rËvait qu'elle tenait enfin d'Artagnan, qu'elle assistait Á son supplice, et c'Êtait la vue de son sang odieux, coulant sous la hache du bourreau, qui dessinait ce charmant sourire sur les lÉvres. Elle dormait comme dort un prisonnier bercÊ par sa premiÉre espÊrance. Le lendemain, lorsqu'on entra dans sa chambre, elle Êtait encore au lit. Felton Êtait dans le corridor : il amenait la femme dont il avait parlÊ la veille, et qui venait d'arriver ; cette femme entra et s'approcha du lit de Milady en lui offrant ses services. Milady Êtait habituellement p×le ; son teint pouvait donc tromper une personne qui la voyait pour la premiÉre fois. " J'ai la fiÉvre, dit-elle ; je n'ai pas dormi un seul instant pendant toute cette longue nuit, je souffre horriblement : serez-vous plus humaine qu'on ne l'a ÊtÊ hier avec moi ? Tout ce que je demande, au reste, c'est la permission de rester couchÊe. -- Voulez-vous qu'on appelle un mÊdecin ? " dit la femme. Felton Êcoutait ce dialogue sans dire une parole. Milady rÊflÊchissait que plus on l'entourerait de monde, plus elle aurait de monde Á apitoyer, et plus la surveillance de Lord de Winter redoublerait ; d'ailleurs le mÊdecin pourrait dÊclarer que la maladie Êtait feinte, et Milady, aprÉs avoir perdu la premiÉre partie, ne voulait pas perdre la seconde. " Aller chercher un mÊdecin, dit-elle, Á quoi bon ? ces Messieurs ont dÊclarÊ hier que mon mal Êtait une comÊdie, il en serait sans doute de mËme aujourd'hui ; car depuis hier soir, on a eu le temps de prÊvenir le docteur. -- Alors, dit Felton impatientÊ, dites vous-mËme, Madame, quel traitement vous voulez suivre. -- Eh ! le sais-je, moi ? mon Dieu ! je sens que je souffre, voilÁ tout, que l'on me donne ce que l'on voudra, peu m'importe. -- Allez chercher Lord de Winter, dit Felton fatiguÊ de ces plaintes Êternelles. -- Oh ! non, non ! s'Êcria Milady, non, Monsieur, ne l'appelez pas, je vous en conjure, je suis bien, je n'ai besoin de rien, ne l'appelez pas. " Elle mit une vÊhÊmence si prodigieuse, une Êloquence si entraÏnante dans cette exclamation, que Felton, entraÏnÊ, fit quelques pas dans la chambre. " Il est Êmu " , pensa Milady. " Cependant, Madame, dit Felton, si vous souffrez rÊellement , on enverra chercher un mÊdecin, et si vous nous trompez, Eh bien, ce sera tant pis pour vous, mais du moins, de notre cÆtÊ, nous n'aurons rien Á nous reprocher. " Milady ne rÊpondit point ; mais renversant sa belle tËte sur son oreiller, elle fondit en larmes et Êclata en sanglots. Felton la regarda un instant avec son impassibilitÊ ordinaire ; puis voyant que la crise menaÚait de se prolonger, il sortit ; la femme le suivit. Lord de Winter ne parut pas. " Je crois que je commence Á voir clair " , murmura Milady avec une joie sauvage, en s'ensevelissant sous les draps pour cacher Á tous ceux qui pourraient l'Êpier cet Êlan de satisfaction intÊrieure. Deux heures s'ÊcoulÉrent. " Maintenant il est temps que la maladie cesse, dit-elle : levons-nous et obtenons quelque succÉs dÉs aujourd'hui ; je n'ai que dix jours, et ce soir il y en aura deux d'ÊcoulÊs. " En entrant, le matin, dans la chambre de Milady, on lui avait apportÊ son dÊjeuner ; or elle avait pensÊ qu'on ne tarderait pas Á venir enlever la table, et qu'en ce moment elle reverrait Felton. Milady ne se trompait pas. Felton reparut, et, sans faire attention si Milady avait ou non touchÊ au repas, fit un signe pour qu'on emport×t hors de la chambre la table, que l'on apportait ordinairement toute servie. Felton resta le dernier, il tenait un livre Á la main. Milady, couchÊe dans un fauteuil prÉs de la cheminÊe, belle, p×le et rÊsignÊe, ressemblait Á une vierge sainte attendant le martyre. Felton s'approcha d'elle et dit : " Lord de Winter, qui est catholique comme vous, Madame, a pensÊ que la privation des rites et des cÊrÊmonies de votre religion peut vous Ëtre pÊnible : il consent donc Á ce que vous lisiez chaque jour l'ordinaire de votre messe , et voici un livre qui en contient le rituel. " A l'air dont Felton dÊposa ce livre sur la petite table prÉs de laquelle Êtait Milady, au ton dont il prononÚa ces deux mots votre messe , au sourire dÊdaigneux dont il les accompagna, Milady leva la tËte et regarda plus attentivement l'officier. Alors, Á cette coiffure sÊvÉre, Á ce costume d'une simplicitÊ exagÊrÊe, Á ce front poli comme le marbre, mais dur et impÊnÊtrable comme lui, elle reconnut un de ces sombres puritains qu'elle avait rencontrÊs si souvent tant Á la cour du roi Jacques qu'Á celle du roi de France, oÝ, malgrÊ le souvenir de la Saint-BarthÊlÊmy, ils venaient parfois chercher un refuge. Elle eut donc une de ces inspirations subites comme les gens de gÊnie seuls en reÚoivent dans les grandes crises, dans les moments suprËmes qui doivent dÊcider de leur fortune ou de leur vie. Ces deux mots, votre messe , et un simple coup d'oeil jetÊ sur Felton, lui avaient en effet rÊvÊlÊ toute l'importance de la rÊponse qu'elle allait faire. Mais avec cette rapiditÊ d'intelligence qui lui Êtait particuliÉre, cette rÊponse toute formulÊe se prÊsenta sur ses lÉvres : " Moi ! dit-elle avec un accent de dÊdain montÊ Á l'unisson de celui qu'elle avait remarquÊ dans la voix du jeune officier, moi, Monsieur, ma messe ! Lord de Winter, le catholique corrompu, sait bien que je ne suis pas de sa religion, et c'est un piÉge qu'il veut me tendre ! -- Et de quelle religion Ëtes-vous donc, Madame ? demanda Felton avec un Êtonnement que, malgrÊ son empire sur lui-mËme, il ne put cacher entiÉrement. -- Je le dirai, s'Êcria Milady avec une exaltation feinte, le jour oÝ j'aurai assez souffert pour ma foi. " Le regard de Felton dÊcouvrit Á Milady toute l'Êtendue de l'espace qu'elle venait de s'ouvrir par cette seule parole. Cependant le jeune officier demeura muet et immobile, son regard seul avait parlÊ. " Je suis aux mains de mes ennemis, continua-t-elle avec ce ton d'enthousiasme qu'elle savait familier aux puritains ; Eh bien, que mon Dieu me sauve ou que je pÊrisse pour mon Dieu ! voilÁ la rÊponse que je vous prie de faire Á Lord de Winter. Et quant Á ce livre, ajouta-t-elle en montrant le rituel du bout du doigt, mais sans le toucher, comme si elle eÙt dÙ Ëtre souillÊe par cet attouchement, vous pouvez le remporter et vous en servir pour vous-mËme, car sans doute vous Ëtes doublement complice de Lord de Winter, complice dans sa persÊcution, complice dans son hÊrÊsie. " Felton ne rÊpondit rien, prit le livre avec le mËme sentiment de rÊpugnance qu'il avait dÊjÁ manifestÊ et se retira pensif. Lord de Winter vint vers les cinq heures du soir ; Milady avait eu le temps pendant toute la journÊe de se tracer son plan de conduite ; elle le reÚut en femme qui a dÊjÁ repris tous ses avantages. " Il paraÏt, dit le baron en s'asseyant dans un fauteuil en face de celui qu'occupait Milady et en Êtendant nonchalamment ses pieds sur le foyer, il paraÏt que nous avons fait une petite apostasie ! -- Que voulez-vous dire, Monsieur ? -- Je veux dire que depuis la derniÉre fois que nous nous sommes vus, nous avons changÊ de religion ; auriez-vous ÊpousÊ un troisiÉme mari protestant, par hasard ? -- Expliquez-vous, Milord, reprit la prisonniÉre avec majestÊ, car je vous dÊclare que j'entends vos paroles, mais que je ne les comprends pas. -- Alors, c'est que vous n'avez pas de religion du tout ; j'aime mieux cela, reprit en ricanant Lord de Winter. -- Il est certain que cela est plus selon vos principes, reprit froidement Milady. -- Oh ! je vous avoue que cela m'est parfaitement Êgal. -- Oh ! vous n'avoueriez pas cette indiffÊrence religieuse, Milord, que vos dÊbauches et vos crimes en feraient foi. -- Hein ! vous parlez de dÊbauches, Madame Messaline, vous parlez de crimes, Lady Macbeth ! Ou j'ai mal entendu, ou vous Ëtes, pardieu, bien impudente. -- Vous parlez ainsi parce que vous savez qu'on nous Êcoute, Monsieur, rÊpondit froidement Milady, et que vous voulez intÊresser vos geÆliers et vos bourreaux contre moi. -- Mes geÆliers ! mes bourreaux ! Ouais, Madame, vous le prenez sur un ton poÊtique, et la comÊdie d'hier tourne ce soir Á la tragÊdie. Au reste, dans huit jours vous serez oÝ vous devez Ëtre et ma t×che sera achevÊe. -- T×che inf×me ! t×che impie ! reprit Milady avec l'exaltation de la victime qui provoque son juge. -- Je crois, ma parole d'honneur, dit de Winter en se levant, que la drÆlesse devient folle. Allons, allons, calmez-vous, Madame la puritaine, ou je vous fais mettre au cachot. Pardieu ! c'est mon vin d'Espagne qui vous monte Á la tËte, n'est-ce pas ? Mais, soyez tranquille, cette ivresse-lÁ n'est pas dangereuse et n'aura pas de suites. " Et Lord de Winter se retira en jurant, ce qui Á cette Êpoque Êtait une habitude toute cavaliÉre. Felton Êtait en effet derriÉre la porte et n'avait pas perdu un mot de toute cette scÉne. Milady avait devinÊ juste. " Oui, va ! va ! dit-elle Á son frÉre, les suites approchent, au contraire, mais tu ne les verras, imbÊcile, que lorsqu'il ne sera plus temps de les Êviter. " Le silence se rÊtablit, deux heures s'ÊcoulÉrent ; on apporta le souper, et l'on trouva Milady occupÊe Á faire tout haut ses priÉres, priÉres qu'elle avait apprises d'un vieux serviteur de son second mari, puritain des plus austÉres. Elle semblait en extase et ne parut pas mËme faire attention Á ce qui se passait autour d'elle. Felton fit signe qu'on ne la dÊrange×t point, et lorsque tout fut en Êtat il sortit sans bruit avec les soldats. Milady savait qu'elle pouvait Ëtre ÊpiÊe, elle continua donc ses priÉres jusqu'Á la fin, et il lui sembla que le soldat qui Êtait de sentinelle Á sa porte ne marchait plus du mËme pas et paraissait Êcouter. Pour le moment, elle n'en voulait pas davantage, elle se releva, se mit Á table, mangea peu et ne but que de l'eau. Une heure aprÉs on vint enlever la table, mais Milady remarqua que cette fois Felton n'accompagnait point les soldats. Il craignait donc de la voir trop souvent. Elle se retourna vers le mur pour sourire, car il y avait dans ce sourire une telle expression de triomphe que ce seul sourire l'eÙt dÊnoncÊe. Elle laissa encore s'Êcouler une demi-heure, et comme en ce moment tout faisait silence dans le vieux ch×teau, comme on n'entendait que l'Êternel murmure de la houle, cette respiration immense de l'ocÊan, de sa voix pure, harmonieuse et vibrante, elle commenÚa le premier couplet de ce psaume alors en entiÉre faveur prÉs des puritains : Seigneur, si tu nous abandonnes, C'est pour voir si nous sommes forts. ; Mais ensuite c'est toi qui donnes De ta cÊleste main la palme Á nos efforts. Ces vers n'Êtaient pas excellents, il s'en fallait mËme de beaucoup ; mais, comme on le sait, les protestants ne se piquaient pas de poÊsie. Tout en chantant, Milady Êcoutait : le soldat de garde Á sa porte s'Êtait arrËtÊ comme s'il eÙt ÊtÊ changÊ en pierre. Milady put donc juger de l'effet qu'elle avait produit. Alors elle continua son chant avec une ferveur et un sentiment inexprimables ; il lui sembla que les sons se rÊpandaient au loin sous les voÙtes et allaient comme un charme magique adoucir le coeur de ses geÆliers. Cependant il paraÏt que le soldat en sentinelle, zÊlÊ catholique sans doute, secoua le charme, car Á travers la porte : " Taisez-vous donc, Madame, dit-il, votre chanson est triste comme un De profundis , et si, outre l'agrÊment d'Ëtre en garnison ici, il faut encore y entendre de pareilles choses, ce sera Á n'y point tenir. -- Silence ! dit alors une voix grave, que Milady reconnut pour celle de Felton ; de quoi vous mËlez-vous, drÆle ? Vous a-t-on ordonnÊ d'empËcher cette femme de chanter ? Non. On vous a dit de la garder, de tirer sur elle si elle essayait de fuir. Gardez-la ; si elle fuit, tuez-la ; mais ne changez rien Á la consigne. " Une expression de joie indicible illumina le visage de Milady, mais cette expression fut fugitive comme le reflet d'un Êclair, et, sans paraÏtre avoir entendu le dialogue dont elle n'avait pas perdu un mot, elle reprit en donnant Á sa voix tout le charme, toute l'Êtendue et toute la sÊduction que le dÊmon y avait mis : Pour tant de pleurs et de misÉre, Pour mon exil et pour mes fers, J'ai ma jeunesse, ma priÉre, Et Dieu, qui comptera les maux que j'ai soufferts. Cette voix, d'une Êtendue inouÐe et d'une passion sublime, donnait Á la poÊsie rude et inculte de ces psaumes une magie et une expression que les puritains les plus exaltÊs trouvaient rarement dans les chants de leurs frÉres, et qu'ils Êtaient forcÊs d'orner de toutes les ressources de leur imagination : Felton crut entendre chanter l'ange qui consolait les trois HÊbreux dans la fournaise. Milady continua : Mais le jour de la dÊlivrance Viendra pour nous, Dieu juste et fort ; Et s'il trompe notre espÊrance, Il nous reste toujours le martyre et la mort. Ce couplet, dans lequel la terrible enchanteresse s'efforÚa de mettre toute son ×me, acheva de porter le dÊsordre dans le coeur du jeune officier : il ouvrit brusquement la porte, et Milady le vit apparaÏtre p×le comme toujours, mais les yeux ardents et presque ÊgarÊs. " Pourquoi chantez-vous ainsi, dit-il, et avec une pareille voix ? -- Pardon, Monsieur, dit Milady avec douceur, j'oubliais que mes chants ne sont pas de mise dans cette maison. Je vous ai sans doute offensÊ dans vos croyances ; mais c'Êtait sans le vouloir, je vous jure ; pardonnez-moi donc une faute qui est peut-Ëtre grande, mais qui certainement est involontaire. " Milady Êtait si belle dans ce moment, l'extase religieuse dans laquelle elle semblait plongÊe donnait une telle expression Á sa physionomie, que Felton, Êbloui, crut voir l'ange que tout Á l'heure il croyait seulement entendre. " Oui, oui, rÊpondit-il, oui : vous troublez, vous agitez les gens qui habitent ce ch×teau. " Et le pauvre insensÊ ne s'apercevait pas lui-mËme de l'incohÊrence de ses discours, tandis que Milady plongeait son oeil de lynx au plus profond de son coeur. " Je me tairai, dit Milady en baissant les yeux avec toute la douceur qu'elle put donner Á sa voix, avec toute la rÊsignation qu'elle put imprimer Á son maintien. -- Non, non, Madame, dit Felton ; seulement, chantez moins haut, la nuit surtout. " Et Á ces mots, Felton, sentant qu'il ne pourrait pas conserver longtemps sa sÊvÊritÊ Á l'Êgard de la prisonniÉre, s'ÊlanÚa hors de son appartement. " Vous avez bien fait, lieutenant, dit le soldat ; : ces chants bouleversent l'×me ; cependant on finit par s'y accoutumer : sa voix est si belle ! " CHAPITRE LIV. TROISIEME JOURNEE DE CAPTIVITE Felton Êtait venu ; mais il y avait encore un pas Á faire : il fallait le retenir, ou plutÆt il fallait qu'il rest×t tout seul ; et Milady ne voyait encore qu'obscurÊment le moyen qui devait la conduire Á ce rÊsultat. Il fallait plus encore : il fallait le faire parler, afin de lui parler aussi : car, Milady le savait bien, sa plus grande sÊduction Êtait dans sa voix, qui parcourait si habilement toute la gamme des tons, depuis la parole humaine jusqu'au langage cÊleste. Et cependant, malgrÊ toute cette sÊduction, Milady pouvait Êchouer, car Felton Êtait prÊvenu, et cela contre le moindre hasard. DÉs lors, elle surveilla toutes ses actions, toutes ses paroles, jusqu'au plus simple regard de ses yeux, jusqu'Á son geste, jusqu'Á sa respiration, qu'on pouvait interprÊter comme un soupir. Enfin, elle Êtudia tout, comme fait un habile comÊdien Á qui l'on vient de donner un rÆle nouveau dans un emploi qu'il n'a pas l'habitude de tenir. Vis-Á-vis de Lord de Winter sa conduite Êtait plus facile ; aussi avait- elle ÊtÊ arrËtÊe dÉs la veille. Rester muette et digne en sa prÊsence, de temps en temps l'irriter par un dÊdain affectÊ, par un mot mÊprisant, le pousser Á des menaces et Á des violences qui faisaient un contraste avec sa rÊsignation Á elle, tel Êtait son projet. Felton verrait : peut-Ëtre ne dirait-il rien ; mais il verrait. Le matin, Felton vint comme d'habitude ; mais Milady le laissa prÊsider Á tous les apprËts du dÊjeuner sans lui adresser la parole. Aussi, au moment oÝ il allait se retirer, eut-elle une lueur d'espoir ; car elle crut que c'Êtait lui qui allait parler ; mais ses lÉvres remuÉrent sans qu'aucun son sortÏt de sa bouche, et, faisant un effort sur lui-mËme, il renferma dans son coeur les paroles qui allaient s'Êchapper de ses lÉvres, et sortit. Vers midi, Lord de Winter entra. Il faisait une assez belle journÊe d'hiver, et un rayon de ce p×le soleil d'Angleterre qui Êclaire, mais qui n'Êchauffe pas, passait Á travers les barreaux de la prison. Milady regardait par la fenËtre, et fit semblant de ne pas entendre la porte qui s'ouvrait. " Ah ! ah ! dit Lord de Winter, aprÉs avoir fait de la comÊdie, aprÉs avoir fait de la tragÊdie, voilÁ que nous faisons de la mÊlancolie. " La prisonniÉre ne rÊpondit pas. " Oui, oui, continua Lord de Winter, je comprends ; vous voudriez bien Ëtre en libertÊ sur ce rivage ; vous voudriez bien, sur un bon navire, fendre les flots de cette mer verte comme de l'Êmeraude ; vous voudriez bien, soit sur terre, soit sur l'ocÊan, me dresser une de ces bonnes petites embuscades comme vous savez si bien les combiner. Patience ! patience ! Dans quatre jours, le rivage vous sera permis, la mer vous sera ouverte, plus ouverte que vous ne le voudrez, car dans quatre jours l'Angleterre sera dÊbarrassÊe de vous. " Milady joignit les mains, et levant ses beaux yeux vers le ciel : " Seigneur ! Seigneur ! dit-elle avec une angÊlique suavitÊ de geste et d'intonation, pardonnez Á cet homme, comme je lui pardonne moi- mËme. -- Oui, prie, maudite, s'Êcria le baron, ta priÉre est d'autant plus gÊnÊreuse que tu es, je te le jure, au pouvoir d'un homme qui ne pardonnera pas. " Et il sortit. Au moment oÝ il sortait, un regard perÚant glissa par la porte entreb×illÊe, et elle aperÚut Felton qui se rangeait rapidement pour n'Ëtre pas vu d'elle. Alors elle se jeta Á genoux et se mit Á prier. " Mon Dieu ! mon Dieu ! dit-elle, vous savez pour quelle sainte cause je souffre, donnez-moi donc la force de souffrir. " La porte s'ouvrit doucement ; la belle suppliante fit semblant de n'avoir pas entendu, et d'une voix pleine de larmes, elle continua : " Dieu vengeur ! Dieu de bontÊ ! laisserez-vous s'accomplir les affreux projets de cet homme ! " Alors, seulement, elle feignit d'entendre le bruit des pas de Felton et, se relevant rapide comme la pensÊe, elle rougit comme si elle eÙt ÊtÊ honteuse d'avoir ÊtÊ surprise Á genoux. " Je n'aime point Á dÊranger ceux qui prient, Madame, dit gravement Felton ; ne vous dÊrangez donc pas pour moi, je vous en conjure. -- Comment savez-vous que je priais, Monsieur ? dit Milady d'une voix suffoquÊe par les sanglots ; vous vous trompiez, Monsieur, je ne priais pas. -- Pensez-vous donc, Madame, rÊpondit Felton de sa mËme voix grave, quoique avec un accent plus doux, que je me croie le droit d'empËcher une crÊature de se prosterner devant son CrÊateur ? A Dieu ne plaise ! D'ailleurs le repentir sied bien aux coupables ; quelque crime qu'il ait commis, un coupable m'est sacrÊ aux pieds de Dieu. -- Coupable, moi ! dit Milady avec un sourire qui eÙt dÊsarmÊ l'ange du jugement dernier. Coupable ! mon Dieu, tu sais si je le suis ! Dites que je suis condamnÊe, Monsieur, Á la bonne heure ; mais vous le savez, Dieu qui aime les martyrs, permet que l'on condamne quelquefois les innocents. -- Fussiez-vous condamnÊe, fussiez-vous martyre, rÊpondit Felton, raison de plus pour prier, et moi-mËme je vous aiderai de mes priÉres. -- Oh ! vous Ëtes un juste, vous, s'Êcria Milady en se prÊcipitant Á ses pieds ; tenez, je n'y puis tenir plus longtemps, car je crains de manquer de force au moment oÝ il me faudra soutenir la lutte et confesser ma foi ; Êcoutez donc la supplication d'une femme au dÊsespoir. On vous abuse, Monsieur, mais il n'est pas question de cela, je ne vous demande qu'une gr×ce, et, si vous me l'accordez, je vous bÊnirai dans ce monde et dans l'autre. -- Parlez au maÏtre, Madame, dit Felton ; je ne suis heureusement chargÊ, moi, ni de pardonner ni de punir, et c'est Á plus haut que moi que Dieu a remis cette responsabilitÊ. -- A vous, non, Á vous seul. Ecoutez-moi, plutÆt que de contribuer Á ma perte, plutÆt que de contribuer Á mon ignominie. -- Si vous avez mÊritÊ cette honte, Madame, si vous avez encouru cette ignominie, il faut la subir en l'offrant Á Dieu. -- Que dites-vous ? Oh ! vous ne me comprenez pas ! Quand je parle d'ignominie, vous croyez que je parle d'un ch×timent quelconque, de la prison ou de la mort ! PlÙt au Ciel ! que m'importent, Á moi, la mort ou la prison ! -- C'est moi qui ne vous comprends plus, Madame. -- Ou qui faites semblant de ne plus me comprendre, Monsieur, rÊpondit la prisonniÉre avec un sourire de doute. -- Non, Madame, sur l'honneur d'un soldat, sur la foi d'un chrÊtien ! -- Comment ! vous ignorez les desseins de Lord de Winter sur moi. -- Je les ignore. -- Impossible, vous son confident ! -- Je ne mens jamais, Madame. -- Oh ! il se cache trop peu cependant pour qu'on ne les devine pas. -- Je ne cherche Á rien deviner, Madame ; j'attends qu'on me confie, et Á part ce qu'il m'a dit devant vous, Lord de Winter ne m'a rien confiÊ. -- Mais, s'Êcria Milady avec un incroyable accent de vÊritÊ, vous n'Ëtes donc pas son complice, vous ne savez donc pas qu'il me destine Á une honte que tous les ch×timents de la terre ne sauraient Êgaler en horreur ? -- Vous vous trompez, Madame, dit Felton en rougissant, Lord de Winter n'est pas capable d'un tel crime. " " Bon, dit Milady en elle-mËme, sans savoir ce que c'est, il appelle cela un crime ! " Puis tout haut : " L'ami de l'inf×me est capable de tout. -- Qui appelez-vous l'inf×me ? demanda Felton. -- Y a-t-il donc en Angleterre deux hommes Á qui un semblable nom puisse convenir ? -- Vous voulez parler de Georges Villiers ? dit Felton, dont les regards s'enflammÉrent. -- Que les paÐens, les gentils et les infidÉles appellent duc de Buckingham, reprit Milady ; je n'aurais pas cru qu'il y aurait eu un Anglais dans toute l'Angleterre qui eÙt eu besoin d'une si longue explication pour reconnaÏtre celui dont je voulais parler ! -- La main du Seigneur est Êtendue sur lui, dit Felton, il n'Êchappera pas au ch×timent qu'il mÊrite. " Felton ne faisait qu'exprimer Á l'Êgard du duc le sentiment d'exÊcration que tous les Anglais avaient vouÊ Á celui que les catholiques eux- mËmes appelaient l'exacteur, le concussionnaire, le dÊbauchÊ, et que les puritains appelaient tout simplement Satan. " Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! s'Êcria Milady, quand je vous supplie d'envoyer Á cet homme le ch×timent qui lui est dÙ, vous savez que ce n'est pas ma propre vengeance que je poursuis, mais la dÊlivrance de tout un peuple que j'implore. -- Le connaissez-vous donc ? " demanda Felton. " Enfin, il m'interroge " se dit en elle-mËme Milady au comble de la joie d'en Ëtre arrivÊe si vite Á un si grand rÊsultat. " Oh ! si je le connais ! oh, oui ! pour mon malheur, pour mon malheur Êternel. " Et Milady se tordit les bras comme arrivÊe au paroxysme de la douleur. Felton sentit sans doute en lui-mËme que sa force l'abandonnait, et il fit quelques pas vers la porte ; la prisonniÉre, qui ne le perdait pas de vue, bondit Á sa poursuite et l'arrËta. " Monsieur ! s'Êcria-t-elle, soyez bon, soyez clÊment, Êcoutez ma priÉre : ce couteau que la fatale prudence du baron m'a enlevÊ, parce qu'il sait l'usage que j'en veux faire ; oh ! Êcoutez-moi jusqu'au bout ! ce couteau, rendez-le-moi une minute seulement, par gr×ce, par pitiÊ ! J'embrasse vos genoux ; voyez, vous fermerez la porte, ce n'est pas Á vous que j'en veux : Dieu ! vous en vouloir, Á vous, le seul Ëtre juste, bon et compatissant que j'aie rencontrÊ ! Á vous, mon sauveur peut- Ëtre ! une minute, ce couteau, une minute, une seule, et je vous le rends par le guichet de la porte ; rien qu'une minute, Monsieur Felton, et vous m'aurez sauvÊ l'honneur ! -- Vous tuer ! s'Êcria Felton avec terreur, oubliant de retirer ses mains des mains de la prisonniÉre ; vous tuer ! -- J'ai dit, Monsieur, murmura Milady en baissant la voix et en se laissant tomber affaissÊe sur le parquet, j'ai dit mon secret ! Il sait tout ! Mon Dieu, je suis perdue ! " Felton demeurait debout, immobile et indÊcis. " Il doute encore, pensa Milady, je n'ai pas ÊtÊ assez vraie. " On entendit marcher dans le corridor ; Milady reconnut le pas de Lord de Winter. Felton le reconnut aussi et s'avanÚa vers la porte. Milady s'ÊlanÚa. " Oh ! pas un mot, dit-elle d'une voix concentrÊe, pas un mot de tout ce que je vous ai dit Á cet homme, ou je suis perdue, et c'est vous, vous... " Puis, comme les pas se rapprochaient, elle se tut de peur qu'on n'entendÏt sa voix, appuyant avec un geste de terreur infinie sa belle main sur la bouche de Felton. Felton repoussa doucement Milady, qui alla tomber sur une chaise longue. Lord de Winter passa devant la porte sans s'arrËter, et l'on entendit le bruit des pas qui s'Êloignaient. Felton, p×le comme la mort, resta quelques instants l'oreille tendue et Êcoutant, puis quand le bruit se fut Êteint tout Á fait, il respira comme un homme qui sort d'un songe, et s'ÊlanÚa hors de l'appartement. " Ah ! dit Milady en Êcoutant Á son tour le bruit des pas de Felton, qui s'Êloignaient dans la direction opposÊe Á ceux de Lord de Winter, enfin tu es donc Á moi ! " Puis son front se rembrunit. " S'il parle au baron, dit-elle, je suis perdue, car le baron, qui sait bien que je ne me tuerai pas, me mettra devant lui un couteau entre les mains, et il verra bien que tout ce grand dÊsespoir n'Êtait qu'un jeu. " Elle alla se placer devant sa glace et se regarda, jamais elle n'avait ÊtÊ si belle. " Oh ! oui ! dit-elle en souriant, mais il ne lui parlera pas. " Le soir, Lord de Winter accompagna le souper. " Monsieur, lui dit Milady, votre prÊsence est-elle un accessoire obligÊ de ma captivitÊ, et ne pourriez-vous pas m'Êpargner ce surcroÏt de tortures que me causent vos visites ? -- Comment donc, chÉre soeur ! dit de Winter, ne m'avez-vous pas sentimentalement annoncÊ, de cette jolie bouche si cruelle pour moi aujourd'hui, que vous veniez en Angleterre Á cette seule fin de me voir tout Á votre aise, jouissance dont, me disiez-vous, vous ressentiez si vivement la privation, que vous avez tout risquÊ pour cela : mal de mer, tempËte, captivitÊ ! Eh bien, me voilÁ, soyez satisfaite ; d'ailleurs, cette fois ma visite a un motif. " Milady frissonna, elle crut que Felton avait parlÊ ; jamais de sa vie, peut-Ëtre, cette femme, qui avait ÊprouvÊ tant d'Êmotions puissantes et opposÊes, n'avait senti battre son coeur si violemment. Elle Êtait assise ; Lord de Winter prit un fauteuil, le tira Á son cÆtÊ et s'assit auprÉs d'elle, puis prenant dans sa poche un papier qu'il dÊploya lentement : " Tenez, lui dit-il, je voulais vous montrer cette espÉce de passeport que j'ai rÊdigÊ moi-mËme et qui vous servira dÊsormais de numÊro d'ordre dans la vie que je consens Á vous laisser. " Puis ramenant ses yeux de Milady sur le papier, il lut : " Ordre de conduire Á... " Le nom est en blanc, interrompit de Winter : si vous avez quelque prÊfÊrence, vous me l'indiquerez ; et pour peu que ce soit Á un millier de lieues de Londres, il sera fait droit Á votre requËte. Je reprends donc : " Ordre de conduire Á... la nommÊe Charlotte Backson, flÊtrie par la justice du royaume de France, mais libÊrÊe aprÉs ch×timent ; elle demeurera dans cette rÊsidence, sans jamais s'en Êcarter de plus de trois lieues. En cas de tentative d'Êvasion, la peine de mort lui sera appliquÊe. Elle touchera cinq shillings par jour pour son logement et sa nourriture. " " Cet ordre ne me concerne pas, rÊpondit froidement Milady, puisqu'un autre nom que le mien y est portÊ. -- Un nom ! Est-ce que vous en avez un ? -- J'ai celui de votre frÉre. -- Vous vous trompez, mon frÉre n'est que votre second mari, et le premier vit encore. Dites-moi son nom et je le mettrai en place du nom de Charlotte Backson. Non ? ... Vous ne voulez pas ?... Vous gardez le silence ? C'est bien ! Vous serez ÊcrouÊe sous le nom de Charlotte Backson. " Milady demeura silencieuse ; seulement, cette fois ce n'Êtait plus par affectation, mais par terreur : elle crut l'ordre prËt Á Ëtre exÊcutÊ ; elle pensa que Lord de Winter avait avancÊ son dÊpart ; elle crut qu'elle Êtait condamnÊe Á partir le soir mËme. Tout dans son esprit fut donc perdu pendant un instant, quand tout Á coup elle s'aperÚut que l'ordre n'Êtait revËtu d'aucune signature. La joie qu'elle ressentit de cette dÊcouverte fut si grande, qu'elle ne put la cacher. " Oui, oui, dit Lord de Winter, qui s'aperÚut de ce qui se passait en elle, oui, vous cherchez la signature, et vous vous dites : tout n'est pas perdu, puisque cet acte n'est pas signÊ ; on me le montre pour m'effrayer, voilÁ tout. Vous vous trompez : demain cet ordre sera envoyÊ Á Lord Buckingham ; aprÉs-demain il reviendra signÊ de sa main et revËtu de son sceau, et vingt-quatre heures aprÉs, c'est moi qui vous en rÊponds, il recevra son commencement d'exÊcution. Adieu, Madame, voilÁ tout ce que j'avais Á vous dire. -- Et moi je vous rÊpondrai, Monsieur, que cet abus de pouvoir, que cet exil sous un nom supposÊ sont une infamie. -- Aimez-vous mieux Ëtre pendue sous votre vrai nom, Milady ? Vous le savez, les lois anglaises sont inexorables sur l'abus que l'on fait du mariage ; expliquez-vous franchement : quoique mon nom ou plutÆt le nom de mon frÉre se trouve mËlÊ dans tout cela, je risquerai le scandale d'un procÉs public pour Ëtre sÙr que du coup je serai dÊbarrassÊ de vous. " Milady ne rÊpondit pas, mais devint p×le comme un cadavre. " Oh ! je vois que vous aimez mieux la pÊrÊgrination. A merveille, Madame, et il y a un vieux proverbe qui dit que les voyages forment la jeunesse. Ma foi ! vous n'avez pas tort, aprÉs tout, et la vie est bonne. C'est pour cela que je ne me soucie pas que vous me l'Ætiez. Reste donc Á rÊgler l'affaire des cinq shillings ; je me montre un peu parcimonieux, n'est-ce pas ? cela tient Á ce que je ne me soucie pas que vous corrompiez vos gardiens. D'ailleurs il vous restera toujours vos charmes pour les sÊduire. Usez-en si votre Êchec avec Felton ne vous a pas dÊgoÙtÊe des tentatives de ce genre. " " Felton n'a point parlÊ, se dit Milady Á elle-mËme, rien n'est perdu alors. " " Et maintenant, Madame, Á vous revoir. Demain je viendrai vous annoncer le dÊpart de mon messager. " Lord de Winter se leva, salua ironiquement Milady et sortit. Milady respira : elle avait encore quatre jours devant elle ; quatre jours lui suffiraient pour achever de sÊduire Felton. Une idÊe terrible lui vint alors, c'est que Lord de Winter enverrait peut- Ëtre Felton lui-mËme pour faire signer l'ordre Á Buckingham ; de cette faÚon Felton lui Êchappait, et pour que la prisonniÉre rÊussÏt il fallait la magie d'une sÊduction continue. Cependant, comme nous l'avons dit, une chose la rassurait : Felton n'avait pas parlÊ. Elle ne voulut point paraÏtre Êmue par les menaces de Lord de Winter, elle se mit Á table et mangea. Puis, comme elle avait fait la veille, elle se mit Á genoux, et rÊpÊta tout haut ses priÉres. Comme la veille, le soldat cessa de marcher et s'arrËta pour l'Êcouter. BientÆt elle entendit des pas plus lÊgers que ceux de la sentinelle qui venaient du fond du corridor et qui s'arrËtaient devant sa porte. " C'est lui " , dit-elle. Et elle commenÚa le mËme chant religieux qui la veille avait si violemment exaltÊ Felton. Mais, quoique sa voix douce, pleine et sonore eÙt vibrÊ plus harmonieuse et plus dÊchirante que jamais, la porte resta close. Il parut bien Á Milady, dans un des regards furtifs qu'elle lanÚait sur le petit guichet, apercevoir Á travers le grillage serrÊ les yeux ardents du jeune homme ; mais, que ce fÙt une rÊalitÊ ou une vision, cette fois il eut sur lui-mËme la puissance de ne pas entrer. Seulement, quelques instants aprÉs qu'elle eut fini son chant religieux, Milady crut entendre un profond soupir ; puis les mËmes pas qu'elle avait entendus s'approcher s'ÊloignÉrent lentement et comme Á regret. CHAPITRE LV. QUATRIEME JOURNEE DE CAPTIVITE Le lendemain, lorsque Felton entra chez Milady, il la trouva debout, montÊe sur un fauteuil, tenant entre ses mains une corde tissÊe Á l'aide de quelques mouchoirs de batiste dÊchirÊs en laniÉres tressÊes les unes avec les autres et attachÊes bout Á bout ; au bruit que fit Felton en ouvrant la porte, Milady sauta lÊgÉrement Á bas de son fauteuil, et essaya de cacher derriÉre elle cette corde improvisÊe, qu'elle tenait Á la main. Le jeune homme Êtait plus p×le encore que d'habitude, et ses yeux rougis par l'insomnie indiquaient qu'il avait passÊ une nuit fiÊvreuse. Cependant son front Êtait armÊ d'une sÊrÊnitÊ plus austÉre que jamais. Il s'avanÚa lentement vers Milady, qui s'Êtait assise, et prenant un bout de la tresse meurtriÉre que par mÊgarde ou Á dessein peut-Ëtre elle avait laissÊe passer : " Qu'est-ce que cela, Madame ? demanda-t-il froidement. -- Cela, rien, dit Milady en souriant avec cette expression douloureuse qu'elle savait si bien donner Á son sourire, l'ennui est l'ennemi mortel des prisonniers, je m'ennuyais et je me suis amusÊe Á tresser cette corde. " Felton porta les yeux vers le point du mur de l'appartement devant lequel il avait trouvÊ Milady debout sur le fauteuil oÝ elle Êtait assise maintenant, et au-dessus de sa tËte il aperÚut un crampon dorÊ, scellÊ dans le mur, et qui servait Á accrocher soit des hardes, soit des armes. Il tressaillit, et la prisonniÉre vit ce tressaillement ; car, quoiqu'elle eÙt les yeux baissÊs, rien ne lui Êchappait. " Et que faisiez-vous, debout sur ce fauteuil ? demanda-t-il. -- Que vous importe ? rÊpondit Milady. -- Mais, reprit Felton, je dÊsire le savoir. -- Ne m'interrogez pas, dit la prisonniÉre, vous savez bien qu'Á nous autres, vÊritables chrÊtiens, il nous est dÊfendu de mentir. -- Eh bien, dit Felton, je vais vous le dire, ce que vous faisiez, ou plutÆt ce que vous alliez faire ; vous alliez achever l'oeuvre fatale que vous nourrissez dans votre esprit : songez-y, Madame, si notre Dieu dÊfend le mensonge, il dÊfend bien plus sÊvÉrement encore le suicide. -- Quand Dieu voit une de ses crÊatures persÊcutÊe injustement, placÊe entre le suicide et le dÊshonneur, croyez-moi, Monsieur, rÊpondit Milady d'un ton de profonde conviction, Dieu lui pardonne le suicide : car, alors, le suicide c'est le martyre. -- Vous en dites trop ou trop peu ; parlez, Madame, au nom du Ciel, expliquez-vous. -- Que je vous raconte mes malheurs, pour que vous les traitiez de fables ; que je vous dise mes projets, pour que vous alliez les dÊnoncer Á mon persÊcuteur : non, Monsieur ; d'ailleurs, que vous importe la vie ou la mort d'une malheureuse condamnÊe ? vous ne rÊpondez que de mon corps, n'est-ce pas ? et pourvu que vous reprÊsentiez un cadavre, qu'il soit reconnu pour le mien, on ne vous en demandera pas davantage, et peut-Ëtre, mËme, aurez-vous double rÊcompense. -- Moi, Madame, moi ! s'Êcria Felton, supposer que j'accepterais jamais le prix de votre vie ; oh ! vous ne pensez pas ce que vous dites. -- Laissez-moi faire, Felton, laissez-moi faire, dit Milady en s'exaltant, tout soldat doit Ëtre ambitieux, n'est-ce pas ? Vous Ëtes lieutenant, Eh bien, vous suivrez mon convoi avec le grade de capitaine. -- Mais que vous ai-je donc fait, dit Felton ÊbranlÊ, pour que vous me chargiez d'une pareille responsabilitÊ devant les hommes et devant Dieu ? Dans quelques jours vous allez Ëtre loin d'ici, Madame, votre vie ne sera plus sous ma garde, et, ajouta-t-il avec un soupir, alors vous en ferez ce que vous voudrez. -- Ainsi, s'Êcria Milady comme si elle ne pouvait rÊsister Á une sainte indignation, vous, un homme pieux, vous que l'on appelle un juste, vous ne demandez qu'une chose : c'est de n'Ëtre point inculpÊ, inquiÊtÊ pour ma mort ! -- Je dois veiller sur votre vie, Madame, et j'y veillerai. -- Mais comprenez-vous la mission que vous remplissez ? cruelle dÊjÁ si j'Êtais coupable, quel nom lui donnerez-vous, quel nom le Seigneur lui donnera-t-il, si je suis innocente ? -- Je suis soldat, Madame, et j'accomplis les ordres que j'ai reÚus. -- Croyez-vous qu'au jour du jugement dernier Dieu sÊparera les bourreaux aveugles des juges iniques ? Vous ne voulez pas que je tue mon corps, et vous vous faites l'agent de celui qui veut tuer mon ×me ! -- Mais, je vous le rÊpÉte, reprit Felton ÊbranlÊ, aucun danger ne vous menace, et je rÊponds de Lord de Winter comme de moi-mËme. -- InsensÊ ! s'Êcria Milady, pauvre insensÊ, qui ose rÊpondre d'un autre homme quand les plus sages, quand les plus grands selon Dieu hÊsitent Á rÊpondre d'eux-mËmes, et qui se range du parti le plus fort et le plus heureux, pour accabler la plus faible et la plus malheureuse ! -- Impossible, Madame, impossible, murmura Felton, qui sentait au fond du coeur la justesse de cet argument : prisonniÉre, vous ne recouvrerez pas par moi la libertÊ, vivante, vous ne perdrez pas par moi la vie. -- Oui, s'Êcria Milady, mais je perdrai ce qui m'est bien plus cher que la vie, je perdrai l'honneur, Felton ; et c'est vous, vous que je ferai responsable devant Dieu et devant les hommes de ma honte et de mon infamie. " Cette fois Felton, tout impassible qu'il Êtait ou qu'il faisait semblant d'Ëtre, ne put rÊsister Á l'influence secrÉte qui s'Êtait dÊjÁ emparÊe de lui : voir cette femme si belle, blanche comme la plus candide vision, la voir tour Á tour ÊplorÊe et menaÚante, subir Á la fois l'ascendant de la douleur et de la beautÊ, c'Êtait trop pour un visionnaire, c'Êtait trop pour un cerveau minÊ par les rËves ardents de la foi extatique, c'Êtait trop pour un coeur corrodÊ Á la fois par l'amour du Ciel qui brÙle, par la haine des hommes qui dÊvore. Milady vit le trouble, elle sentait par intuition la flamme des passions opposÊes qui brÙlaient avec le sang dans les veines du jeune fanatique ; et, pareille Á un gÊnÊral habile qui, voyant l'ennemi prËt Á reculer, marche sur lui en poussant un cri de victoire, elle se leva, belle comme une prËtresse antique, inspirÊe comme une vierge chrÊtienne, et, le bras Êtendu, le col dÊcouvert, les cheveux Êpars, retenant d'une main sa robe pudiquement ramenÊe sur sa poitrine, le regard illuminÊ de ce feu qui avait dÊjÁ portÊ le dÊsordre dans les sens du jeune puritain, elle marcha vers lui, s'Êcriant sur un air vÊhÊment, de sa voix si douce, Á laquelle, dans l'occasion, elle donnait un accent terrible : Livre Á Baal sa victime, Jette aux lions le martyr : Dieu te fera repentir !... Je crie Á lui de l'abÏme. . Felton s'arrËta sous cette Êtrange apostrophe, et comme pÊtrifiÊ. " Qui Ëtes-vous, qui Ëtes-vous ? s'Êcria-t-il en joignant les mains ; Ëtes- vous une envoyÊe de Dieu, Ëtes-vous un ministre des enfers, Ëtes-vous ange ou dÊmon, vous appelez-vous Eloa ou AstartÊ ? -- Ne m'as-tu pas reconnue, Felton ? Je ne suis ni un ange, ni un dÊmon, je suis une fille de la terre, je suis une soeur de ta croyance, voilÁ tout. -- Oui ! oui ! dit Felton, je doutais encore, mais maintenant je crois. -- Tu crois, et cependant tu es le complice de cet enfant de BÊlial qu'on appelle Lord de Winter ! Tu crois, et cependant tu me laisses aux mains de mes ennemis, de l'ennemi de l'Angleterre, de l'ennemi de Dieu ? Tu crois, et cependant tu me livres Á celui qui remplit et souille le monde de ses hÊrÊsies et de ses dÊbauches, Á cet inf×me Sardanapale que les aveugles nomment le duc de Buckingham et que les croyants appellent l'AntÊchrist. -- Moi, vous livrer Á Buckingham moi! que dites-vous lÁ ? -- Ils ont des yeux, s'Êcria Milady, et ils ne verront pas ; ils ont des oreilles, et ils n'entendront point. -- Oui, oui, dit Felton en passant ses mains sur son front couvert de sueur, comme pour en arracher son dernier doute ; oui, je reconnais la voix qui me parle dans mes rËves ; oui, je reconnais les traits de l'ange qui m'apparaÏt chaque nuit, criant Á mon ×me qui ne peut dormir : " Frappe, sauve l'Angleterre, Sauve-toi, car tu mourras sans avoir dÊsarmÊ Dieu ! " Parlez, parlez ! s'Êcria Felton, je puis vous comprendre Á prÊsent. " Un Êclair de joie terrible, mais rapide comme la pensÊe, jaillit des yeux de Milady. Si fugitive qu'eÙt ÊtÊ cette lueur homicide, Felton la vit et tressaillit comme si cette lueur eÙt ÊclairÊ les abÏmes du coeur de cette femme. Felton se rappela tout Á coup les avertissements de Lord de Winter, les sÊductions de Milady, ses premiÉres tentatives lors de son arrivÊe ; il recula d'un pas et baissa la tËte, mais sans cesser de la regarder : comme si, fascinÊ par cette Êtrange crÊature, ses yeux ne pouvaient se dÊtacher de ses yeux. Milady n'Êtait point femme Á se mÊprendre au sens de cette hÊsitation. Sous ses Êmotions apparentes, son sang-froid glacÊ ne l'abandonnait point. Avant que Felton lui eÙt rÊpondu et qu'elle fÙt forcÊe de reprendre cette conversation si difficile Á soutenir sur le mËme accent d'exaltation, elle laissa retomber ses mains, et, comme si la faiblesse de la femme reprenait le dessus sur l'enthousiasme de l'inspirÊe : " Mais, non, dit-elle, ce n'est pas Á moi d'Ëtre la Judith qui dÊlivrera BÊthulie de cet Holopherne. Le glaive de l'Eternel est trop lourd pour mon bras. Laissez-moi donc fuir le dÊshonneur par la mort, laissez- moi me rÊfugier dans le martyre. Je ne vous demande ni la libertÊ, comme ferait une coupable, ni la vengeance, comme ferait une paÐenne. Laissez-moi mourir, voilÁ tout. Je vous supplie, je vous implore Á genoux ; laissez-moi mourir, et mon dernier soupir sera une bÊnÊdiction pour mon sauveur. " A cette voix douce et suppliante, Á ce regard timide et abattu, Felton se rapprocha. Peu Á peu l'enchanteresse avait revËtu cette parure magique qu'elle reprenait et quittait Á volontÊ, c'est-Á-dire la beautÊ, la douceur, les larmes et surtout l'irrÊsistible attrait de la voluptÊ mystique, la plus dÊvorante des voluptÊs. " HÊlas ! dit Felton, je ne puis qu'une chose, vous plaindre si vous me prouvez que vous Ëtes une victime ! Mais Lord de Winter a de cruels griefs contre vous. Vous Ëtes chrÊtienne, vous Ëtes ma soeur en religion ; je me sens entraÏnÊ vers vous, moi qui n'ai aimÊ que mon bienfaiteur, moi qui n'ai trouvÊ dans la vie que des traÏtres et des impies. Mais vous, Madame, vous Ëtes si belle en rÊalitÊ, vous si pure en apparence, pour que Lord de Winter vous poursuive ainsi, vous avez donc commis des iniquitÊs ? -- Ils ont des yeux, rÊpÊta Milady avec un accent d'indicible douleur, et ils ne verront pas ; ils ont des oreilles, et ils n'entendront point. -- Mais, alors, s'Êcria le jeune officier, parlez, parlez donc ! -- Vous confier ma honte ! s'Êcria Milady avec le rouge de la pudeur au visage, car souvent le crime de l'un est la honte de l'autre ; vous confier ma honte, Á vous homme, moi femme ! Oh ! continua-t-elle en ramenant pudiquement sa main sur ses beaux yeux, oh ! jamais, jamais je ne pourrai ! -- A moi, Á un frÉre ! " s'Êcria Felton. Milady le regarda longtemps avec une expression que le jeune officier prit pour du doute, et qui cependant n'Êtait que de l'observation et surtout la volontÊ de fasciner. Felton, Á son tour suppliant, joignit les mains. " Eh bien, dit Milady, je me fie Á mon frÉre, j'oserai ! " En ce moment, on entendit le pas de Lord de Winter ; mais, cette fois, le terrible beau-frÉre de Milady ne se contenta point, comme il avait fait la veille, de passer devant la porte et de s'Êloigner, il s'arrËta, Êchangea deux mots avec la sentinelle, puis la porte s'ouvrit et il parut. Pendant ces deux mots ÊchangÊs, Felton s'Êtait reculÊ vivement, et lorsque Lord de Winter entra, il Êtait Á quelques pas de la prisonniÉre. Le baron entra lentement, et porta son regard scrutateur de la prisonniÉre au jeune officier : " VoilÁ bien longtemps, John, dit-il, que vous Ëtes ici ; cette femme vous a-t-elle racontÊ ses crimes ? alors je comprends la durÊe de l'entretien. " Felton tressaillit, et Milady sentit qu'elle Êtait perdue si elle ne venait au secours du puritain dÊcontenancÊ. " Ah ! vous craignez que votre prisonniÉre ne vous Êchappe ! dit-elle, Eh bien, demandez Á votre digne geÆlier quelle gr×ce, Á l'instant mËme, je sollicitais de lui. -- Vous demandiez une gr×ce ? dit le baron soupÚonneux. -- Oui, Milord, reprit le jeune homme confus. -- Et quelle gr×ce, voyons ? demanda Lord de Winter. -- Un couteau qu'elle me rendra par le guichet, une minute aprÉs l'avoir reÚu, rÊpondit Felton. -- Il y a donc quelqu'un de cachÊ ici que cette gracieuse personne veuille Êgorger ? reprit Lord de Winter de sa voix railleuse et mÊprisante. -- Il y a moi, rÊpondit Milady. -- Je vous ai donnÊ le choix entre l'AmÊrique et Tyburn, reprit Lord de Winter, choisissez Tyburn, Milady : la corde est, croyez-moi, encore plus sÙre que le couteau. " Felton p×lit et fit un pas en avant, en songeant qu'au moment oÝ il Êtait entrÊ, Milady tenait une corde. " Vous avez raison, dit celle-ci, et j'y avais dÊjÁ pensÊ ; puis elle ajouta d'une voix sourde : j'y penserai encore. " Felton sentit courir un frisson jusque dans la moelle de ses os ; probablement Lord de Winter aperÚut ce mouvement. " MÊfie-toi, John, dit-il, John, mon ami, je me suis reposÊ sur toi, prends garde ! Je t'ai prÊvenu ! D'ailleurs, aie bon courage, mon enfant, dans trois jours nous serons dÊlivrÊs de cette crÊature, et oÝ je l'envoie, elle ne nuira plus Á personne. -- Vous l'entendez ! " s'Êcria Milady avec Êclat, de faÚon que le baron crÙt qu'elle s'adressait au Ciel et que Felton comprÏt que c'Êtait Á lui. Felton baissa la tËte et rËva. Le baron prit l'officier par le bras en tournant la tËte sur son Êpaule, afin de ne pas perdre Milady de vue jusqu'Á ce qu'il fÙt sorti. " Allons, allons, dit la prisonniÉre lorsque la porte se fut refermÊe, je ne suis pas encore si avancÊe que je le croyais. Winter a changÊ sa sottise ordinaire en une prudence inconnue ; ce que c'est que le dÊsir de la vengeance, et comme ce dÊsir forme l'homme ! Quant Á Felton, il hÊsite. Ah ! ce n'est pas un homme comme ce d'Artagnan maudit. Un puritain n'adore que les vierges, et il les adore en joignant les mains. Un mousquetaire aime les femmes, et il les aime en joignant les bras. " Cependant Milady attendit avec impatience, car elle se doutait bien que la journÊe ne se passerait pas sans qu'elle revit Felton. Enfin, une heure aprÉs la scÉne que nous venons de raconter, elle entendit que l'on parlait bas Á la porte, puis bientÆt la porte s'ouvrit, et elle reconnut Felton. Le jeune homme s'avanÚa rapidement dans la chambre en laissant la porte ouverte derriÉre lui et en faisant signe Á Milady de se taire ; il avait le visage bouleversÊ. " Que me voulez-vous ? dit-elle. -- Ecoutez, rÊpondit Felton Á voix basse, je viens d'Êloigner la sentinelle pour pouvoir rester ici sans qu'on sache que je suis venu, pour vous parler sans qu'on puisse entendre ce que je vous dis. Le baron vient de me raconter une histoire effroyable. " Milady prit son sourire de victime rÊsignÊe, et secoua la tËte. " Ou vous Ëtes un dÊmon, continua Felton, ou le baron, mon bienfaiteur, mon pÉre, est un monstre. Je vous connais depuis quatre jours, je l'aime depuis dix ans, lui ; je puis donc hÊsiter entre vous deux : ne vous effrayez pas de ce que je vous dis, j'ai besoin d'Ëtre convaincu. Cette nuit, aprÉs minuit, je viendrai vous voir, vous me convaincrez. -- Non, Felton, non mon frÉre, dit-elle, le sacrifice est trop grand, et je sens qu'il vous coÙte. Non, je suis perdue, ne vous perdez pas avec moi. Ma mort sera bien plus Êloquente que ma vie, et le silence du cadavre vous convaincra bien mieux que les paroles de la prisonniÉre. -- Taisez-vous, Madame, s'Êcria Felton, et ne me parlez pas ainsi ; je suis venu pour que vous me promettiez sur l'honneur, pour que vous me juriez sur ce que vous avez de plus sacrÊ, que vous n'attenterez pas Á votre vie. -- Je ne veux pas promettre, dit Milady, car personne plus que moi n'a le respect du serment, et, si je promettais, il me faudrait tenir. -- Eh bien, dit Felton, engagez-vous seulement jusqu'au moment oÝ vous m'aurez revu. Si, lorsque vous m'aurez revu, vous persistez encore, Eh bien, alors, vous serez libre, et moi-mËme je vous donnerai l'arme que vous m'avez demandÊe. -- Eh bien, dit Milady, pour vous j'attendrai. -- Jurez-le. -- Je le jure par notre Dieu. Etes-vous content ? -- Bien, dit Felton, Á cette nuit ! " Et il s'ÊlanÚa hors de l'appartement, referma la porte, et attendit en dehors, la demi-pique du soldat Á la main, comme s'il eÙt montÊ la garde Á sa place. Le soldat revenu, Felton lui rendit son arme. Alors, Á travers le guichet dont elle s'Êtait rapprochÊe, Milady vit le jeune homme se signer avec une ferveur dÊlirante et s'en aller par le corridor avec un transport de joie. Quant Á elle, elle revint Á sa place, un sourire de sauvage mÊpris sur les lÉvres, et elle rÊpÊta en blasphÊmant ce nom terrible de Dieu, par lequel elle avait jurÊ sans jamais avoir appris Á le connaÏtre. " Mon Dieu ! dit-elle, fanatique insensÊ ! mon Dieu ! c'est moi, moi et celui qui m'aidera Á me venger. " CHAPITRE LVI. CINQUIEME JOURNEE DE CAPTIVITE Cependant Milady en Êtait arrivÊe Á un demi-triomphe, et le succÉs obtenu doublait ses forces. Il n'Êtait pas difficile de vaincre, ainsi qu'elle l'avait fait jusque-lÁ, des hommes prompts Á se laisser sÊduire, et que l'Êducation galante de la cour entraÏnait vite dans le piÉge ; Milady Êtait assez belle pour ne pas trouver de rÊsistance de la part de la chair, et elle Êtait assez adroite pour l'emporter sur tous les obstacles de l'esprit. Mais, cette fois, elle avait Á lutter contre une nature sauvage, concentrÊe, insensible Á force d'austÊritÊ ; la religion et la pÊnitence avaient fait de Felton un homme inaccessible aux sÊductions ordinaires. Il roulait dans cette tËte exaltÊe des plans tellement vastes, des projets tellement tumultueux, qu'il n'y restait plus de place pour aucun amour, de caprice ou de matiÉre, ce sentiment qui se nourrit de loisir et grandit par la corruption. Milady avait donc fait brÉche, avec sa fausse vertu, dans l'opinion d'un homme prÊvenu horriblement contre elle, et par sa beautÊ, dans le coeur et les sens d'un homme chaste et pur. Enfin, elle s'Êtait donnÊ la mesure de ses moyens, inconnus d'elle- mËme jusqu'alors, par cette expÊrience faite sur le sujet le plus rebelle que la nature et la religion pussent soumettre Á son Êtude. Bien des fois nÊanmoins pendant la soirÊe elle avait dÊsespÊrÊ du sort et d'elle-mËme ; elle n'invoquait pas Dieu, nous le savons, mais elle avait foi dans le gÊnie du mal, cette immense souverainetÊ qui rÉgne dans tous les dÊtails de la vie humaine, et Á laquelle, comme dans la fable arabe, un grain de grenade suffit pour reconstruire un monde perdu. Milady, bien prÊparÊe Á recevoir Felton, put dresser ses batteries pour le lendemain. Elle savait qu'il ne lui restait plus que deux jours, qu'une fois l'ordre signÊ par Buckingham (et Buckingham le signerait d'autant plus facilement, que cet ordre portait un faux nom, et qu'il ne pourrait reconnaÏtre la femme dont il Êtait question), une fois cet ordre signÊ, disons-nous, le baron la faisait embarquer sur-le-champ, et elle savait aussi que les femmes condamnÊes Á la dÊportation usent d'armes bien moins puissantes dans leurs sÊductions que les prÊtendues femmes vertueuses dont le soleil du monde Êclaire la beautÊ, dont la voix de la mode vante l'esprit et qu'un reflet d'aristocratie dore de ses lueurs enchantÊes. Etre une femme condamnÊe Á une peine misÊrable et infamante n'est pas un empËchement Á Ëtre belle, mais c'est un obstacle Á jamais redevenir puissante. Comme tous les gens d'un mÊrite rÊel, Milady connaissait le milieu qui convenait Á sa nature, Á ses moyens. La pauvretÊ lui rÊpugnait, l'abjection la diminuait des deux tiers de sa grandeur. Milady n'Êtait reine que parmi les reines, il fallait Á sa domination le plaisir de l'orgueil satisfait. Commander aux Ëtres infÊrieurs Êtait plutÆt une humiliation qu'un plaisir pour elle. Certes, elle fÙt revenue de son exil, elle n'en doutait pas un seul instant ; mais combien de temps cet exil pouvait-il durer ? Pour une nature agissante et ambitieuse comme celle de Milady, les jours qu'on n'occupe point Á monter sont des jours nÊfastes ; qu'on trouve donc le mot dont on doive nommer les jours qu'on emploie Á descendre ! Perdre un an, deux ans, trois ans, c'est-Á-dire une ÊternitÊ ; revenir quand d'Artagnan, heureux et triomphant, aurait, lui et ses amis, reÚu de la reine la rÊcompense qui leur Êtait bien acquise pour les services qu'ils lui avaient rendus, c'Êtaient lÁ de ces idÊes dÊvorantes qu'une femme comme Milady ne pouvait supporter. Au reste, l'orage qui grondait en elle doublait sa force, et elle eÙt fait Êclater les murs de sa prison, si son corps eÙt pu prendre un seul instant les proportions de son esprit. Puis ce qui l'aiguillonnait encore au milieu de tout cela, c'Êtait le souvenir du cardinal. Que devait penser, que devait dire de son silence le cardinal dÊfiant, inquiet, soupÚonneux, le cardinal, non seulement son seul appui, son seul soutien, son seul protecteur dans le prÊsent, mais encore le principal instrument de sa fortune et de sa vengeance Á venir ? Elle le connaissait, elle savait qu'Á son retour, aprÉs un voyage inutile, elle aurait beau arguer de la prison, elle aurait beau exalter les souffrances subies, le cardinal rÊpondrait avec ce calme railleur du sceptique puissant Á la fois par la force et par le gÊnie : " Il ne fallait pas vous laisser prendre ! " Alors Milady rÊunissait toute son Ênergie, murmurant au fond de sa pensÊe le nom de Felton, la seule lueur de jour qui pÊnÊtr×t jusqu'Á elle au fond de l'enfer oÝ elle Êtait tombÊe ; et comme un serpent qui roule et dÊroule ses anneaux pour se rendre compte Á lui-mËme de sa force, elle enveloppait d'avance Felton dans les mille replis de son inventive imagination. Cependant le temps s'Êcoulait, les heures les unes aprÉs les autres semblaient rÊveiller la cloche en passant, et chaque coup du battant d'airain retentissait sur le coeur de la prisonniÉre. A neuf heures, Lord de Winter fit sa visite accoutumÊe, regarda la fenËtre et les barreaux, sonda le parquet et les murs, visita la cheminÊe et les portes, sans que, pendant cette longue et minutieuse visite, ni lui ni Milady prononÚassent une seule parole. Sans doute que tous deux comprenaient que la situation Êtait devenue trop grave pour perdre le temps en mots inutiles et en colÉre sans effet. " Allons, allons, dit le baron en la quittant, vous ne vous sauverez pas encore cette nuit ! " A dix heures, Felton vint placer une sentinelle ; Milady reconnut son pas. Elle le devinait maintenant comme une maÏtresse devine celui de l'amant de son coeur, et cependant Milady dÊtestait et mÊprisait Á la fois ce faible fanatique. Ce n'Êtait point l'heure convenue, Felton n'entra point. Deux heures aprÉs et comme minuit sonnait, la sentinelle fut relevÊe. Cette fois c'Êtait l'heure : aussi, Á partir de ce moment, Milady attendit- elle avec impatience. La nouvelle sentinelle commenÚa Á se promener dans le corridor. Au bout de dix minutes Felton vint. Milady prËta l'oreille. " Ecoute, dit le jeune homme Á la sentinelle, sous aucun prÊtexte ne t'Êloigne de cette porte, car tu sais que la nuit derniÉre un soldat a ÊtÊ puni par Milord pour avoir quittÊ son poste un instant, et cependant c'est moi qui, pendant sa courte absence, avais veillÊ Á sa place. -- Oui, je le sais, dit le soldat. -- Je te recommande donc la plus exacte surveillance. Moi, ajouta-t-il, je vais rentrer pour visiter une seconde fois la chambre de cette femme, qui a, j'en ai peur, de sinistres projets sur elle-mËme et que j'ai reÚu l'ordre de surveiller. " " Bon, murmura Milady, voilÁ l'austÉre puritain qui ment ! " Quant au soldat, il se contenta de sourire. " Peste ! mon lieutenant, dit-il, vous n'Ëtes pas malheureux d'Ëtre chargÊ de commissions pareilles, surtout si Milord vous a autorisÊ Á regarder jusque dans son lit. " Felton rougit ; dans toute autre circonstance il eÙt rÊprimandÊ le soldat qui se permettait une pareille plaisanterie ; mais sa conscience murmurait trop haut pour que sa bouche os×t parler. " Si j'appelle, dit-il, viens ; de mËme que si l'on vient, appelle-moi. -- Oui, mon lieutenant " , dit le soldat. Felton entra chez Milady. Milady se leva. " Vous voilÁ ? dit-elle. -- Je vous avais promis de venir, dit Felton, et je suis venu. -- Vous m'avez promis autre chose encore. -- Quoi donc ? mon Dieu ! dit le jeune homme, qui malgrÊ son empire sur lui-mËme, sentait ses genoux trembler et la sueur poindre sur son front. -- Vous avez promis de m'apporter un couteau, et de me le laisser aprÉs notre entretien. -- Ne parlez pas de cela, Madame, dit Felton, il n'y a pas de situation, si terrible qu'elle soit, qui autorise une crÊature de Dieu Á se donner la mort. J'ai rÊflÊchi que jamais je ne devais me rendre coupable d'un pareil pÊchÊ. -- Ah ! vous avez rÊflÊchi ! dit la prisonniÉre en s'asseyant sur son fauteuil avec un sourire de dÊdain ; et moi aussi j'ai rÊflÊchi. -- A quoi ? -- Que je n'avais rien Á dire Á un homme qui ne tenait pas sa parole. -- O mon Dieu ! murmura Felton. -- Vous pouvez vous retirer, dit Milady, je ne parlerai pas. -- VoilÁ le couteau ! dit Felton tirant de sa poche l'arme que, selon sa promesse, il avait apportÊe, mais qu'il hÊsitait Á remettre Á sa prisonniÉre. -- Voyons-le, dit Milady. -- Pour quoi faire ? -- Sur l'honneur, je vous le rends Á l'instant mËme ; vous le poserez sur cette table ; et vous resterez entre lui et moi. " Felton tendit l'arme Á Milady, qui en examina attentivement la trempe, et qui en essaya la pointe sur le bout de son doigt. " Bien, dit-elle en rendant le couteau au jeune officier, celui-ci est en bel et bon acier ; vous Ëtes un fidÉle ami, Felton. " Felton reprit l'arme et la posa sur la table comme il venait d'Ëtre convenu avec sa prisonniÉre. Milady le suivit des yeux et fit un geste de satisfaction. " Maintenant, dit-elle, Êcoutez-moi. " La recommandation Êtait inutile : le jeune officier se tenait debout devant elle, attendant ses paroles pour les dÊvorer. " Felton, dit Milady avec une solennitÊ pleine de mÊlancolie, Felton, si votre soeur, la fille de votre pÉre, vous disait : " Jeune encore, assez belle par malheur, on m'a fait tomber dans un piÉge, j'ai rÊsistÊ ; on a multipliÊ autour de moi les embÙches, les violences, j'ai rÊsistÊ ; on a blasphÊmÊ la religion que je sers, le Dieu que j'adore, parce que j'appelais Á mon secours ce Dieu et cette religion, j'ai rÊsistÊ ; alors on m'a prodiguÊ les outrages, et comme on ne pouvait perdre mon ×me, on a voulu Á tout jamais flÊtrir mon corps ; enfin... " Milady s'arrËta, et un sourire amer passa sur ses lÉvres. " Enfin, dit Felton, enfin qu'a-t-on fait ? -- Enfin, un soir, on rÊsolut de paralyser cette rÊsistance qu'on ne pouvait vaincre : un soir, on mËla Á mon eau un narcotique puissant ; Á peine eus-je achevÊ mon repas, que je me sentis tomber peu Á peu dans une torpeur inconnue. Quoique je fusse sans dÊfiance, une crainte vague me saisit et j'essayai de lutter contre le sommeil ; je me levai, je voulus courir Á la fenËtre, appeler au secours, mais mes jambes refusÉrent de me porter ; il me semblait que le plafond s'abaissait sur ma tËte et m'Êcrasait de son poids ; je tendis les bras, j'essayai de parler, je ne pus que pousser des sons inarticulÊs ; un engourdissement irrÊsistible s'emparait de moi, je me retins Á un fauteuil, sentant que j'allais tomber, mais bientÆt cet appui fut insuffisant pour mes bras dÊbiles, je tombai sur un genou, puis sur les deux ; je voulus crier, ma langue Êtait glacÊe ; Dieu ne me vit ni ne m'entendit sans doute, et je glissai sur le parquet, en proie Á un sommeil qui ressemblait Á la mort. " De tout ce qui se passa dans ce sommeil et du temps qui s'Êcoula pendant sa durÊe, je n'eus aucun souvenir ; la seule chose que je me rappelle, c'est que je me rÊveillai couchÊe dans une chambre ronde, dont l'ameublement Êtait somptueux, et dans laquelle le jour ne pÊnÊtrait que par une ouverture au plafond. Du reste, aucune porte ne semblait y donner entrÊe : on eÙt dit une magnifique prison. " Je fus longtemps Á pouvoir me rendre compte du lieu oÝ je me trouvais et de tous les dÊtails que je rapporte, mon esprit semblait lutter inutilement pour secouer les pesantes tÊnÉbres de ce sommeil auquel je ne pouvais m'arracher ; j'avais des perceptions vagues d'un espace parcouru, du roulement d'une voiture, d'un rËve horrible dans lequel mes forces se seraient ÊpuisÊes ; mais tout cela Êtait si sombre et si indistinct dans ma pensÊe, que ces ÊvÊnements semblaient appartenir Á une autre vie que la mienne et cependant mËlÊe Á la mienne par une fantastique dualitÊ. " Quelque temps, l'Êtat dans lequel je me trouvais me sembla si Êtrange, que je crus que je faisais un rËve. Je me levai chancelante, mes habits Êtaient prÉs de moi, sur une chaise : je ne me rappelai ni m'Ëtre dÊvËtue, ni m'Ëtre couchÊe. Alors peu Á peu la rÊalitÊ se prÊsenta Á moi pleine de pudiques terreurs : je n'Êtais plus dans la maison que j'habitais ; autant que j'en pouvais juger par la lumiÉre du soleil, le jour Êtait dÊjÁ aux deux tiers ÊcoulÊ ! c'Êtait la veille au soir que je m'Êtais endormie ; mon sommeil avait donc dÊjÁ durÊ prÉs de vingt-quatre heures. Que s'Êtait-il passÊ pendant ce long sommeil ? " Je m'habillai aussi rapidement qu'il me fut possible. Tous mes mouvements lents et engourdis attestaient que l'influence du narcotique n'Êtait point encore entiÉrement dissipÊe. Au reste, cette chambre Êtait meublÊe pour recevoir une femme ; et la coquette la plus achevÊe n'eÙt pas eu un souhait Á former, qu'en promenant son regard autour de l'appartement elle n'eÙt vu son souhait accompli. " Certes, je n'Êtais pas la premiÉre captive qui s'Êtait vue enfermÊe dans cette splendide prison ; mais, vous le comprenez, Felton, plus la prison Êtait belle, plus je m'Êpouvantais. " Oui, c'Êtait une prison, car j'essayai vainement d'en sortir. Je sondai tous les murs afin de dÊcouvrir une porte, partout les murs rendirent un son plein et mat. " Je fis peut-Ëtre vingt fois le tour de cette chambre, cherchant une issue quelconque ; il n'y en avait pas : je tombai ÊcrasÊe de fatigue et de terreur sur un fauteuil. " Pendant ce temps, la nuit venait rapidement, et avec la nuit mes terreurs augmentaient : je ne savais si je devais rester oÝ j'Êtais assise ; il me semblait que j'Êtais entourÊe de dangers inconnus, dans lesquels j'allais tomber Á chaque pas. Quoique je n'eusse rien mangÊ depuis la veille, mes craintes m'empËchaient de ressentir la faim. " Aucun bruit du dehors, qui me permÏt de mesurer le temps, ne venait jusqu'Á moi ; je prÊsumai seulement qu'il pouvait Ëtre sept ou huit heures du soir ; car nous Êtions au mois d'octobre, et il faisait nuit entiÉre. " Tout Á coup, le cri d'une porte qui tourne sur ses gonds me fit tressaillir ; un globe de feu apparut au-dessus de l'ouverture vitrÊe du plafond, jetant une vive lumiÉre dans ma chambre, et je m'aperÚus avec terreur qu'un homme Êtait debout Á quelques pas de moi. " Une table Á deux couverts, supportant un souper tout prÊparÊ, s'Êtait dressÊe comme par magie au milieu de l'appartement. " Cet homme Êtait celui qui me poursuivait depuis un an, qui avait jurÊ mon dÊshonneur, et qui, aux premiers mots qui sortirent de sa bouche, me fit comprendre qu'il l'avait accompli la nuit prÊcÊdente. -- L'inf×me ! murmura Felton. -- Oh ! oui, l'inf×me ! s'Êcria Milady, voyant l'intÊrËt que le jeune officier, dont l'×me semblait suspendue Á ses lÉvres, prenait Á cet Êtrange rÊcit ; oh ! oui, l'inf×me ! il avait cru qu'il lui suffisait d'avoir triomphÊ de moi dans mon sommeil, pour que tout fÙt dit ; il venait, espÊrant que j'accepterais ma honte, puisque ma honte Êtait consommÊe ; il venait m'offrir sa fortune en Êchange de mon amour. " Tout ce que le coeur d'une femme peut contenir de superbe mÊpris et de paroles dÊdaigneuses, je le versai sur cet homme ; sans doute, il Êtait habituÊ Á de pareils reproches ; car il m'Êcouta calme, souriant, et les bras croisÊs sur la poitrine ; puis, lorsqu'il crut que j'avais tout dit, il s'avanÚa vers moi ; je bondis vers la table, je saisis un couteau, je l'appuyai sur ma poitrine. " -- Faites un pas de plus, lui dis-je, et outre mon dÊshonneur, vous aurez encore ma mort Á vous reprocher. " " Sans doute, il y avait dans mon regard, dans ma voix, dans toute ma personne, cette vÊritÊ de geste, de pose et d'accent, qui porte la conviction dans les ×mes les plus perverses, car il s'arrËta. " -- Votre mort ! me dit-il ; oh ! non, vous Ëtes une trop charmante maÏtresse pour que je consente Á vous perdre ainsi, aprÉs avoir eu le bonheur de vous possÊder une seule fois seulement. Adieu, ma toute belle ! j'attendrai, pour revenir vous faire ma visite, que vous soyez dans de meilleures dispositions. " " A ces mots, il donna un coup de sifflet ; le globe de flamme qui Êclairait ma chambre remonta et disparut ; je me retrouvai dans l'obscuritÊ. Le mËme bruit d'une porte qui s'ouvre et se referme se reproduisit un instant aprÉs, le globe flamboyant descendit de nouveau, et je me retrouvai seule. " Ce moment fut affreux ; si j'avais encore quelques doutes sur mon malheur, ces doutes s'Êtaient Êvanouis dans une dÊsespÊrante rÊalitÊ : j'Êtais au pouvoir d'un homme que non seulement je dÊtestais, mais que je mÊprisais ; d'un homme capable de tout, et qui m'avait dÊjÁ donnÊ une preuve fatale de ce qu'il pouvait oser. -- Mais quel Êtait donc cet homme ? demanda Felton. -- Je passai la nuit sur une chaise, tressaillant au moindre bruit ; car, Á minuit Á peu prÉs, la lampe s'Êtait Êteinte, et je m'Êtais retrouvÊe dans l'obscuritÊ. Mais la nuit se passa sans nouvelle tentative de mon persÊcuteur ; le jour vint : la table avait disparu ; seulement, j'avais encore le couteau Á la main. " Ce couteau c'Êtait tout mon espoir. " J'Êtais ÊcrasÊe de fatigue ; l'insomnie brÙlait mes yeux ; je n'avais pas osÊ dormir un seul instant : le jour me rassura, j'allai me jeter sur mon lit sans quitter le couteau libÊrateur que je cachai sous mon oreiller. " Quand je me rÊveillai, une nouvelle table Êtait servie. " Cette fois, malgrÊ mes terreurs, en dÊpit de mes angoisses, une faim dÊvorante se faisait sentir ; il y avait quarante-huit heures que je n'avais pris aucune nourriture : je mangeai du pain et quelques fruits ; puis, me rappelant le narcotique mËlÊ Á l'eau que j'avais bue, je ne touchai point Á celle qui Êtait sur la table, et j'allai remplir mon verre Á une fontaine de marbre scellÊe dans le mur, au-dessus de ma toilette. " Cependant, malgrÊ cette prÊcaution, je ne demeurai pas moins quelque temps encore dans une affreuse angoisse ; mais mes craintes, cette fois, n'Êtaient pas fondÊes : je passai la journÊe sans rien Êprouver qui ressembl×t Á ce que je redoutais. " J'avais eu la prÊcaution de vider Á demi la carafe, pour qu'on ne s'aperÚÙt point de ma dÊfiance. " Le soir vint, et avec lui l'obscuritÊ ; cependant, si profonde qu'elle fÙt, mes yeux commenÚaient Á s'y habituer ; je vis, au milieu des tÊnÉbres, la table s'enfoncer dans le plancher ; un quart d'heure aprÉs, elle reparut portant mon souper ; un instant aprÉs, gr×ce Á la mËme lampe, ma chambre s'Êclaira de nouveau. " J'Êtais rÊsolue Á ne manger que des objets auxquels il Êtait impossible de mËler aucun somnifÉre : deux oeufs et quelques fruits composÉrent mon repas ; puis, j'allai puiser un verre d'eau Á ma fontaine protectrice, et je le bus. " Aux premiÉres gorgÊes, il me sembla qu'elle n'avait plus le mËme goÙt que le matin : un soupÚon rapide me prit, je m'arrËtai ; mais j'en avais dÊjÁ avalÊ un demi-verre. " Je jetai le reste avec horreur, et j'attendis, la sueur de l'Êpouvante au front. " Sans doute quelque invisible tÊmoin m'avait vue prendre de l'eau Á cette fontaine, et avait profitÊ de ma confiance mËme pour mieux assurer ma perte si froidement rÊsolue, si cruellement poursuivie. " Une demi-heure ne s'Êtait pas ÊcoulÊe, que les mËmes symptÆmes se produisirent ; seulement, comme cette fois je n'avais bu qu'un demi- verre d'eau, je luttai plus longtemps, et, au lieu de m'endormir tout Á fait, je tombai dans un Êtat de somnolence qui me laissait le sentiment de ce qui se passait autour de moi, tout en m'Ætant la force ou de me dÊfendre ou de fuir. " Je me traÏnai vers mon lit, pour y chercher la seule dÊfense qui me rest×t, mon couteau sauveur ; mais je ne pus arriver jusqu'au chevet : je tombai Á genoux, les mains cramponnÊes Á l'une des colonnes du pied ; alors, je compris que j'Êtais perdue. " Felton p×lit affreusement, et un frisson convulsif courut par tout son corps. " Et ce qu'il y avait de plus affreux, continua Milady, la voix altÊrÊe comme si elle eÙt encore ÊprouvÊ la mËme angoisse qu'en ce moment terrible, c'est que, cette fois, j'avais la conscience du danger qui me menaÚait ; c'est que mon ×me, je puis le dire, veillait dans mon corps endormi ; c'est que je voyais, c'est que j'entendais : il est vrai que tout cela Êtait comme dans un rËve ; mais ce n'en Êtait que plus effrayant. " Je vis la lampe qui remontait et qui peu Á peu me laissait dans l'obscuritÊ ; puis j'entendis le cri si bien connu de cette porte, quoique cette porte ne se fÙt ouverte que deux fois. " Je sentis instinctivement qu'on s'approchait de moi : on dit que le malheureux perdu dans les dÊserts de l'AmÊrique sent ainsi l'approche du serpent. " Je voulais faire un effort, je tentai de crier ; par une incroyable Ênergie de volontÊ je me relevai mËme, mais pour retomber aussitÆt... et retomber dans les bras de mon persÊcuteur. -- Dites-moi donc quel Êtait cet homme ? " s'Êcria le jeune officier. Milady vit d'un seul regard tout ce qu'elle inspirait de souffrance Á Felton, en pesant sur chaque dÊtail de son rÊcit ; mais elle ne voulait lui faire gr×ce d'aucune torture. Plus profondÊment elle lui briserait le coeur, plus sÙrement il la vengerait. Elle continua donc comme si elle n'eÙt point entendu son exclamation, ou comme si elle eÙt pensÊ que le moment n'Êtait pas encore venu d'y rÊpondre. " Seulement, cette fois, ce n'Êtait plus Á une espÉce de cadavre inerte, sans aucun sentiment, que l'inf×me avait affaire. Je vous l'ai dit : sans pouvoir parvenir Á retrouver l'exercice complet de mes facultÊs, il me restait le sentiment de mon danger : je luttai donc de toutes mes forces et sans doute j'opposai, tout affaiblie que j'Êtais, une longue rÊsistance, car je l'entendis s'Êcrier : " -- Ces misÊrables puritaines ! je savais bien qu'elles lassaient leurs bourreaux, mais je les croyais moins fortes contre leurs sÊducteurs. " " HÊlas ! cette rÊsistance dÊsespÊrÊe ne pouvait durer longtemps, je sentis mes forces qui s'Êpuisaient, et cette fois ce ne fut pas de mon sommeil que le l×che profita, ce fut de mon Êvanouissement. " Felton Êcoutait sans faire entendre autre chose qu'une espÉce de rugissement sourd ; seulement la sueur ruisselait sur son front de marbre, et sa main cachÊe sous son habit dÊchirait sa poitrine. " Mon premier mouvement, en revenant Á moi, fut de chercher sous mon oreiller ce couteau que je n'avais pu atteindre ; s'il n'avait point servi Á la dÊfense, il pouvait au moins servir Á l'expiation. " Mais en prenant ce couteau, Felton, une idÊe terrible me vint. J'ai jurÊ de tout vous dire et je vous dirai tout ; je vous ai promis la vÊritÊ, je la dirai, dÙt-elle me perdre. -- L'idÊe vous vint de vous venger de cet homme, n'est-ce pas ? s'Êcria Felton. -- Eh bien, oui ! dit Milady : cette idÊe n'Êtait pas d'une chrÊtienne, je le sais ; sans doute cet Êternel ennemi de notre ×me, ce lion rugissant sans cesse autour de nous la soufflait Á mon esprit. Enfin, que vous dirai-je, Felton ? continua Milady du ton d'une femme qui s'accuse d'un crime, cette idÊe me vint et ne me quitta plus sans doute. C'est de cette pensÊe homicide que je porte aujourd'hui la punition. -- Continuez, continuez, dit Felton, j'ai h×te de vous voir arriver Á la vengeance. -- Oh ! je rÊsolus qu'elle aurait lieu le plus tÆt possible, je ne doutais pas qu'il ne revÏnt la nuit suivante. Dans le jour je n'avais rien Á craindre. " Aussi, quand vint l'heure du dÊjeuner, je n'hÊsitai pas Á manger et Á boire : j'Êtais rÊsolue Á faire semblant de souper, mais Á ne rien prendre : je devais donc par la nourriture du matin combattre le jeÙne du soir. " Seulement je cachai un verre d'eau soustraite Á mon dÊjeuner, la soif ayant ÊtÊ ce qui m'avait le plus fait souffrir quand j'Êtais demeurÊe quarante-huit heures sans boire ni manger. " La journÊe s'Êcoula sans avoir d'autre influence sur moi que de m'affermir dans la rÊsolution prise : seulement j'eus soin que mon visage ne trahÏt en rien la pensÊe de mon coeur, car je ne doutais pas que je ne fusse observÊe ; plusieurs fois mËme je sentis un sourire sur mes lÉvres. Felton, je n'ose pas vous dire Á quelle idÊe je souriais, vous me prendriez en horreur... -- Continuez, continuez, dit Felton, vous voyez bien que j'Êcoute et que j'ai h×te d'arriver. -- Le soir vint, les ÊvÊnements ordinaires s'accomplirent ; pendant l'obscuritÊ, comme d'habitude, mon souper fut servi, puis la lampe s'alluma, et je me mis Á table. " Je mangeai quelques fruits seulement : je fis semblant de me verser de l'eau de la carafe, mais je ne bus que celle que j'avais conservÊe dans mon verre, la substitution, au reste, fut faite assez adroitement pour que mes espions, si j'en avais, ne conÚussent aucun soupÚon. " AprÉs le souper, je donnai les mËmes marques d'engourdissement que la veille ; mais cette fois, comme si je succombais Á la fatigue ou comme si je me familiarisais avec le danger, je me traÏnai vers mon lit, et je fis semblant de m'endormir. " Cette fois, j'avais retrouvÊ mon couteau sous l'oreiller, et tout en feignant de dormir, ma main serrait convulsivement la poignÊe. " Deux heures s'ÊcoulÉrent sans qu'il se pass×t rien de nouveau : cette fois, Æ mon Dieu ! qui m'eÙt dit cela la veille ? je commenÚais Á craindre qu'il ne vÏnt pas. " Enfin, je vis la lampe s'Êlever doucement et disparaÏtre dans les profondeurs du plafond ; ma chambre s'emplit de tÊnÉbres, mais je fis un effort pour percer du regard l'obscuritÊ. " Dix minutes Á peu prÉs se passÉrent. Je n'entendais d'autre bruit que celui du battement de mon coeur. " J'implorais le Ciel pour qu'il vÏnt. " Enfin j'entendis le bruit si connu de la porte qui s'ouvrait et se refermait ; j'entendis, malgrÊ l'Êpaisseur du tapis, un pas qui faisait crier le parquet ; je vis, malgrÊ l'obscuritÊ, une ombre qui approchait de mon lit. -- H×tez-vous, h×tez-vous ! dit Felton, ne voyez-vous pas que chacune de vos paroles me brÙle comme du plomb fondu ! -- Alors, continua Milady, alors je rÊunis toutes mes forces, je me rappelai que le moment de la vengeance ou plutÆt de la justice avait sonnÊ ; je me regardai comme une autre Judith ; je me ramassai sur moi-mËme, mon couteau Á la main, et quand je le vis prÉs de moi, Êtendant les bras pour chercher sa victime, alors, avec le dernier cri de la douleur et du dÊsespoir, je le frappai au milieu de la poitrine. " Le misÊrable ! il avait tout prÊvu : sa poitrine Êtait couverte d'une cotte de mailles ; le couteau s'Êmoussa. "-- Ah ! ah ! s'Êcria-t-il en me saisissant le bras et en m'arrachant l'arme qui m'avait si mal servie, vous en voulez Á ma vie, ma belle puritaine ! mais c'est plus que de la haine, cela, c'est de l'ingratitude ! Allons, allons, calmez-vous, ma belle enfant ! j'avais cru que vous vous Êtiez adoucie. Je ne suis pas de ces tyrans qui gardent les femmes de force : vous ne m'aimez pas, j'en doutais avec ma fatuitÊ ordinaire ; maintenant j'en suis convaincu. Demain, vous serez libre. " " Je n'avais qu'un dÊsir, c'Êtait qu'il me tu×t. " -- Prenez garde ! lui dis-je, car ma libertÊ c'est votre dÊshonneur. Oui, car, Á peine sortie d'ici, je dirai tout, je dirai la violence dont vous avez usÊ envers moi, je dirai ma captivitÊ. Je dÊnoncerai ce palais d'infamie ; vous Ëtes bien haut placÊ, Milord, mais tremblez ! Au-dessus de vous il y a le roi, au-dessus du roi il y a Dieu. " " Si maÏtre qu'il parÙt de lui, mon persÊcuteur laissa Êchapper un mouvement de colÉre. Je ne pouvais voir l'expression de son visage, mais j'avais senti frÊmir son bras sur lequel Êtait posÊe ma main. " -- Alors, vous ne sortirez pas d'ici, dit-il. " -- Bien, bien ! m'Êcriai-je, alors le lieu de mon supplice sera aussi celui de mon tombeau. Bien ! je mourrai ici et vous verrez si un fantÆme qui accuse n'est pas plus terrible encore qu'un vivant qui menace ! " -- On ne vous laissera aucune arme. " -- Il y en a une que le dÊsespoir a mise Á la portÊe de toute crÊature qui a le courage de s'en servir. Je me laisserai mourir de faim. " -- Voyons, dit le misÊrable, la paix ne vaut-elle pas mieux qu'une pareille guerre ? Je vous rends la libertÊ Á l'instant mËme, je vous proclame une vertu, je vous surnomme la LucrÉce de l'Angleterre . " -- Et moi je dis que vous en Ëtes le Sextus , moi je vous dÊnonce aux hommes comme je vous ai dÊjÁ dÊnoncÊ Á Dieu ; et s'il faut que, comme LucrÉce, je signe mon accusation de mon sang, je la signerai. " -- Ah ! ah ! dit mon ennemi d'un ton railleur, alors c'est autre chose. Ma foi, au bout du compte, vous Ëtes bien ici, rien ne vous manquera, et si vous vous laissez mourir de faim, ce sera de votre faute. " " A ces mots, il se retira, j'entendis s'ouvrir et se refermer la porte, et je restai abÏmÊe, moins encore, je l'avoue, dans ma douleur, que dans la honte de ne m'Ëtre pas vengÊe. " Il me tint parole. Toute la journÊe, toute la nuit du lendemain s'ÊcoulÉrent sans que je le revisse. Mais moi aussi je lui tins parole, et je ne mangeai ni ne bus ; j'Êtais, comme je le lui avais dit, rÊsolue Á me laisser mourir de faim. " Je passai le jour et la nuit en priÉre, car j'espÊrais que Dieu me pardonnerait mon suicide. " La seconde nuit la porte s'ouvrit ; j'Êtais couchÊe Á terre sur le parquet, les forces commenÚaient Á m'abandonner. " Au bruit je me relevai sur une main. " Eh bien, me dit une voix qui vibrait d'une faÚon trop terrible Á mon oreille pour que je ne la reconnusse pas ; eh bien, sommes-nous un peu adoucie, et paierons nous notre libertÊ d'une seule promesse de silence ? " Tenez, moi, je suis bon prince, ajouta-t-il, et, quoique je n'aime pas les puritains, je leur rends justice, ainsi qu'aux puritaines, quand elles sont jolies. Allons, faites-moi un petit serment sur la croix, je ne vous en demande pas davantage. " -- Sur la croix ! m'Êcriai-je en me relevant, car Á cette voix abhorrÊe j'avais retrouvÊ toutes mes forces ; sur la croix ! je jure que nulle promesse, nulle menace, nulle torture ne me fermera la bouche ; sur la croix ! je jure de vous dÊnoncer partout comme un meurtrier, comme un larron d'honneur, comme un l×che ; sur la croix ! je jure, si jamais je parviens Á sortir d'ici, de demander vengeance contre vous au genre humain entier. " -- Prenez garde ! dit la voix avec un accent de menace que je n'avais pas encore entendu, j'ai un moyen suprËme, que je n'emploierai qu'Á la derniÉre extrÊmitÊ, de vous fermer la bouche ou du moins d'empËcher qu'on ne croie Á un seul mot de ce que vous direz. " " Je rassemblai toutes mes forces pour rÊpondre par un Êclat de rire. " Il vit que c'Êtait entre nous dÊsormais une guerre Êternelle, une guerre Á mort. " -- Ecoutez, dit-il, je vous donne encore le reste de cette nuit et la journÊe de demain ; rÊflÊchissez : promettez de vous taire, la richesse, la considÊration, les honneurs mËmes vous entoureront ; menacez de parler, et je vous condamne Á l'infamie. " -- Vous ! m'Êcriai-je, vous ! " -- A l'infamie Êternelle, ineffaÚable ! " -- Vous ! rÊpÊtai-je. Oh ! je vous le dis, Felton, je le croyais insensÊ ! " -- Oui, moi ! reprit-il. " -- Ah ! laissez-moi, lui dis-je, sortez, si vous ne voulez pas qu'Á vos yeux je me brise la tËte contre la muraille ! " -- C'est bien, reprit-il, vous le voulez, Á demain soir ! " -- A demain soir " , rÊpondis-je en me laissant tomber et en mordant le tapis de rage... " Felton s'appuyait sur un meuble, et Milady voyait avec une joie de dÊmon que la force lui manquerait peut-Ëtre avant la fin du rÊcit. CHAPITRE LVII. UN MOYEN DE TRAGEDIE CLASSIQUE AprÉs un moment de silence employÊ par Milady Á observer le jeune homme qui l'Êcoutait, elle continua son rÊcit : " Il y avait prÉs de trois jours que je n'avais ni bu ni mangÊ, je souffrais des tortures atroces : parfois il me passait comme des nuages qui me serraient le front, qui me voilaient les yeux : c'Êtait le dÊlire. " Le soir vint ; j'Êtais si faible, qu'Á chaque instant je m'Êvanouissais et Á chaque fois que je m'Êvanouissais je remerciais Dieu, car je croyais que j'allais mourir. " Au milieu de l'un de ces Êvanouissements, j'entendis la porte s'ouvrir ; la terreur me rappela Á moi. " Mon persÊcuteur entra suivi d'un homme masquÊ, il Êtait masquÊ lui-mËme ; mais je reconnus son pas, je reconnus cet air imposant que l'enfer a donnÊ Á sa personne pour le malheur de l'humanitÊ. " Eh bien, me dit-il, Ëtes-vous dÊcidÊe Á me faire le serment que je vous ai demandÊ ? " -- Vous l'avez dit, les puritains n'ont qu'une parole : la mienne