qui allait arriver. D'Artagnan la rassura du mieux qu'il put et lui promit de rester insensible aux sÊductions de Milady. Il lui fit rÊpondre qu'il Êtait on ne peut plus reconnaissant de ses bontÊs et qu'il se rendrait Á ses ordres ; mais il n'osa lui Êcrire de peur de ne pouvoir, Á des yeux aussi exercÊs que ceux de Milady, dÊguiser suffisamment son Êcriture. A neuf heures sonnant, d'Artagnan Êtait place Royale. Il Êtait Êvident que les domestiques qui attendaient dans l'antichambre Êtaient prÊvenus, car aussitÆt que d'Artagnan parut, avant mËme qu'il eÙt demandÊ si Milady Êtait visible, un d'eux courut l'annoncer. " Faites entrer " , dit Milady d'une voix brÉve, mais si perÚante que d'Artagnan l'entendit de l'antichambre. On l'introduisit. " Je n'y suis pour personne, dit Milady ; entendez-vous, pour personne. " Le laquais sortit. D'Artagnan jeta un regard curieux sur Milady : elle Êtait p×le et avait les yeux fatiguÊs, soit par les larmes, soit par l'insomnie. On avait avec intention diminuÊ le nombre habituel des lumiÉres, et cependant la jeune femme ne pouvait arriver Á cacher les traces de la fiÉvre qui l'avait dÊvorÊe depuis deux jours. D'Artagnan s'approcha d'elle avec sa galanterie ordinaire ; elle fit alors un effort suprËme pour le recevoir, mais jamais physionomie plus bouleversÊe ne dÊmentit sourire plus aimable. Aux questions que d'Artagnan lui fit sur sa santÊ : " Mauvaise, rÊpondit-elle, trÉs mauvaise. -- Mais alors, dit d'Artagnan, je suis indiscret, vous avez besoin de repos sans doute et je vais me retirer. -- Non pas, dit Milady ; au contraire, restez, Monsieur d'Artagnan, votre aimable compagnie me distraira. " " Oh ! oh ! pensa d'Artagnan, elle n'a jamais ÊtÊ si charmante, dÊfions- nous. " Milady prit l'air le plus affectueux qu'elle put prendre, et donna tout l'Êclat possible Á sa conversation. En mËme temps cette fiÉvre qui l'avait abandonnÊe un instant revenait rendre l'Êclat Á ses yeux, le coloris Á ses joues, le carmin Á ses lÉvres. D'Artagnan retrouva la CircÊ qui l'avait dÊjÁ enveloppÊ de ses enchantements. Son amour, qu'il croyait Êteint et qui n'Êtait qu'assoupi, se rÊveilla dans son coeur. Milady souriait et d'Artagnan sentait qu'il se damnerait pour ce sourire. Il y eut un moment oÝ il sentit quelque chose comme un remords de ce qu'il avait fait contre elle. Peu Á peu Milady devint plus communicative. Elle demanda Á d'Artagnan s'il avait une maÏtresse. " HÊlas ! dit d'Artagnan de l'air le plus sentimental qu'il put prendre, pouvez-vous Ëtre assez cruelle pour me faire une pareille question, Á moi qui, depuis que je vous ai vue, ne respire et ne soupire que par vous et pour vous ! " Milady sourit d'un Êtrange sourire. " Ainsi vous m'aimez ? dit-elle. -- Ai-je besoin de vous le dire, et ne vous en Ëtes-vous point aperÚue ? -- Si fait ; mais, vous le savez, plus les coeurs sont fiers, plus ils sont difficiles Á prendre. -- Oh ! les difficultÊs ne m'effraient pas, dit d'Artagnan ; il n'y a que les impossibilitÊs qui m'Êpouvantent. -- Rien n'est impossible, dit Milady, Á un vÊritable amour. -- Rien, Madame ? -- Rien " , reprit Milady. " Diable ! reprit d'Artagnan Á part lui, la note est changÊe. Deviendrait- elle amoureuse de moi, par hasard, la capricieuse, et serait-elle disposÊe Á me donner Á moi-mËme quelque autre saphir pareil Á celui qu'elle m'a donnÊ me prenant pour de Wardes ? " D'Artagnan rapprocha vivement son siÉge de celui de Milady. " Voyons, dit-elle, que feriez-vous bien pour prouver cet amour dont vous parlez ? -- Tout ce qu'on exigerait de moi. Qu'on ordonne, et je suis prËt. -- A tout ? -- A tout ! s'Êcria d'Artagnan qui savait d'avance qu'il n'avait pas grand- chose Á risquer en s'engageant ainsi. -- Eh bien, causons un peu, dit Á son tour Milady en rapprochant son fauteuil de la chaise de d'Artagnan. -- Je vous Êcoute, Madame " , dit celui-ci. Milady resta un instant soucieuse et comme indÊcise ; puis paraissant prendre une rÊsolution : " J'ai un ennemi, dit-elle. -- Vous, Madame ! s'Êcria d'Artagnan jouant la surprise, est-ce possible, mon Dieu ? belle et bonne comme vous l'Ëtes ! -- Un ennemi mortel. -- En vÊritÊ ? -- Un ennemi qui m'a insultÊe si cruellement que c'est entre lui et moi une guerre Á mort. Puis-je compter sur vous comme auxiliaire ? " D'Artagnan comprit sur-le-champ oÝ la vindicative crÊature en voulait venir. " Vous le pouvez, Madame, dit-il avec emphase, mon bras et ma vie vous appartiennent comme mon amour. -- Alors, dit Milady, puisque vous Ëtes aussi gÊnÊreux qu'amoureux... " Elle s'arrËta. " Eh bien ? demanda d'Artagnan. -- Eh bien, reprit Milady aprÉs un moment de silence, cessez dÉs aujourd'hui de parler d'impossibilitÊs. -- Ne m'accablez pas de mon bonheur " , s'Êcria d'Artagnan en se prÊcipitant Á genoux et en couvrant de baisers les mains qu'on lui abandonnait. " Venge-moi de cet inf×me de Wardes, murmura Milady entre ses dents, et je saurai bien me dÊbarrasser de toi ensuite, double sot, lame d'ÊpÊe vivante ! " " Tombe volontairement entre mes bras aprÉs m'avoir raillÊ si effrontÊment, hypocrite et dangereuse femme, pensait d'Artagnan de son cÆtÊ, et ensuite je rirai de toi avec celui que tu veux tuer par ma main. " D'Artagnan releva la tËte. " Je suis prËt, dit-il. -- Vous m'avez donc comprise, cher Monsieur d'Artagnan ! dit Milady. -- Je devinerais un de vos regards. -- Ainsi vous emploieriez pour moi votre bras, qui s'est dÊjÁ acquis tant de renommÊe ? -- A l'instant mËme. -- Mais moi, dit Milady, comment paierai-je un pareil service ; je connais les amoureux, ce sont des gens qui ne font rien pour rien ? -- Vous savez la seule rÊponse que je dÊsire, dit d'Artagnan, la seule qui soit digne de vous et de moi ! " Et il l'attira doucement vers lui. Elle rÊsista Á peine. " IntÊressÊ ! dit-elle en souriant. -- Ah ! s'Êcria d'Artagnan vÊritablement emportÊ par la passion que cette femme avait le don d'allumer dans son coeur, ah ! c'est que mon bonheur me paraÏt invraisemblable, et qu'ayant toujours peur de le voir s'envoler comme un rËve, j'ai h×te d'en faire une rÊalitÊ. -- Eh bien, mÊritez donc ce prÊtendu bonheur. -- Je suis Á vos ordres, dit d'Artagnan. -- Bien sÙr ? fit Milady avec un dernier doute. -- Nommez-moi l'inf×me qui a pu faire pleurer vos beaux yeux. -- Qui vous dit que j'ai pleurÊ ? dit-elle. -- Il me semblait... -- Les femmes comme moi ne pleurent pas, dit Milady. -- Tant mieux ! Voyons, dites-moi comment il s'appelle. -- Songez que son nom c'est tout mon secret. -- Il faut cependant que je sache son nom. -- Oui, il le faut ; voyez si j'ai confiance en vous ! -- Vous me comblez de joie. Comment s'appelle-t-il ? -- Vous le connaissez. -- Vraiment ? -- Oui. -- Ce n'est pas un de mes amis ? reprit d'Artagnan en jouant l'hÊsitation pour faire croire Á son ignorance. -- Si c'Êtait un de vos amis, vous hÊsiteriez donc ? " s'Êcria Milady. Et un Êclair de menace passa dans ses yeux. " Non, fÙt-ce mon frÉre ! " s'Êcria d'Artagnan comme emportÊ par l'enthousiasme. Notre Gascon s'avanÚait sans risque ; car il savait oÝ il allait. " J'aime votre dÊvouement, dit Milady. -- HÊlas, n'aimez-vous que cela en moi ? demanda d'Artagnan. -- Je vous aime aussi, vous " , dit-elle en lui prenant la main. Et l'ardente pression fit frissonner d'Artagnan, comme si, par le toucher, cette fiÉvre qui brÙlait Milady le gagnait lui-mËme. " Vous m'aimez, vous ! s'Êcria-t-il. Oh ! si cela Êtait, ce serait Á en perdre la raison. " Et il l'enveloppa de ses deux bras. Elle n'essaya point d'Êcarter ses lÉvres de son baiser, seulement elle ne le lui rendit pas. Ses lÉvres Êtaient froides : il sembla Á d'Artagnan qu'il venait d'embrasser une statue. Il n'en Êtait pas moins ivre de joie, ÊlectrisÊ d'amour ; il croyait presque Á la tendresse de Milady ; il croyait presque au crime de de Wardes. Si de Wardes eÙt ÊtÊ en ce moment sous sa main, il l'eÙt tuÊ. Milady saisit l'occasion. " Il s'appelle... , dit-elle Á son tour. -- De Wardes, je le sais, s'Êcria d'Artagnan. -- Et comment le savez-vous ? " demanda Milady en lui saisissant les deux mains et en essayant de lire par ses yeux jusqu'au fond de son ×me. D'Artagnan sentit qu'il s'Êtait laissÊ emporter, et qu'il avait fait une faute. " Dites, dites, mais dites donc ! rÊpÊtait Milady, comment le savez- vous ? -- Comment je le sais ? dit d'Artagnan. -- Oui. -- Je le sais, parce que, hier, de Wardes, dans un salon oÝ j'Êtais, a montrÊ une bague qu'il a dit tenir de vous. -- Le misÊrable ! " s'Êcria Milady. L'ÊpithÉte, comme on le comprend bien, retentit jusqu'au fond du coeur de d'Artagnan. " Eh bien ? continua-t-elle. -- Eh bien, je vous vengerai de ce misÊrable, reprit d'Artagnan en se donnant des airs de don Japhet d'ArmÊnie. -- Merci, mon brave ami ! s'Êcria Milady ; et quand serai-je vengÊe ? -- Demain, tout de suite, quand vous voudrez. " Milady allait s'Êcrier : " Tout de suite " ; mais elle rÊflÊchit qu'une pareille prÊcipitation serait peu gracieuse pour d'Artagnan. D'ailleurs, elle avait mille prÊcautions Á prendre, mille conseils Á donner Á son dÊfenseur, pour qu'il Êvit×t les explications devant tÊmoins avec le comte. Tout cela se trouva prÊvu par un mot de d'Artagnan. " Demain, dit-il, vous serez vengÊe ou je serai mort. -- Non ! dit-elle, vous me vengerez ; mais vous ne mourrez pas. C'est un l×che. -- Avec les femmes peut-Ëtre, mais pas avec les hommes. J'en sais quelque chose, moi. -- Mais il me semble que dans votre lutte avec lui, vous n'avez pas eu Á vous plaindre de la fortune. -- La fortune est une courtisane : favorable hier, elle peut me trahir demain. -- Ce qui veut dire que vous hÊsitez maintenant. -- Non, je n'hÊsite pas, Dieu m'en garde ; mais serait-il juste de me laisser aller Á une mort possible sans m'avoir donnÊ au moins un peu plus que de l'espoir ? " Milady rÊpondit par un coup d'oeil qui voulait dire : " N'est-ce que cela ? parlez donc. " Puis, accompagnant le coup d'oeil de paroles explicatives : " C'est trop juste, dit-elle tendrement. -- Oh ! vous Ëtes un ange, dit le jeune homme. -- Ainsi, tout est convenu ? dit-elle. -- Sauf ce que je vous demande, chÉre ×me ! -- Mais, lorsque je vous dis que vous pouvez vous fier Á ma tendresse ? -- Je n'ai pas de lendemain pour attendre. -- Silence ; j'entends mon frÉre : il est inutile qu'il vous trouve ici. " Elle sonna ; Ketty parut. " Sortez par cette porte, dit-elle en poussant une petite porte dÊrobÊe, et revenez Á onze heures ; nous achÉverons cet entretien : Ketty vous introduira chez moi. " La pauvre enfant pensa tomber Á la renverse en entendant ces paroles. " Eh bien ! que faites-vous, Mademoiselle, Á demeurer lÁ, immobile comme une statue ? Allons, reconduisez le chevalier ; et ce soir, Á onze heures, vous avez entendu ! " " Il paraÏt que ses rendez-vous sont Á onze heures, pensa d'Artagnan : c'est une habitude prise. " Milady lui tendit une main qu'il baisa tendrement. " Voyons, dit-il en se retirant et en rÊpondant Á peine aux reproches de Ketty, voyons, ne soyons pas un sot ; dÊcidÊment cette femme est une grande scÊlÊrate : prenons garde. " CHAPITRE XXXVII. LE SECRET DE MILADY D'Artagnan Êtait sorti de l'hÆtel au lieu de monter tout de suite chez Ketty, malgrÊ les instances que lui avait faites la jeune fille, et cela pour deux raisons : la premiÉre, parce que de cette faÚon il Êvitait les reproches, les rÊcriminations, les priÉres ; la seconde, parce qu'il n'Êtait pas f×chÊ de lire un peu dans sa pensÊe, et, s'il Êtait possible, dans celle de cette femme. Tout ce qu'il y avait de plus clair lÁ-dedans, c'est que d'Artagnan aimait Milady comme un fou et qu'elle ne l'aimait pas le moins du monde. Un instant d'Artagnan comprit que ce qu'il aurait de mieux Á faire serait de rentrer chez lui et d'Êcrire Á Milady une longue lettre dans laquelle il lui avouerait que lui et de Wardes Êtaient jusqu'Á prÊsent absolument le mËme, que par consÊquent il ne pouvait s'engager, sous peine de suicide, Á tuer de Wardes. Mais lui aussi Êtait ÊperonnÊ d'un fÊroce dÊsir de vengeance ; il voulait possÊder Á son tour cette femme sous son propre nom ; et comme cette vengeance lui paraissait avoir une certaine douceur, il ne voulait point y renoncer. Il fit cinq ou six fois le tour de la place Royale, se retournant de dix pas en dix pas pour regarder la lumiÉre de l'appartement de Milady, qu'on apercevait Á travers les jalousies ; il Êtait Êvident que cette fois la jeune femme Êtait moins pressÊe que la premiÉre de rentrer dans sa chambre. Enfin la lumiÉre disparut. Avec cette lueur s'Êteignit la derniÉre irrÊsolution dans le coeur de d'Artagnan ; il se rappela les dÊtails de la premiÉre nuit, et, le coeur bondissant, la tËte en feu, il rentra dans l'hÆtel et se prÊcipita dans la chambre de Ketty. La jeune fille, p×le comme la mort, tremblant de tous ses membres, voulut arrËter son amant ; mais Milady, l'oreille au guet, avait entendu le bruit qu'avait fait d'Artagnan : elle ouvrit la porte. " Venez " , dit-elle. Tout cela Êtait d'une si incroyable imprudence, d'une si monstrueuse effronterie, qu'Á peine si d'Artagnan pouvait croire Á ce qu'il voyait et Á ce qu'il entendait. Il croyait Ëtre entraÏnÊ dans quelqu'une de ces intrigues fantastiques comme on en accomplit en rËve. Il ne s'ÊlanÚa pas moins vers Milady, cÊdant Á cette attraction que l'aimant exerce sur le fer. La porte se referma derriÉre eux. Ketty s'ÊlanÚa Á son tour contre la porte. La jalousie, la fureur, l'orgueil offensÊ, toutes les passions enfin qui se disputent le coeur d'une femme amoureuse la poussaient Á une rÊvÊlation ; mais elle Êtait perdue si elle avouait avoir donnÊ les mains Á une pareille machination ; et, par-dessus tout, d'Artagnan Êtait perdu pour elle. Cette derniÉre pensÊe d'amour lui conseilla encore ce dernier sacrifice. D'Artagnan, de son cÆtÊ, Êtait arrivÊ au comble de tous ses voeux : ce n'Êtait plus un rival qu'on aimait en lui, c'Êtait lui-mËme qu'on avait l'air d'aimer. Une voix secrÉte lui disait bien au fond du coeur qu'il n'Êtait qu'un instrument de vengeance que l'on caressait en attendant qu'il donn×t la mort, mais l'orgueil, mais l'amour-propre, mais la folie faisaient taire cette voix, Êtouffaient ce murmure. Puis notre Gascon, avec la dose de confiance que nous lui connaissons, se comparait Á de Wardes et se demandait pourquoi, au bout du compte, on ne l'aimerait pas, lui aussi, pour lui-mËme. Il s'abandonna donc tout entier aux sensations du moment. Milady ne fut plus pour lui cette femme aux intentions fatales qui l'avait un instant ÊpouvantÊ, ce fut une maÏtresse ardente et passionnÊe s'abandonnant tout entiÉre Á un amour qu'elle semblait Êprouver elle- mËme. Deux heures Á peu prÉs s'ÊcoulÉrent ainsi. Cependant les transports des deux amants se calmÉrent ; Milady, qui n'avait point les mËmes motifs que d'Artagnan pour oublier, revint la premiÉre Á la rÊalitÊ et demanda au jeune homme si les mesures qui devaient amener le lendemain entre lui et de Wardes une rencontre Êtaient bien arrËtÊes d'avance dans son esprit. Mais d'Artagnan, dont les idÊes avaient pris un tout autre cours, s'oublia comme un sot et rÊpondit galamment qu'il Êtait bien tard pour s'occuper de duels Á coups d'ÊpÊe. Cette froideur pour les seuls intÊrËts qui l'occupassent effraya Milady, dont les questions devinrent plus pressantes. Alors d'Artagnan, qui n'avait jamais sÊrieusement pensÊ Á ce duel impossible, voulut dÊtourner la conversation, mais il n'Êtait plus de force. Milady le contint dans les limites qu'elle avait tracÊes d'avance avec son esprit irrÊsistible et sa volontÊ de fer. D'Artagnan se crut fort spirituel en conseillant Á Milady de renoncer, en pardonnant Á de Wardes, aux projets furieux qu'elle avait formÊs. Mais aux premiers mots qu'il dit, la jeune femme tressaillit et s'Êloigna. " Auriez-vous peur, cher d'Artagnan ? dit-elle d'une voix aiguÌ et railleuse qui rÊsonna Êtrangement dans l'obscuritÊ. -- Vous ne le pensez pas, chÉre ×me ! rÊpondit d'Artagnan ; mais enfin, si ce pauvre comte de Wardes Êtait moins coupable que vous ne le pensez ? -- En tout cas, dit gravement Milady, il m'a trompÊe, et du moment oÝ il m'a trompÊe il a mÊritÊ la mort. -- Il mourra donc, puisque vous le condamnez ! " dit d'Artagnan d'un ton si ferme, qu'il parut Á Milady l'expression d'un dÊvouement Á toute Êpreuve. AussitÆt elle se rapprocha de lui. Nous ne pourrions dire le temps que dura la nuit pour Milady ; mais d'Artagnan croyait Ëtre prÉs d'elle depuis deux heures Á peine lorsque le jour parut aux fentes des jalousies et bientÆt envahit la chambre de sa lueur blafarde. Alors Milady, voyant que d'Artagnan allait la quitter, lui rappela la promesse qu'il lui avait faite de la venger de de Wardes. " Je suis tout prËt, dit d'Artagnan, mais auparavant je voudrais Ëtre certain d'une chose. -- De laquelle ? demanda Milady. -- C'est que vous m'aimez. -- Je vous en ai donnÊ la preuve, ce me semble. -- Oui, aussi je suis Á vous corps et ×me. -- Merci, mon brave amant ! mais de mËme que je vous ai prouvÊ mon amour, vous me prouverez le vÆtre Á votre tour, n'est-ce pas ? -- Certainement. Mais si vous m'aimez comme vous me le dites, reprit d'Artagnan, ne craignez-vous pas un peu pour moi ? -- Que puis-je craindre ? -- Mais enfin, que je sois blessÊ dangereusement, tuÊ mËme. -- Impossible, dit Milady, vous Ëtes un homme si vaillant et une si fine ÊpÊe. -- Vous ne prÊfÊreriez donc point, reprit d'Artagnan, un moyen qui vous vengerait de mËme tout en rendant inutile le combat. " Milady regarda son amant en silence : cette lueur blafarde des premiers rayons du jour donnait Á ses yeux clairs une expression Êtrangement funeste. " Vraiment, dit-elle, je crois que voilÁ que vous hÊsitez maintenant. -- Non, je n'hÊsite pas ; mais c'est que ce pauvre comte de Wardes me fait vraiment peine depuis que vous ne l'aimez plus, et il me semble qu'un homme doit Ëtre si cruellement puni par la perte seule de votre amour, qu'il n'a pas besoin d'autre ch×timent : -- Qui vous dit que je l'aie aimÊ ? demanda Milady. -- Au moins puis-je croire maintenant sans trop de fatuitÊ que vous en aimez un autre, dit le jeune homme d'un ton caressant, et je vous le rÊpÉte, je m'intÊresse au comte. -- Vous ? demanda Milady. -- Oui moi. -- Et pourquoi vous ? -- Parce que seul je sais... -- Quoi ? -- Qu'il est loin d'Ëtre ou plutÆt d'avoir ÊtÊ aussi coupable envers vous qu'il le paraÏt. -- En vÊritÊ ! dit Milady d'un air inquiet ; expliquez-vous, car je ne sais vraiment ce que vous voulez dire. " Et elle regardait d'Artagnan, qui la tenait embrassÊe, avec des yeux qui semblaient s'enflammer peu Á peu. " Oui, je suis galant homme, moi ! dit d'Artagnan dÊcidÊ Á en finir ; et depuis que votre amour est Á moi, que je suis bien sÙr de le possÊder, car je le possÉde, n'est-ce pas ?... -- Tout entier, continuez. -- Eh bien, je me sens comme transportÊ, un aveu me pÉse. -- Un aveu ? -- Si j'eusse doutÊ de votre amour je ne l'eusse pas fait ; mais vous m'aimez, ma belle maÏtresse ? n'est-ce pas, vous m'aimez ? -- Sans doute. -- Alors si par excÉs d'amour je me suis rendu coupable envers vous, vous me pardonnerez ? -- Peut-Ëtre ! " D'Artagnan essaya, avec le plus doux sourire qu'il pÙt prendre, de rapprocher ses lÉvres des lÉvres de Milady, mais celle-ci l'Êcarta. " Cet aveu, dit-elle en p×lissant, quel est cet aveu ? -- Vous aviez donnÊ rendez-vous Á de Wardes, jeudi dernier, dans cette mËme chambre, n'est-ce pas ? -- Moi, non ! cela n'est pas, dit Milady d'un ton de voix si ferme et d'un visage si impassible, que si d'Artagnan n'eÙt pas eu une certitude si parfaite, il eÙt doutÊ. -- Ne mentez pas, mon bel ange, dit d'Artagnan en souriant, ce serait inutile. -- Comment cela ? parlez donc ! vous me faites mourir ! -- Oh ! rassurez-vous, vous n'Ëtes point coupable envers moi, et je vous ai dÊjÁ pardonnÊ ! -- AprÉs, aprÉs ? -- De Wardes ne peut se glorifier de rien. -- Pourquoi ? Vous m'avez dit vous-mËme que cette bague... -- Cette bague, mon amour, c'est moi qui l'ai. Le comte de Wardes de jeudi et le d'Artagnan d'aujourd'hui sont la mËme personne. " L'imprudent s'attendait Á une surprise mËlÊe de pudeur, Á un petit orage qui se rÊsoudrait en larmes ; mais il se trompait Êtrangement, et son erreur ne fut pas longue. P×le et terrible, Milady se redressa, et, repoussant d'Artagnan d'un violent coup dans la poitrine, elle s'ÊlanÚa hors du lit. Il faisait alors presque grand jour. D'Artagnan la retint par son peignoir de fine toile des Indes pour implorer son pardon ; mais elle, d'un mouvement puissant et rÊsolu, elle essaya de fuir. Alors la batiste se dÊchira en laissant Á nu les Êpaules, et sur l'une de ces belles Êpaules rondes et blanches, d'Artagnan, avec un saisissement inexprimable, reconnut la fleur de lys, cette marque indÊlÊbile qu'imprime la main infamante du bourreau. " Grand Dieu ! " s'Êcria d'Artagnan en l×chant le peignoir. Et il demeura muet, immobile et glacÊ sur le lit. Mais Milady se sentait dÊnoncÊe par l'effroi mËme de d'Artagnan. Sans doute il avait tout vu : le jeune homme maintenant savait son secret, secret terrible, que tout le monde ignorait, exceptÊ lui. Elle se retourna, non plus comme une femme furieuse, mais comme une panthÉre blessÊe. " Ah ! misÊrable, dit-elle, tu m'as l×chement trahie, et de plus tu as mon secret ! Tu mourras ! " Et elle courut Á un coffret de marqueterie posÊ sur la toilette, l'ouvrit d'une main fiÊvreuse et tremblante, en tira un petit poignard Á manche d'or, Á la lame aiguÌ et mince, et revint d'un bond sur d'Artagnan Á demi nu. Quoique le jeune homme fÙt brave, on le sait, il fut ÊpouvantÊ de cette figure bouleversÊe, de ces pupilles dilatÊes horriblement, de ces joues p×les et de ces lÉvres sanglantes ; il recula jusqu'Á la ruelle, comme il eÙt fait Á l'approche d'un serpent qui eÙt rampÊ vers lui, et son ÊpÊe se rencontrant sous sa main souillÊe de sueur, il la tira du fourreau. Mais sans s'inquiÊter de l'ÊpÊe, Milady essaya de remonter sur le lit pour le frapper, et elle ne s'arrËta que lorsqu'elle sentit la pointe aiguÌ sur sa gorge. Alors elle essaya de saisir cette ÊpÊe avec les mains mais d'Artagnan l'Êcarta toujours de ses Êtreintes, et, la lui prÊsentant tantÆt aux yeux, tantÆt Á la poitrine, il se laissa glisser Á bas du lit, cherchant pour faire retraite la porte qui conduisait chez Ketty. Milady, pendant ce temps, se ruait sur lui avec d'horribles transports, rugissant d'une faÚon formidable. Cependant cela ressemblait Á un duel, aussi d'Artagnan se remettait petit Á petit. " Bien, belle dame, bien ! disait-il, mais, de par Dieu, calmez-vous, ou je vous dessine une seconde fleur de lis sur l'autre Êpaule. -- Inf×me ! inf×me ! " hurlait Milady. Mais d'Artagnan, cherchant toujours la porte, se tenait sur la dÊfensive. Au bruit qu'ils faisaient, elle renversant les meubles pour aller Á lui, lui s'abritant derriÉre les meubles pour se garantir d'elle, Ketty ouvrit la porte. D'Artagnan, qui avait sans cesse manoeuvrÊ pour se rapprocher de cette porte, n'en Êtait plus qu'Á trois pas. D'un seul Êlan il s'ÊlanÚa de la chambre de Milady dans celle de la suivante, et, rapide comme l'Êclair, il referma la porte, contre laquelle il s'appuya de tout son poids tandis que Ketty poussait les verrous. Alors Milady essaya de renverser l'arc-boutant qui l'enfermait dans sa chambre, avec des forces bien au-dessus de celles d'une femme ; puis, lorsqu'elle sentit que c'Êtait chose impossible, elle cribla la porte de coups de poignard, dont quelques-uns traversÉrent l'Êpaisseur du bois. Chaque coup Êtait accompagnÊ d'une imprÊcation terrible. " Vite, vite, Ketty, dit d'Artagnan Á demi-voix lorsque les verrous furent mis, fais-moi sortir de l'hÆtel, ou si nous lui laissons le temps de se retourner, elle me fera tuer par les laquais. -- Mais vous ne pouvez pas sortir ainsi, dit Ketty, vous Ëtes tout nu. -- C'est vrai, dit d'Artagnan, qui s'aperÚut alors seulement du costume dans lequel il se trouvait, c'est vrai ; habille-toi comme tu pourras, mais h×tons-nous ; comprends-tu, il y va de la vie et de la mort ! " Ketty ne comprenait que trop ; en un tour de main elle l'affubla d'une robe Á fleurs, d'une large coiffe et d'un mantelet ; elle lui donna des pantoufles, dans lesquelles il passa ses pieds nus, puis elle l'entraÏna par les degrÊs. Il Êtait temps, Milady avait dÊjÁ sonnÊ et rÊveillÊ tout l'hÆtel. Le portier tira le cordon Á la voix de Ketty au moment mËme oÝ Milady, Á demi nue de son cÆtÊ, criait par la fenËtre : " N'ouvrez pas ! " CHAPITRE XXXVIII. COMMENT, SANS SE DERANGER, ATHOS TROUVA SON EQUIPEMENT Le jeune homme s'enfuit tandis qu'elle le menaÚait encore d'un geste impuissant. Au moment oÝ elle le perdit de vue, Milady tomba Êvanouie dans sa chambre. D'Artagnan Êtait tellement bouleversÊ, que, sans s'inquiÊter de ce que deviendrait Ketty, il traversa la moitiÊ de Paris tout en courant, et ne s'arrËta que devant la porte d'Athos. L'Êgarement de son esprit, la terreur qui l'Êperonnait, les cris de quelques patrouilles qui se mirent Á sa poursuite, et les huÊes de quelques passants qui, malgrÊ l'heure peu avancÊe, se rendaient Á leurs affaires, ne firent que prÊcipiter sa course. Il traversa la cour, monta les deux Êtages d'Athos et frappa Á la porte Á tout rompre. Grimaud vint ouvrir les yeux bouffis de sommeil. D'Artagnan s'ÊlanÚa avec tant de force dans l'antichambre, qu'il faillit le culbuter en entrant. MalgrÊ le mutisme habituel du pauvre garÚon, cette fois la parole lui revint. " HÊ, lÁ, lÁ ! s'Êcria-t-il, que voulez-vous, coureuse ? que demandez- vous, drÆlesse ? " D'Artagnan releva ses coiffes et dÊgagea ses mains de dessous son mantelet ; Á la vue de ses moustaches et de son ÊpÊe nue, le pauvre diable s'aperÚut qu'il avait affaire Á un homme. Il crut alors que c'Êtait quelque assassin. " Au secours ! Á l'aide ! au secours ! s'Êcria-t-il. -- Tais-toi, malheureux ! dit le jeune homme, je suis d'Artagnan, ne me reconnais-tu pas ? OÝ est ton maÏtre ? -- Vous, Monsieur d'Artagnan ! s'Êcria Grimaud ÊpouvantÊ. Impossible. -- Grimaud, dit Athos sortant de son appartement en robe de chambre, je crois que vous vous permettez de parler. -- Ah ! Monsieur ! c'est que... -- Silence. " Grimaud se contenta de montrer du doigt d'Artagnan Á son maÏtre. Athos reconnut son camarade, et, tout flegmatique qu'il Êtait, il partit d'un Êclat de rire que motivait bien la mascarade Êtrange qu'il avait sous les yeux : coiffes de travers, jupes tombantes sur les souliers ; manches retroussÊes et moustaches raides d'Êmotion. " Ne riez pas, mon ami, s'Êcria d'Artagnan ; de par le Ciel ne riez pas, car, sur mon ×me, je vous le dis, il n'y a point de quoi rire. " Et il prononÚa ces mots d'un air si solennel et avec une Êpouvante si vraie qu'Athos lui prit aussitÆt les mains en s'Êcriant : " Seriez-vous blessÊ, mon ami ? vous Ëtes bien p×le ! -- Non, mais il vient de m'arriver un terrible ÊvÊnement. Etes-vous seul, Athos ? -- Pardieu ! qui voulez-vous donc qui soit chez moi Á cette heure ? -- Bien, bien. " Et d'Artagnan se prÊcipita dans la chambre d'Athos. " HÊ, parlez ! dit celui-ci en refermant la porte et en poussant les verrous pour n'Ëtre pas dÊrangÊs. Le roi est-il mort ? Avez-vous tuÊ M. le cardinal ? Vous Ëtes tout renversÊ ; voyons, voyons, dites, car je meurs vÊritablement d'inquiÊtude. -- Athos, dit d'Artagnan se dÊbarrassant de ses vËtements de femme et apparaissant en chemise, prÊparez-vous Á entendre une histoire incroyable, inouÐe. -- Prenez d'abord cette robe de chambre " , dit le mousquetaire Á son ami. D'Artagnan passa la robe de chambre, prenant une manche pour une autre tant il Êtait encore Êmu. " Eh bien ? dit Athos. -- Eh bien, rÊpondit d'Artagnan en se courbant vers l'oreille d'Athos et en baissant la voix, Milady est marquÊe d'une fleur de lys Á l'Êpaule. -- Ah ! cria le mousquetaire comme s'il eÙt reÚu une balle dans le coeur. -- Voyons, dit d'Artagnan, Ëtes-vous sÙr que l'autre soit bien morte ? -- L'autre ? dit Athos d'une voix si sourde, qu'Á peine si d'Artagnan l'entendit. -- Oui, celle dont vous m'avez parlÊ un jour Á Amiens. " Athos poussa un gÊmissement et laissa tomber sa tËte dans ses mains. " Celle-ci, continua d'Artagnan, est une femme de vingt-six Á vingt- huit ans. -- Blonde, dit Athos, n'est-ce pas ? -- Oui. -- Des yeux bleu clair, d'une clartÊ Êtrange, avec des cils et sourcils noirs ? -- Oui. -- Grande, bien faite ? Il lui manque une dent prÉs de l'oeillÉre gauche. -- Oui. -- La fleur de lys est petite, rousse de couleur et comme effacÊe par les couches de p×te qu'on y applique. -- Oui. -- Cependant vous dites qu'elle est Anglaise ! -- On l'appelle Milady, mais elle peut Ëtre FranÚaise. MalgrÊ cela, Lord de Winter n'est que son beau-frÉre. -- Je veux la voir, d'Artagnan. -- Prenez garde, Athos, prenez garde ; vous avez voulu la tuer, elle est femme Á vous rendre la pareille et Á ne pas vous manquer. -- Elle n'osera rien dire, car ce serait se dÊnoncer elle-mËme. -- Elle est capable de tout ! L'avez-vous jamais vue furieuse ? -- Non, dit Athos. -- Une tigresse, une panthÉre ! Ah ! mon cher Athos ! j'ai bien peur d'avoir attirÊ sur nous deux une vengeance terrible ! " D'Artagnan raconta tout alors : la colÉre insensÊe de Milady et ses menaces de mort. " Vous avez raison, et, sur mon ×me, je donnerais ma vie pour un cheveu, dit Athos. Heureusement, c'est aprÉs-demain que nous quittons Paris ; nous allons, selon toute probabilitÊ, Á La Rochelle, et une fois partis... -- Elle vous suivra jusqu'au bout du monde, Athos, si elle vous reconnaÏt ; laissez donc sa haine s'exercer sur moi seul. -- Ah ! mon cher ! que m'importe qu'elle me tue ! dit Athos ; est-ce que par hasard vous croyez que je tiens Á la vie ? -- Il y a quelque horrible mystÉre sous tout cela. , Athos ! cette femme est l'espion du cardinal, j'en suis sÙr ! -- En ce cas, prenez garde Á vous. Si le cardinal ne vous a pas dans une haute admiration pour l'affaire de Londres, il vous a en grande haine ; mais comme, au bout du compte, il ne peut rien vous reprocher ostensiblement, et qu'il faut que haine se satisfasse, surtout quand c'est une haine de cardinal, prenez garde Á vous ! Si vous sortez, ne sortez pas seul ; si vous mangez, prenez vos prÊcautions : mÊfiez-vous de tout enfin, mËme de votre ombre. -- Heureusement, dit d'Artagnan, qu'il s'agit seulement d'aller jusqu'Á aprÉs-demain soir sans encombre, car une fois Á l'armÊe nous n'aurons plus, je l'espÉre, que des hommes Á craindre. -- En attendant, dit Athos, je renonce Á mes projets de rÊclusion, et je vais partout avec vous : il faut que vous retourniez rue des Fossoyeurs, je vous accompagne. -- Mais si prÉs que ce soit d'ici, reprit d'Artagnan, je ne puis y retourner comme cela. -- C'est juste " , dit Athos. Et il tira la sonnette. Grimaud entra. Athos lui fit signe d'aller chez d'Artagnan, et d'en rapporter des habits. Grimaud rÊpondit par un autre signe qu'il comprenait parfaitement et partit. " Ah ÚÁ ! mais voilÁ qui ne nous avance pas pour l'Êquipement, cher ami, dit Athos ; car, si je ne m'abuse, vous avez laissÊ toute votre dÊfroque chez Milady, qui n'aura sans doute pas l'attention de vous la retourner. Heureusement que vous avez le saphir. -- Le saphir est Á vous, mon cher Athos ! Ne m'avez-vous pas dit que c'Êtait une bague de famille ? -- Oui, mon pÉre l'acheta deux mille Êcus, Á ce qu'il me dit autrefois ; il faisait partie des cadeaux de noce qu'il fit Á ma mÉre ; et il est magnifique. Ma mÉre me le donna, et moi, fou que j'Êtais, plutÆt que de garder cette bague comme une relique sainte, je la donnai Á mon tour Á cette misÊrable. -- Alors, mon cher, reprenez cette bague, Á laquelle je comprends que vous devez tenir. -- Moi, reprendre cette bague, aprÉs qu'elle a passÊ par les mains de l'inf×me ! jamais : cette bague est souillÊe, d'Artagnan. -- Vendez-la donc. -- Vendre un diamant qui vient de ma mÉre ! je vous avoue que je regarderais cela comme une profanation. -- Alors engagez-la, on vous prËtera bien dessus un millier d'Êcus. Avec cette somme vous serez au-dessus de vos affaires, puis, au premier argent qui vous rentrera, vous la dÊgagerez, et vous la reprendrez lavÊe de ses anciennes taches, car elle aura passÊ par les mains des usuriers. " Athos sourit. " Vous Ëtes un charmant compagnon, dit-il, mon cher d'Artagnan ; vous relevez par votre Êternelle gaietÊ les pauvres esprits dans l'affliction. Eh bien, oui, engageons cette bague, mais Á une condition ! -- Laquelle ? -- C'est qu'il y aura cinq cents Êcus pour vous et cinq cents Êcus pour moi. -- Y songez-vous, Athos ? Je n'ai pas besoin du quart de cette somme, moi qui suis dans les gardes, et en vendant ma selle je me la procurerai. Que me faut-il ? Un cheval pour Planchet, voilÁ tout. Puis vous oubliez que j'ai une bague aussi. -- A laquelle vous tenez encore plus, ce me semble, que je ne tiens, moi, Á la mienne ; du moins j'ai cru m'en apercevoir. -- Oui, car dans une circonstance extrËme elle peut nous tirer non seulement de quelque grand embarras, mais encore de quelque grand danger ; c'est non seulement un diamant prÊcieux, mais c'est encore un talisman enchantÊ. -- Je ne vous comprends pas, mais je crois Á ce que vous me dites. Revenons donc Á ma bague, ou plutÆt Á la vÆtre ; vous toucherez la moitiÊ de la somme qu'on nous donnera sur elle ou je la jette dans la Seine, et je doute que, comme Á Polycrate, quelque poisson soit assez complaisant pour nous la rapporter. -- Eh bien, donc, j'accepte ! " dit d'Artagnan. En ce moment Grimaud rentra accompagnÊ de Planchet ; celui-ci, inquiet de son maÏtre et curieux de savoir ce qui lui Êtait arrivÊ, avait profitÊ de la circonstance et apportait les habits lui-mËme. D'Artagnan s'habilla, Athos en fit autant : puis quand tous deux furent prËts Á sortir, ce dernier fit Á Grimaud le signe d'un homme qui met en joue ; celui-ci dÊcrocha aussitÆt son mousqueton et s'apprËta Á accompagner son maÏtre. Athos et d'Artagnan suivis de leurs valets arrivÉrent sans incident Á la rue des Fossoyeurs. Bonacieux Êtait sur la porte, il regarda d'Artagnan d'un air goguenard. " Eh, mon cher locataire ! dit-il, h×tez-vous donc, vous avez une belle jeune fille qui vous attend chez vous, et les femmes, vous le savez, n'aiment pas qu'on les fasse attendre ! -- C'est Ketty ! " s'Êcria d'Artagnan. Et il s'ÊlanÚa dans l'allÊe. Effectivement, sur le carrÊ conduisant Á sa chambre, et tapie contre sa porte, il trouva la pauvre enfant toute tremblante. DÉs qu'elle l'aperÚut : " Vous m'avez promis votre protection, vous m'avez promis de me sauver de sa colÉre, dit-elle ; souvenez-vous que c'est vous qui m'avez perdue ! -- Oui, sans doute, dit d'Artagnan, sois tranquille, Ketty. Mais qu'est-il arrivÊ aprÉs mon dÊpart ? -- Le sais-je ? dit Ketty. Aux cris qu'elle a poussÊs les laquais sont accourus, elle Êtait folle de colÉre ; tout ce qu'il existe d'imprÊcations elle les a vomies contre vous. Alors j'ai pensÊ qu'elle se rappellerait que c'Êtait par ma chambre que vous aviez pÊnÊtrÊ dans la sienne, et qu'alors elle songerait que j'Êtais votre complice ; j'ai pris le peu d'argent que j'avais, mes hardes les plus prÊcieuses, et je me suis sauvÊe. -- Pauvre enfant ! Mais que vais-je faire de toi ? Je pars aprÉs-demain. -- -- Tout ce que vous voudrez, Monsieur le chevalier, faites-moi quitter Paris, faites-moi quitter la France. -- Je ne puis cependant pas t'emmener avec moi au siÉge de La Rochelle, dit d'Artagnan. -- Non ; mais vous pouvez me placer en province, chez quelque dame de votre connaissance : dans votre pays, par exemple. -- Ah ! ma chÉre amie ! dans mon pays les dames n'ont point de femmes de chambre. Mais, attends, j'ai ton affaire. Planchet, va me chercher Aramis : qu'il vienne tout de suite. Nous avons quelque chose de trÉs important Á lui dire. -- Je comprends, dit Athos ; mais pourquoi pas Porthos ? Il me semble que sa marquise... -- La marquise de Porthos se fait habiller par les clercs de son mari, dit d'Artagnan en riant. D'ailleurs Ketty ne voudrait pas demeurer rue aux Ours, n'est-ce pas, Ketty ? -- Je demeurerai oÝ l'on voudra, dit Ketty, pourvu que je sois bien cachÊe et que l'on ne sache pas oÝ je suis. -- Maintenant, Ketty, que nous allons nous sÊparer, et par consÊquent que tu n'es plus jalouse de moi... -- Monsieur le chevalier, de loin ou de prÉs, dit Ketty, je vous aimerai toujours. " " OÝ diable la constance va-t-elle se nicher ? " murmura Athos. " Moi aussi, dit d'Artagnan, moi aussi, je t'aimerai toujours, sois tranquille. Mais voyons, rÊponds-moi. Maintenant j'attache une grande importance Á la question que je te fais : n'aurais-tu jamais entendu parler d'une jeune dame qu'on aurait enlevÊe pendant une nuit. -- Attendez donc... Oh ! mon Dieu ! Monsieur le chevalier, est-ce que vous aimez encore cette femme ? -- Non, c'est un de mes amis qui l'aime. Tiens, c'est Athos que voilÁ. -- Moi ! s'Êcria Athos avec un accent pareil Á celui d'un homme qui s'aperÚoit qu'il va marcher sur une couleuvre. -- Sans doute, vous ! fit d'Artagnan en serrant la main d'Athos. Vous savez bien l'intÊrËt que nous prenons tous Á cette pauvre petite Mme Bonacieux. D'ailleurs Ketty ne dira rien : n'est-ce pas, Ketty ? Tu comprends, mon enfant, continua d'Artagnan, c'est la femme de cet affreux magot que tu as vu sur le pas de la porte en entrant ici. -- Oh ! mon Dieu ! s'Êcria Ketty, vous me rappelez ma peur ; pourvu qu'il ne m'ait pas reconnue ! -- Comment, reconnue ! tu as donc dÊjÁ vu cet homme ? -- Il est venu deux fois chez Milady. -- C'est cela. Vers quelle Êpoque ? -- Mais il y a quinze ou dix-huit jours Á peu prÉs. -- Justement. -- Et hier soir il est revenu. -- Hier soir. -- Oui, un instant avant que vous vinssiez vous-mËme. -- Mon cher Athos, nous sommes enveloppÊs dans un rÊseau d'espions ! Et tu crois qu'il t'a reconnue, Ketty ? -- J'ai baissÊ ma coiffe en l'apercevant, mais peut-Ëtre Êtait-il trop tard. -- Descendez, Athos, vous dont il se mÊfie moins que de moi, et voyez s'il est toujours sur sa porte. " Athos descendit et remonta bientÆt. " Il est parti, dit-il, et la maison est fermÊe. -- Il est allÊ faire son rapport, et dire que tous les pigeons sont en ce moment au colombier. -- Eh bien, mais, envolons-nous, dit Athos, et ne laissons ici que Planchet pour nous rapporter les nouvelles. -- Un instant ! Et Aramis que nous avons envoyÊ chercher ! -- C'est juste, dit Athos, attendons Aramis. " En ce moment Aramis entra. On lui exposa l'affaire, et on lui dit comment il Êtait urgent que parmi toutes ses hautes connaissances il trouv×t une place Á Ketty. Aramis rÊflÊchit un instant, et dit en rougissant : " Cela vous rendra-t-il bien rÊellement service, d'Artagnan ? -- Je vous en serai reconnaissant toute ma vie. -- Eh bien, Mme de Bois-Tracy m'a demandÊ, pour une de ses amies qui habite la province, je crois, une femme de chambre sÙre ; et si vous pouvez, mon cher d'Artagnan, me rÊpondre de Mademoiselle... -- Oh ! Monsieur, s'Êcria Ketty, je serai toute dÊvouÊe, soyez-en certain, Á la personne qui me donnera les moyens de quitter Paris. -- Alors, dit Aramis, cela va pour le mieux. " Il se mit Á une table et Êcrivit un petit mot qu'il cacheta avec une bague, et donna le billet Á Ketty. " Maintenant, mon enfant, dit d'Artagnan, tu sais qu'il ne fait pas meilleur ici pour nous que pour toi. Ainsi sÊparons-nous. Nous nous retrouverons dans des jours meilleurs. -- Et dans quelque temps que nous nous retrouvions et dans quelque lieu que ce soit, dit Ketty, vous me retrouverez vous aimant encore comme je vous aime aujourd'hui. " " Serment de joueur " , dit Athos pendant que d'Artagnan allait reconduire Ketty sur l'escalier. Un instant aprÉs, les trois jeunes gens se sÊparÉrent en prenant rendez- vous Á quatre heures chez Athos et en laissant Planchet pour garder la maison. Aramis rentra chez lui, et Athos et d'Artagnan s'inquiÊtÉrent du placement du saphir. Comme l'avait prÊvu notre Gascon, on trouva facilement trois cents pistoles sur la bague. De plus, le juif annonÚa que si on voulait la lui vendre, comme elle lui ferait un pendant magnifique pour des boucles d'oreilles, il en donnerait jusqu'Á cinq cents pistoles. Athos et d'Artagnan, avec l'activitÊ de deux soldats et la science de deux connaisseurs, mirent trois heures Á peine Á acheter tout l'Êquipement du mousquetaire. D'ailleurs Athos Êtait de bonne composition et grand seigneur jusqu'au bout des ongles. Chaque fois qu'une chose lui convenait, il payait le prix demandÊ sans essayer mËme d'en rabattre. D'Artagnan voulait bien lÁ-dessus faire ses observations, mais Athos lui posait la main sur l'Êpaule en souriant, et d'Artagnan comprenait que c'Êtait bon pour lui, petit gentilhomme gascon, de marchander, mais non pour un homme qui avait les airs d'un prince. Le mousquetaire trouva un superbe cheval andalou, noir comme du jais, aux narines de feu, aux jambes fines et ÊlÊgantes, qui prenait six ans. Il l'examina et le trouva sans dÊfaut. On le lui fit mille livres. Peut- Ëtre l'eÙt-il eu pour moins ; mais tandis que d'Artagnan discutait sur le prix avec le maquignon, Athos comptait les cent pistoles sur la table. Grimaud eut un cheval picard, trapu et fort, qui coÙta trois cents livres. Mais la selle de ce dernier cheval et les armes de Grimaud achetÊes, il ne restait plus un sou des cent cinquante pistoles d'Athos. D'Artagnan offrit Á son ami de mordre une bouchÊe dans la part qui lui revenait, quitte Á lui rendre plus tard ce qu'il lui aurait empruntÊ. Mais Athos, pour toute rÊponse, se contenta de hausser les Êpaules. " Combien le juif donnait-il du saphir pour l'avoir en toute propriÊtÊ ? demanda Athos. -- Cinq cents pistoles. -- C'est-Á-dire, deux cents pistoles de plus ; cent pistoles pour vous, cent pistoles pour moi. Mais c'est une vÊritable fortune, cela, mon ami, retournez chez le juif. -- Comment, vous voulez... -- Cette bague, dÊcidÊment, me rappellerait de trop tristes souvenirs ; puis nous n'aurons jamais trois cents pistoles Á lui rendre, de sorte que nous perdrions deux mille livres Á ce marchÊ. Allez lui dire que la bague est Á lui, d'Artagnan, et revenez avec les deux cents pistoles. -- RÊflÊchissez, Athos. -- L'argent comptant est cher par le temps qui court, et il faut savoir faire des sacrifices. Allez, d'Artagnan, allez ; Grimaud vous accompagnera avec son mousqueton. " Une demi-heure aprÉs, d'Artagnan revint avec les deux mille livres et sans qu'il lui fÙt arrivÊ aucun accident. Ce fut ainsi qu'Athos trouva dans son mÊnage des ressources auxquelles il ne s'attendait pas. CHAPITRE XXXIX. UNE VISION A quatre heures, les quatre amis Êtaient donc rÊunis chez Athos. Leurs prÊoccupations sur l'Êquipement avaient tout Á fait disparu, et chaque visage ne conservait plus l'expression que de ses propres et secrÉtes inquiÊtudes ; car derriÉre tout bonheur prÊsent est cachÊe une crainte Á venir. Tout Á coup Planchet entra apportant deux lettres Á l'adresse de d'Artagnan. L'une Êtait un petit billet gentiment pliÊ en long avec un joli cachet de cire verte sur lequel Êtait empreinte une colombe rapportant un rameau vert. L'autre Êtait une grande ÊpÏtre carrÊe et resplendissante des armes terribles de Son Eminence le cardinal-duc. A la vue de la petite lettre, le coeur de d'Artagnan bondit, car il avait cru reconnaÏtre l'Êcriture ; et quoiqu'il n'eÙt vu cette Êcriture qu'une fois, la mÊmoire en Êtait restÊe au plus profond de son coeur. Il prit donc la petite ÊpÏtre et la dÊcacheta vivement. " Promenez-vous, lui disait-on, mercredi prochain, de six heures Á sept heures du soir, sur la route de Chaillot, et regardez avec soin dans les carrosses qui passeront, mais si vous tenez Á votre vie et Á celle des gens qui vous aiment, ne dites pas un mot, ne faites pas un mouvement qui puisse faire croire que vous avez reconnu celle qui s'expose Á tout pour vous apercevoir un instant. " Pas de signature. " C'est un piÉge, dit Athos, n'y allez pas, d'Artagnan. -- Cependant, dit d'Artagnan, il me semble bien reconnaÏtre l'Êcriture. -- Elle est peut-Ëtre contrefaite, reprit Athos ; Á six ou sept heures, dans ce temps-ci, la route de Chaillot est tout Á fait dÊserte : autant que vous alliez vous promener dans la forËt de Bondy. -- Mais si nous y allions tous ! dit d'Artagnan ; que diable ! on ne nous dÊvorera point tous les quatre ; plus, quatre laquais ; plus, les chevaux ; plus les armes. -- Puis ce sera une occasion de montrer nos Êquipages, dit Porthos. -- Mais si c'est une femme qui Êcrit, dit Aramis, et que cette femme dÊsire ne pas Ëtre vue, songez que vous la compromettez, d'Artagnan : ce qui est mal de la part d'un gentilhomme. -- Nous resterons en arriÉre, dit Porthos, et lui seul s'avancera. -- Oui, mais un coup de pistolet est bientÆt tirÊ d'un carrosse qui marche au galop. -- Bah ! dit d'Artagnan, on me manquera. Nous rejoindrons alors le carrosse, et nous exterminerons ceux qui se trouvent dedans. Ce sera toujours autant d'ennemis de moins. -- Il a raison, dit Porthos ; bataille ; il faut bien essayer nos armes d'ailleurs. -- Bah ! donnons-nous ce plaisir, dit Aramis de son air doux et nonchalant. -- Comme vous voudrez, dit Athos. -- Messieurs, dit d'Artagnan, il est quatre heures et demie, et nous avons le temps Á peine d'Ëtre Á six heures sur la route de Chaillot. -- Puis, si nous sortions trop tard, dit Porthos, on ne nous verrait pas, ce qui serait dommage. Allons donc nous apprËter, Messieurs. -- Mais cette seconde lettre, dit Athos, vous l'oubliez ; il me semble que le cachet indique cependant qu'elle mÊrite bien d'Ëtre ouverte : quant Á moi, je vous dÊclare, mon cher d'Artagnan, que je m'en soucie bien plus que du petit brimborion que vous venez tout doucement de glisser sur votre coeur. " D'Artagnan rougit. " Eh bien, dit le jeune homme, voyons, Messieurs, ce que me veut Son Eminence. " Et d'Artagnan dÊcacheta la lettre et lut : " M. d'Artagnan, garde du roi, compagnie des Essarts, est attendu au Palais-Cardinal ce soir Á huit heures. " LA HOUDINIERE, " Capitaine des gardes. " " Diable ! dit Athos, voici un rendez-vous bien autrement inquiÊtant que l'autre. -- J'irai au second en sortant du premier, dit d'Artagnan : l'un est pour sept heures, l'autre pour huit ; il y aura temps pour tout. -- Hum ! je n'irais pas, dit Aramis : un galant chevalier ne peut manquer Á un rendez-vous donnÊ par une dame ; mais un gentilhomme prudent peut s'excuser de ne pas se rendre chez Son Eminence, surtout lorsqu'il a quelque raison de croire que ce n'est pas pour y recevoir des compliments. -- Je suis de l'avis d'Aramis, dit Porthos. -- Messieurs, rÊpondit d'Artagnan, j'ai dÊjÁ reÚu par M. de Cavois pareille invitation de Son Eminence, je l'ai nÊgligÊe, et le lendemain il m'est arrivÊ un grand malheur ! Constance a disparu ; quelque chose qui puisse advenir, j'irai. -- Si c'est un parti pris, dit Athos, faites. -- Mais la Bastille ? dit Aramis. -- Bah ! vous m'en tirerez, reprit d'Artagnan. -- Sans doute, reprirent Aramis et Porthos avec un aplomb admirable et comme si c'Êtait la chose la plus simple, sans doute nous vous en tirerons ; mais, en attendant, comme nous devons partir aprÉs-demain, vous feriez mieux de ne pas risquer cette Bastille. -- Faisons mieux, dit Athos, ne le quittons pas de la soirÊe, attendons- le chacun Á une porte du palais avec trois mousquetaires derriÉre nous ; si nous voyons sortir quelque voiture Á portiÉre fermÊe et Á demi suspecte, nous tomberons dessus. Il y a longtemps que nous n'avons eu maille Á partir avec les gardes de M. le cardinal, et M. de TrÊville doit nous croire morts. -- DÊcidÊment, Athos, dit Aramis, vous Êtiez fait pour Ëtre gÊnÊral d'armÊe ; que dites-vous du plan, Messieurs ? -- Admirable ! rÊpÊtÉrent en choeur les jeunes gens. -- Eh bien, dit Porthos, je cours Á l'hÆtel, je prÊviens nos camarades de se tenir prËts pour huit heures, le rendez-vous sera sur la place du Palais-Cardinal ; vous, pendant ce temps, faites seller les chevaux par les laquais. -- Mais moi, je n'ai pas de cheval, dit d'Artagnan ; mais je vais en faire prendre un chez M. de TrÊville. -- C'est inutile, dit Aramis, vous prendrez un des miens. -- Combien en avez-vous donc ? demanda d'Artagnan. -- Trois, rÊpondit en souriant Aramis. -- Mon cher ! dit Athos, vous Ëtes certainement le poÉte le mieux montÊ de France et de Navarre. -- Ecoutez, mon cher Aramis, vous ne saurez que faire de trois chevaux, n'est-ce pas ? je ne comprends pas mËme que vous ayez achetÊ trois chevaux. -- Aussi, je n'en ai achetÊ que deux, dit Aramis. -- Le troisiÉme vous est donc tombÊ du ciel ? -- Non, le troisiÉme m'a ÊtÊ amenÊ ce matin mËme par un domestique sans livrÊe qui n'a pas voulu me dire Á qui il appartenait et qui m'a affirmÊ avoir reÚu l'ordre de son maÏtre... -- Ou de sa maÏtresse, interrompit d'Artagnan. -- La chose n'y fait rien, dit Aramis en rougissant... et qui m'a affirmÊ, dis-je, avoir reÚu l'ordre de sa maÏtresse de mettre ce cheval dans mon Êcurie sans me dire de quelle part il venait. -- Il n'y a qu'aux poÉtes que ces choses-lÁ arrivent, reprit gravement Athos. -- Eh bien, en ce cas, faisons mieux, dit d'Artagnan ; lequel des deux chevaux monterez-vous : celui que vous avez achetÊ, ou celui qu'on vous a donnÊ ? -- Celui que l'on m'a donnÊ sans contredit ; vous comprenez, d'Artagnan, que je ne puis faire cette injure... -- Au donateur inconnu, reprit d'Artagnan. -- Ou Á la donatrice mystÊrieuse, dit Athos. -- Celui que vous avez achetÊ vous devient donc inutile ? -- A peu prÉs. -- Et vous l'avez choisi vous-mËme ? -- Et avec le plus grand soin ; la sÙretÊ du cavalier, vous le savez, dÊpend presque toujours de son cheval ! -- Eh bien, cÊdez-le-moi pour le prix qu'il vous a coÙtÊ ! -- J'allais vous l'offrir, mon cher d'Artagnan, en vous donnant tout le temps qui vous sera nÊcessaire pour me rendre cette bagatelle. -- Et combien vous coÙte-t-il ? -- Huit cents livres. -- Voici quarante doubles pistoles, mon cher ami, dit d'Artagnan en tirant la somme de sa poche ; je sais que c'est la monnaie avec laquelle on vous paie vos poÉmes. -- Vous Ëtes donc en fonds ? dit Aramis. -- Riche, richissime, mon cher ! " Et d'Artagnan fit sonner dans sa poche le reste de ses pistoles. " Envoyez votre selle Á l'HÆtel des Mousquetaires, et l'on vous amÉnera votre cheval ici avec les nÆtres. -- TrÉs bien ; mais il est bientÆt cinq heures, h×tons-nous. " Un quart d'heure aprÉs, Porthos apparut Á un bout de la rue FÊrou sur un genet magnifique ; Mousqueton le suivait sur un cheval d'Auvergne, petit, mais solide. Porthos resplendissait de joie et d'orgueil. En mËme temps Aramis apparut Á l'autre bout de la rue montÊ sur un superbe coursier anglais ; Bazin le suivait sur un cheval rouan, tenant en laisse un vigoureux mecklembourgeois : c'Êtait la monture de d'Artagnan. Les deux mousquetaires se rencontrÉrent Á la porte : Athos et d'Artagnan les regardaient par la fenËtre. " Diable ! dit Aramis, vous avez lÁ un superbe cheval, mon cher Porthos. -- Oui, rÊpondit Porthos ; c'est celui qu'on devait m'envoyer tout d'abord : une mauvaise plaisanterie du mari lui a substituÊ l'autre ; mais le mari a ÊtÊ puni depuis et j'ai obtenu toute satisfaction. " Planchet et Grimaud parurent alors Á leur tour, tenant en main les montures de leurs maÏtres ; d'Artagnan et Athos descendirent, se mirent en selle prÉs de leurs compagnons, et tous quatre se mirent en marche : Athos sur le cheval qu'il devait Á sa femme, Aramis sur le cheval qu'il devait Á sa maÏtresse, Porthos sur le cheval qu'il devait Á sa procureuse, et d'Artagnan sur le cheval qu'il devait Á sa bonne fortune, la meilleure maÏtresse qui soit. Les valets suivirent. Comme l'avait pensÊ Porthos, la cavalcade fit bon effet ; et si Mme Coquenard s'Êtait trouvÊe sur le chemin de Porthos et eÙt pu voir quel grand air il avait sur son beau genet d'Espagne, elle n'aurait pas regrettÊ la saignÊe qu'elle avait faite au coffre-fort de son mari. PrÉs du Louvre les quatre amis rencontrÉrent M. de TrÊville qui revenait de Saint-Germain ; il les arrËta pour leur faire compliment sur leur Êquipage, ce qui en un instant amena autour d'eux quelques centaines de badauds. D'Artagnan profita de la circonstance pour parler Á M. de TrÊville de la lettre au grand cachet rouge et aux armes ducales ; il est bien entendu que de l'autre il n'en souffla point mot. M. de TrÊville approuva la rÊsolution qu'il avait prise, et l'assura que, si le lendemain il n'avait pas reparu, il saurait bien le retrouver, lui, partout oÝ il serait. En ce moment, l'horloge de la Samaritaine sonna six heures ; les quatre amis s'excusÉrent sur un rendez-vous, et prirent congÊ de M. de TrÊville. Un temps de galop les conduisit sur la route de Chaillot ; le jour commenÚait Á baisser, les voitures passaient et repassaient ; d'Artagnan, gardÊ Á quelques pas par ses amis, plongeait ses regards jusqu'au fond des carrosses, et n'y apercevait aucune figure de connaissance. Enfin, aprÉs, un quart d'heure d'attente et comme le crÊpuscule tombait tout Á fait, une voiture apparut, arrivant au grand galop par la route de SÉvres ; un pressentiment dit d'avance Á d'Artagnan que cette voiture renfermait la personne qui lui avait donnÊ rendez-vous : le jeune homme fut tout ÊtonnÊ lui-mËme de sentir son coeur battre si violemment. Presque aussitÆt une tËte de femme sortit par la portiÉre, deux doigts sur la bouche, comme pour recommander le silence, ou comme pour envoyer un baiser ; d'Artagnan poussa un lÊger cri de joie, cette femme, ou plutÆt cette apparition, car la voiture Êtait passÊe avec la rapiditÊ d'une vision, Êtait Mme Bonacieux. Par un mouvement involontaire, et malgrÊ la recommandation faite, d'Artagnan lanÚa son cheval au galop et en quelques bonds rejoignit la voiture ; mais la glace de la portiÉre Êtait hermÊtiquement fermÊe : la vision avait disparu. D'Artagnan se rappela alors cette recommandation : " Si vous tenez Á votre vie et Á celle des personnes qui vous aiment, demeurez immobile et comme si vous n'aviez rien vu. " Il s'arrËta donc, tremblant non pour lui, mais pour la pauvre femme qui Êvidemment s'Êtait exposÊe Á un grand pÊril en lui donnant ce rendez- vous. La voiture continua sa route toujours marchant Á fond de train, s'enfonÚa dans Paris et disparut. D'Artagnan Êtait restÊ interdit Á la mËme place et ne sachant que penser. Si c'Êtait Mme Bonacieux et si elle revenait Á Paris, pourquoi ce rendez-vous fugitif, pourquoi ce simple Êchange d'un coup d'oeil, pourquoi ce baiser perdu ? Si d'un autre cÆtÊ ce n'Êtait pas elle, ce qui Êtait encore bien possible, car le peu de jour qui restait rendait une erreur facile, si ce n'Êtait pas elle, ne serait-ce pas le commencement d'un coup de main montÊ contre lui avec l'app×t de cette femme pour laquelle on connaissait son amour ? Les trois compagnons se rapprochÉrent de lui. Tous trois avaient parfaitement vu une tËte de femme apparaÏtre Á la portiÉre, mais aucun d'eux, exceptÊ Athos, ne connaissait Mme Bonacieux. L'avis d'Athos, au reste, fut que c'Êtait bien elle ; mais moins prÊoccupÊ que d'Artagnan de ce joli visage, il avait cru voir une seconde tËte, une tËte d'homme au fond de la voiture. " S'il en est ainsi, dit d'Artagnan, ils la transportent sans doute d'une prison dans une autre. Mais que veulent-ils donc faire de cette pauvre crÊature, et comment la rejoindrai-je jamais ? -- Ami, dit gravement Athos, rappelez-vous que les morts sont les seuls qu'on ne soit pas exposÊ Á rencontrer sur la terre. Vous en savez quelque chose ainsi que moi, n'est-ce pas ? Or, si votre maÏtresse n'est pas morte, si c'est elle que nous venons de voir, vous la retrouverez un jour ou l'autre. Et peut-Ëtre, mon Dieu, ajouta-t-il avec un accent misanthropique qui lui Êtait propre, peut-Ëtre plus tÆt que vous ne voudrez. " Sept heures et demie sonnÉrent, la voiture Êtait en retard d'une vingtaine de minutes sur le rendez-vous donnÊ. Les amis de d'Artagnan lui rappelÉrent qu'il avait une visite Á faire, tout en lui faisant observer qu'il Êtait encore temps de s'en dÊdire. Mais d'Artagnan Êtait Á la fois entËtÊ et curieux. Il avait mis dans sa tËte qu'il irait au Palais-Cardinal, et qu'il saurait ce que voulait lui dire Son Eminence. Rien ne put le faire changer de rÊsolution. On arriva rue Saint-HonorÊ, et place du Palais-Cardinal on trouva les douze mousquetaires convoquÊs qui se promenaient en attendant leurs camarades. LÁ seulement, on leur expliqua ce dont il Êtait question. D'Artagnan Êtait fort connu dans l'honorable corps des mousquetaires du roi, oÝ l'on savait qu'il prendrait un jour sa place ; on le regardait donc d'avance comme un camarade. Il rÊsulta de ces antÊcÊdents que chacun accepta de grand coeur la mission pour laquelle il Êtait conviÊ ; d'ailleurs il s'agissait, selon toute probabilitÊ, de jouer un mauvais tour Á M. le cardinal et Á ses gens, et pour de pareilles expÊditions, ces dignes gentilshommes Êtaient toujours prËts. Athos les partagea donc en trois groupes, prit le commandement de l'un, donna le second Á Aramis et le troisiÉme Á Porthos, puis chaque groupe alla s'embusquer en face d'une sortie. D'Artagnan, de son cÆtÊ, entra bravement par la porte principale. Quoiqu'il se sentÏt vigoureusement appuyÊ, le jeune homme n'Êtait pas sans inquiÊtude en montant pas Á pas le grand escalier. Sa conduite avec Milady ressemblait tant soit peu Á une trahison, et il se doutait des relations politiques qui existaient entre cette femme et le cardinal ; de plus, de Wardes, qu'il avait si mal accommodÊ, Êtait des fidÉles de Son Eminence, et d'Artagnan savait que si Son Eminence Êtait terrible Á ses ennemis, elle Êtait fort attachÊe Á ses amis. " Si de Wardes a racontÊ toute notre affaire au cardinal, ce qui n'est pas douteux, et s'il m'a reconnu, ce qui est probable, je dois me regarder Á peu prÉs comme un homme condamnÊ, disait d'Artagnan en secouant la tËte. Mais pourquoi a-t-il attendu jusqu'aujourd'hui ? C'est tout simple, Milady aura portÊ plainte contre moi avec cette hypocrite douleur qui la rend si intÊressante, et ce dernier crime aura fait dÊborder le vase. " Heureusement, ajouta-t-il, mes bons amis sont en bas, et ils ne me laisseront pas emmener sans me dÊfendre. Cependant la compagnie des mousquetaires de M. de TrÊville ne peut pas faire Á elle seule la guerre au cardinal, qui dispose des forces de toute la France, et devant lequel la reine est sans pouvoir et le roi sans volontÊ. D'Artagnan, mon ami, tu es brave, tu as d'excellentes qualitÊs, mais les femmes te perdront ! " Il en Êtait Á cette triste conclusion lorsqu'il entra dans l'antichambre. Il remit sa lettre Á l'huissier de service qui le fit passer dans la salle d'attente et s'enfonÚa dans l'intÊrieur du palais. Dans cette salle d'attente Êtaient cinq ou six gardes de M. le cardinal, qui, reconnaissant d'Artagnan et sachant que c'Êtait lui qui avait blessÊ Jussac, le regardÉrent en souriant d'un singulier sourire. Ce sourire parut Á d'Artagnan d'un mauvais augure ; seulement, comme notre Gascon n'Êtait pas facile Á intimider, ou que plutÆt, gr×ce Á un grand orgueil naturel aux gens de son pays, il ne laissait pas voir facilement ce qui se passait dans son ×me, quand ce qui s'y passait ressemblait Á de la crainte, il se campa fiÉrement devant MM. les gardes et attendit la main sur la hanche, dans une attitude qui ne manquait pas de majestÊ. L'huissier rentra et fit signe Á d'Artagnan de le suivre. Il sembla au jeune homme que les gardes, en le regardant s'Êloigner, chuchotaient entre eux. Il suivit un corridor, traversa un grand salon, entra dans une bibliothÉque, et se trouva en face d'un homme assis devant un bureau et qui Êcrivait. L'huissier l'introduisit et se retira sans dire une parole. D'Artagnan crut d'abord qu'il avait affaire Á quelque juge examinant son dossier, mais il s'aperÚut que l'homme de bureau Êcrivait ou plutÆt corrigeait des lignes d'inÊgales longueurs, en scandant des mots sur ses doigts ; il vit qu'il Êtait en face d'un poÉte. Au bout d'un instant, le poÉte ferma son manuscrit sur la couverture duquel Êtait Êcrit : MIRAME, tragÊdie en cinq actes , et leva la tËte. D'Artagnan reconnut le cardinal. CHAPITRE XL. LE CARDINAL Le cardinal appuya son coude sur son manuscrit, sa joue sur sa main, et regarda un instant le jeune homme. Nul n'avait l'oeil plus profondÊment scrutateur que le cardinal de Richelieu, et d'Artagnan sentit ce regard courir par ses veines comme une fiÉvre. Cependant il fit bonne contenance, tenant son feutre Á la main, et attendant le bon plaisir de Son Eminence, sans trop d'orgueil, mais aussi sans trop d'humilitÊ. " Monsieur, lui dit le cardinal, Ëtes-vous un d'Artagnan du BÊarn ? -- Oui, Monseigneur, rÊpondit le jeune homme. -- Il y a plusieurs branches de d'Artagnan Á Tarbes et dans les environs, dit le cardinal, Á laquelle appartenez-vous ? -- Je suis le fils de celui qui a fait les guerres de religion avec le grand roi Henri, pÉre de Sa Gracieuse MajestÊ. -- C'est bien cela. C'est vous qui Ëtes parti, il y a sept Á huit mois Á peu prÉs, de votre pays, pour venir chercher fortune dans la capitale ? -- Oui, Monseigneur. -- Vous Ëtes venu par Meung, oÝ il vous est arrivÊ quelque chose, je ne sais plus trop quoi, mais enfin quelque chose. -- Monseigneur, dit d'Artagnan, voici ce qui m'est arrivÊ... -- Inutile, inutile, reprit le cardinal avec un sourire qui indiquait qu'il connaissait l'histoire aussi bien que celui qui voulait la lui raconter ; vous Êtiez recommandÊ Á M. de TrÊville, n'est-ce pas ? -- Oui, Monseigneur ; mais justement, dans cette malheureuse affaire de Meung... -- La lettre avait ÊtÊ perdue, reprit l'Eminence ; oui, je sais cela ; mais M. de TrÊville est un habile physionomiste qui connaÏt les hommes Á la premiÉre vue, et il vous a placÊ dans la compagnie de son beau-frÉre, M. des Essarts, en vous laissant espÊrer qu'un jour ou l'autre vous entreriez dans les mousquetaires. -- Monseigneur est parfaitement renseignÊ, dit d'Artagnan. -- Depuis ce temps-lÁ, il vous est arrivÊ bien des choses : vous vous Ëtes promenÊ derriÉre les Chartreux, un jour qu'il eÙt mieux valu que vous fussiez ailleurs ; puis, vous avez fait avec vos amis un voyage aux eaux de Forges ; eux se sont arrËtÊs en route ; mais vous, vous avez continuÊ votre chemin. C'est tout simple, vous aviez des affaires en Angleterre. -- Monseigneur, dit d'Artagnan tout interdit, j'allais... -- A la chasse, Á Windsor, ou ailleurs, cela ne regarde personne. Je sais cela, moi, parce que mon Êtat est de tout savoir. A votre retour, vous avez ÊtÊ reÚu par une auguste personne, et je vois avec plaisir que vous avez conservÊ le souvenir qu'elle vous a donnÊ. " -- D'Artagnan porta la main au diamant qu'il tenait de la reine, et en tourna vivement le chaton en dedans ; mais il Êtait trop tard. " Le lendemain de ce jour, vous avez reÚu la visite de Cavois, reprit le cardinal ; il allait vous prier de passer au palais ; cette visite vous ne la lui avez pas rendue, et vous avez eu tort. -- Monseigneur, je craignais d'avoir encouru la disgr×ce de Votre Eminence. -- Eh ! pourquoi cela, Monsieur ? pour avoir suivi les ordres de vos supÊrieurs avec plus d'intelligence et de courage que ne l'eÙt fait un autre, encourir ma disgr×ce quand vous mÊritiez des Êloges ! Ce sont les gens qui n'obÊissent pas que je punis, et non pas ceux qui, comme vous, obÊissent... trop bien... Et, la preuve, rappelez-vous la date du jour oÝ je vous avais fait dire de me venir voir, et cherchez dans votre mÊmoire ce qui est arrivÊ le soir mËme. " C'Êtait le soir mËme qu'avait eu lieu l'enlÉvement de Mme Bonacieux. D'Artagnan frissonna ; et il se rappela qu'une demi-heure auparavant la pauvre femme Êtait passÊe prÉs de lui, sans doute encore emportÊe par la mËme puissance qui l'avait fait disparaÏtre. " Enfin, continua le cardinal, comme je n'entendais pas parler de vous depuis quelque temps, j'ai voulu savoir ce que vous faisiez. D'ailleurs, vous me devez bien quelque remerciement -- : vous avez remarquÊ vous-mËme combien vous avez ÊtÊ mÊnagÊ dans toutes les circonstances. " D'Artagnan s'inclina avec respect. " Cela, continua le cardinal, partait non seulement d'un sentiment d'ÊquitÊ naturelle, mais encore d'un plan que je m'Êtais tracÊ Á votre Êgard. " D'Artagnan Êtait de plus en plus ÊtonnÊ. " Je voulais vous exposer ce plan le jour oÝ vous reÚÙtes ma premiÉre invitation ; mais vous n'Ëtes pas venu. Heureusement, rien n'est perdu pour ce retard, et aujourd'hui vous allez l'entendre. Asseyez-vous lÁ, devant moi, Monsieur d'Artagnan : vous Ëtes assez bon gentilhomme pour ne pas Êcouter debout. " Et le cardinal indiqua du doigt une chaise au jeune homme, qui Êtait si ÊtonnÊ de ce qui se passait, que, pour obÊir, il attendit un second signe de son interlocuteur. " Vous Ëtes brave, Monsieur d'Artagnan, continua l'Eminence ; vous Ëtes prudent, ce qui vaut mieux. J'aime les hommes de tËte et de coeur, moi ; ne vous effrayez pas, dit-il en souriant, par les hommes de coeur, j'entends les hommes de courage ; mais, tout jeune que vous Ëtes, et Á peine entrant dans le monde, vous avez des ennemis puissants : si vous n'y prenez garde, ils vous perdront ! -- HÊlas ! Monseigneur, rÊpondit le jeune homme, ils le feront bien facilement, sans doute ; car ils sont forts et bien appuyÊs, tandis que moi je suis seul ! -- Oui, c'est vrai ; mais, tout seul que vous Ëtes, vous avez dÊjÁ fait beaucoup, et vous ferez encore plus, je n'en doute pas. Cependant, vous avez, je le crois, besoin d'Ëtre guidÊ dans l'aventureuse carriÉre que vous avez entreprise ; car, si je ne me trompe, vous Ëtes venu Á Paris avec l'ambitieuse idÊe de faire fortune. -- Je suis dans l'×ge des folles espÊrances, Monseigneur, dit d'Artagnan. -- Il n'y a de folles espÊrances que pour les sots, Monsieur, et vous Ëtes homme d'esprit. Voyons, que diriez-vous d'une enseigne dans mes gardes, et d'une compagnie aprÉs la campagne ? -- Ah ! Monseigneur ! -- Vous acceptez, n'est-ce pas ? -- Monseigneur, reprit d'Artagnan d'un air embarrassÊ. -- Comment, vous refusez ? s'Êcria le cardinal avec Êtonnement. -- Je suis dans les gardes de Sa MajestÊ, Monseigneur, et je n'ai point de raisons d'Ëtre mÊcontent. -- Mais il me semble, dit l'Eminence, que mes gardes, Á moi, sont aussi les gardes de Sa MajestÊ, et que, pourvu qu'on serve dans un corps franÚais, on sert le roi. -- Monseigneur, Votre Eminence a mal compris mes paroles. -- Vous voulez un prÊtexte, n'est-ce pas ? Je comprends. Eh bien, ce prÊtexte, vous l'avez. L'avancement, la campagne qui s'ouvre, l'occasion que je vous offre, voilÁ pour le monde ; pour vous, le besoin de protections sÙres ; car il est bon que vous sachiez, Monsieur d'Artagnan, que j'ai reÚu des plaintes graves contre vous, vous ne consacrez pas exclusivement vos jours et vos nuits au service du roi. " D'Artagnan rougit. " Au reste, continua le cardinal en posant la main sur une liasse de papiers, j'ai lÁ tout un dossier qui vous concerne ; mais avant de le lire, j'ai voulu causer avec vous. Je vous sais homme de rÊsolution, et vos services bien dirigÊs, au lieu de vous mener Á mal, pourraient vous rapporter beaucoup. Allons, rÊflÊchissez, et dÊcidez-vous. -- Votre bontÊ me confond, Monseigneur, rÊpondit d'Artagnan, et je reconnais dans Votre Eminence une grandeur d'×me qui me fait petit comme un ver de terre ; mais enfin, puisque Monseigneur me permet de lui parler franchement... " D'Artagnan s'arrËta. " Oui, parlez. -- Eh bien, je dirai Á Votre Eminence que tous mes amis sont aux mousquetaires et aux gardes du roi, et que mes ennemis, par une fatalitÊ inconcevable, sont Á Votre Eminence ; je serais donc mal venu ici et mal regardÊ lÁ-bas, si j'acceptais ce que m'offre Monseigneur. -- Auriez-vous dÊjÁ cette orgueilleuse idÊe que je ne vous offre pas ce que vous valez, Monsieur ? dit le cardinal avec un sourire de dÊdain. -- Monseigneur, Votre Eminence est cent fois trop bonne pour moi, et au contraire je pense n'avoir point encore fait assez pour Ëtre digne de ses bontÊs. Le siÉge de La Rochelle va s'ouvrir, Monseigneur ; je servirai sous les yeux de Votre Eminence, et si j'ai le bonheur de me conduire Á ce siÉge de telle faÚon que je mÊrite d'attirer ses regards, Eh bien, aprÉs j'aurai au moins derriÉre moi quelque action d'Êclat pour justifier la protection dont elle voudra bien m'honorer. Toute chose doit se faire Á son temps, Monseigneur ; peut-Ëtre plus tard aurai-je le droit de me donner, Á cette heure j'aurais l'air de me vendre. -- C'est-Á-dire que vous refusez de me servir, Monsieur, dit le cardinal avec un ton de dÊpit dans lequel perÚait cependant une sorte d'estime ; demeurez donc libre et gardez vos haines et vos sympathies. -- Monseigneur... -- Bien, bien, dit le cardinal, je ne vous en veux pas, mais vous comprenez, on a assez de dÊfendre ses amis et de les rÊcompenser, on ne doit rien Á ses ennemis, et cependant je vous donnerai un conseil : tenez-vous bien, Monsieur d'Artagnan, car, du moment que j'aurai retirÊ ma main de dessus vous, je n'achÉterai pas votre vie pour une obole. -- J'y t×cherai, Monseigneur, rÊpondit le Gascon avec une noble assurance. -- Songez plus tard, et Á un certain moment, s'il vous arrive malheur, dit Richelieu avec intention, que c'est moi qui ai ÊtÊ vous chercher, et que j'ai fait ce que j'ai pu pour que ce malheur ne vous arriv×t pas. -- J'aurai, quoi qu'il arrive, dit d'Artagnan en mettant la main sur sa poitrine et en s'inclinant, une Êternelle reconnaissance Á Votre Eminence de ce qu'elle fait pour moi en ce moment. -- Eh bien donc ! comme vous l'avez dit, Monsieur d'Artagnan, nous nous reverrons aprÉs la campagne ; je vous suivrai des yeux ; car je serai lÁ-bas, reprit le cardinal en montrant du doigt Á d'Artagnan une magnifique armure qu'il devait endosser, et Á notre retour, Eh bien, nous compterons ! -- Ah ! Monseigneur, s'Êcria d'Artagnan, Êpargnez-moi le poids de votre disgr×ce ; restez neutre, Monseigneur, si vous trouvez que j'agis en galant homme. -- Jeune homme, dit Richelieu, si je puis vous dire encore une fois ce que je vous ai dit aujourd'hui, je vous promets de vous le dire. " Cette derniÉre parole de Richelieu exprimait un doute terrible ; elle consterna d'Artagnan plus que n'eÙt fait une menace, car c'Êtait un avertissement. Le cardinal cherchait donc Á le prÊserver de quelque malheur qui le menaÚait. Il ouvrit la bouche pour rÊpondre, mais d'un geste hautain, le cardinal le congÊdia. D'Artagnan sortit ; mais Á la porte le coeur fut prËt Á lui manquer, et peu s'en fallut qu'il ne rentr×t. Cependant la figure grave et sÊvÉre d'Athos lui apparut : s'il faisait avec le cardinal le pacte que celui-ci lui proposait, Athos ne lui donnerait plus la main, Athos le renierait. Ce fut cette crainte qui le retint, tant est puissante l'influence d'un caractÉre vraiment grand sur tout ce qui l'entoure. D'Artagnan descendit par le mËme escalier qu'il Êtait entrÊ, et trouva devant la porte Athos et les quatre mousquetaires qui attendaient son retour et qui commenÚaient Á s'inquiÊter. D'un mot d'Artagnan les rassura, et Planchet courut prÊvenir les autres postes qu'il Êtait inutile de monter une plus longue garde, attendu que son maÏtre Êtait sorti sain et sauf du Palais-Cardinal. RentrÊs chez Athos, Aramis et Porthos s'informÉrent des causes de cet Êtrange rendez-vous ; mais d'Artagnan se contenta de leur dire que M. de Richelieu l'avait fait venir pour lui proposer d'entrer dans ses gardes avec le grade d'enseigne, et qu'il avait refusÊ. " Et vous avez eu raison " , s'ÊcriÉrent d'une seule voix Porthos et Aramis. Athos tomba dans une profonde rËverie et ne rÊpondit rien. Mais lorsqu'il fut seul avec d'Artagnan : " Vous avez fait ce que vous deviez faire, d'Artagnan, dit Athos, mais peut-Ëtre avez-vous eu tort. " D'Artagnan poussa un soupir ; car cette voix rÊpondait Á une voix secrÉte de son ×me, qui lui disait que de grands malheurs l'attendaient. La journÊe du lendemain se passa en prÊparatifs de dÊpart ; d'Artagnan alla faire ses adieux Á M. de TrÊville. A cette heure on croyait encore que la sÊparation des gardes et des mousquetaires serait momentanÊe, le roi tenant son parlement le jour mËme et devant partir le lendemain. M. de TrÊville se contenta donc de demander Á d'Artagnan s'il avait besoin de lui, mais d'Artagnan rÊpondit fiÉrement qu'il avait tout ce qu'il lui fallait. La nuit rÊunit tous les camarades de la compagnie des gardes de M. des Essarts et de la compagnie des mousquetaires de M. de TrÊville, qui avaient fait amitiÊ ensemble. On se quittait pour se revoir quand il plairait Á Dieu et s'il plaisait Á Dieu. La nuit fut donc des plus bruyantes, comme on peut le penser, car, en pareil cas, on ne peut combattre l'extrËme prÊoccupation que par l'extrËme insouciance. Le lendemain, au premier son des trompettes, les amis se quittÉrent : les mousquetaires coururent Á l'hÆtel de M. de TrÊville, les gardes Á celui de M. des Essarts. Chacun des capitaines conduisit aussitÆt sa compagnie au Louvre, oÝ le roi passait sa revue. Le roi Êtait triste et paraissait malade, ce qui lui Ætait un peu de sa haute mine. En effet, la veille, la fiÉvre l'avait pris au milieu du parlement et tandis qu'il tenait son lit de justice. Il n'en Êtait pas moins dÊcidÊ Á partir le soir mËme ; et, malgrÊ les observations qu'on lui avait faites, il avait voulu passer sa revue, espÊrant, par le premier coup de vigueur, vaincre la maladie qui commenÚait Á s'emparer de lui. La revue passÊe, les gardes se mirent seuls en marche, les mousquetaires ne devant partir qu'avec le roi, ce qui permit Á Porthos d'aller faire, dans son superbe Êquipage, un tour dans la rue aux Ours. La procureuse le vit passer dans son uniforme neuf et sur son beau cheval. Elle aimait trop Porthos pour le laisser partir ainsi ; elle lui fit signe de descendre et de venir auprÉs d'elle. Porthos Êtait magnifique ; ses Êperons rÊsonnaient, sa cuirasse brillait, son ÊpÊe lui battait fiÉrement les jambes. Cette fois les clercs n'eurent aucune envie de rire, tant Porthos avait l'air d'un coupeur d'oreilles. Le mousquetaire fut introduit prÉs de M. Coquenard, dont le petit oeil gris brilla de colÉre en voyant son cousin tout flambant neuf. Cependant une chose le consola intÊrieurement ; c'est qu'on disait partout que la campagne serait rude : il espÊrait tout doucement, au fond du coeur, que Porthos y serait tuÊ. Porthos prÊsenta ses compliments Á maÏtre Coquenard et lui fit ses adieux ; maÏtre Coquenard lui souhaita toutes sortes de prospÊritÊs. Quant Á Mme Coquenard, elle ne pouvait retenir ses larmes ; mais on ne tira aucune mauvaise consÊquence de sa douleur, on la savait fort attachÊe Á ses parents, pour lesquels elle avait toujours eu de cruelles disputes avec son mari. Mais les vÊritables adieux se firent dans la chambre de Mme Coquenard : ils furent dÊchirants. Tant que la procureuse put suivre des yeux son amant, elle agita un mouchoir en se penchant hors de la fenËtre, Á croire qu'elle voulait se prÊcipiter. Porthos reÚut toutes ces marques de tendresse en homme habituÊ Á de pareilles dÊmonstrations. Seulement, en tournant le coin de la rue, il souleva son feutre et l'agita en signe d'adieu. De son cÆtÊ, Aramis Êcrivait une longue lettre. A qui ? Personne n'en savait rien. Dans la chambre voisine, Ketty, qui devait partir le soir mËme pour Tours, attendait cette lettre mystÊrieuse. Athos buvait Á petits coups la derniÉre bouteille de son vin d'Espagne. Pendant ce temps, d'Artagnan dÊfilait avec sa compagnie. En arrivant au faubourg Saint-Antoine, il se retourna pour regarder gaiement la Bastille ; mais, comme c'Êtait la Bastille seulement qu'il regardait, il ne vit point Milady, qui, montÊe sur un cheval isabelle, le dÊsignait du doigt Á deux hommes de mauvaise mine qui s'approchÉrent aussitÆt des rangs pour le reconnaÏtre. Sur une interrogation qu'ils firent du regard, Milady rÊpondit par un signe que c'Êtait bien lui. Puis, certaine qu'il ne pouvait plus y avoir de mÊprise dans l'exÊcution de ses ordres, elle piqua son cheval et disparut. Les deux hommes suivirent alors la compagnie, et, Á la sortie du faubourg Saint-Antoine, montÉrent sur des chevaux tout prÊparÊs qu'un domestique sans livrÊe tenait en main en les attendant. CHAPITRE XLI. LE SIEGE DE LA ROCHELLE Le siÉge de La Rochelle fut un des grands ÊvÊnements politiques du rÉgne de Louis XIII, et une des grandes entreprises militaires du cardinal. Il est donc intÊressant, et mËme nÊcessaire, que nous en disions quelques mots ; plusieurs dÊtails de ce siÉge se liant d'ailleurs d'une maniÉre trop importante Á l'histoire que nous avons entrepris de raconter, pour que nous les passions sous silence. Les vues politiques du cardinal, lorsqu'il entreprit ce siÉge, Êtaient considÊrables. Exposons-les d'abord, puis nous passerons aux vues particuliÉres qui n'eurent peut-Ëtre pas sur Son Eminence moins d'influence que les premiÉres. Des villes importantes donnÊes par Henri IV aux huguenots comme places de sÙretÊ, il ne restait plus que La Rochelle. Il s'agissait donc de dÊtruire ce dernier boulevard du calvinisme, levain dangereux, auquel se venaient incessamment mËler des ferments de rÊvolte civile ou de guerre ÊtrangÉre. Espagnols, Anglais, Italiens mÊcontents, aventuriers de toute nation, soldats de fortune de toute secte accouraient au premier appel sous les drapeaux des protestants et s'organisaient comme une vaste association dont les branches divergeaient Á loisir sur tous les points de l'Europe. La Rochelle, qui avait pris une nouvelle importance de la ruine des autres villes calvinistes, Êtait donc le foyer des dissensions et des ambitions. Il y avait plus, son port Êtait la derniÉre porte ouverte aux Anglais dans le royaume de France ; et en la fermant Á l'Angleterre, notre Êternelle ennemie, le cardinal achevait l'oeuvre de Jeanne d'Arc et du duc de Guise. Aussi Bassompierre, qui Êtait Á la fois protestant et catholique, protestant de conviction et catholique comme commandeur du Saint- Esprit ; Bassompierre, qui Êtait Allemand de naissance et FranÚais de coeur ; Bassompierre, enfin, qui avait un commandement particulier au siÉge de La Rochelle, disait-il, en chargeant Á la tËte de plusieurs autres seigneurs protestants comme lui : " Vous verrez, Messieurs, que nous serons assez bËtes pour prendre La Rochelle ! " Et Bassompierre avait raison : la canonnade de l'Ïle de RÊ lui prÊsageait les dragonnades des CÊvennes ; la prise de La Rochelle Êtait la prÊface de la rÊvocation de l'Êdit de Nantes. Mais nous l'avons dit, Á cÆtÊ de ces vues du ministre niveleur et simplificateur, et qui appartiennent Á l'histoire, le chroniqueur est bien forcÊ de reconnaÏtre les petites visÊes de l'homme amoureux et du rival jaloux. Richelieu, comme chacun sait, avait ÊtÊ amoureux de la reine ; cet amour avait-il chez lui un simple but politique ou Êtait-ce tout naturellement une de ces profondes passions comme en inspira Anne d'Autriche Á ceux qui l'entouraient, c'est ce que nous ne saurions dire ; mais en tout cas on a vu, par les dÊveloppements antÊrieurs de cette histoire, que Buckingham l'avait emportÊ sur lui, et que, dans deux ou trois circonstances et particuliÉrement dans celles des ferrets, il l'avait, gr×ce au dÊvouement des trois mousquetaires et au courage de d'Artagnan, cruellement mystifiÊ. Il s'agissait donc pour Richelieu, non seulement de dÊbarrasser la France d'un ennemi, mais de se venger d'un rival ; au reste, la vengeance devait Ëtre grande et Êclatante, et digne en tout d'un homme qui tient dans sa main, pour ÊpÊe de combat, les forces de tout un royaume. Richelieu savait qu'en combattant l'Angleterre il combattait Buckingham, qu'en triomphant de l'Angleterre il triomphait de Buckingham, enfin qu'en humiliant l'Angleterre aux yeux de l'Europe il humiliait Buckingham aux yeux de la reine. De son cÆtÊ Buckingham, tout en mettant en avant l'honneur de l'Angleterre, Êtait mÙ par des intÊrËts absolument semblables Á ceux du cardinal ; Buckingham aussi poursuivait une vengeance particuliÉre : sous aucun prÊtexte, Buckingham n'avait pu rentrer en France comme ambassadeur, il voulait y rentrer comme conquÊrant. Il en rÊsulte que le vÊritable enjeu de cette partie, que les deux plus puissants royaumes jouaient pour le bon plaisir de deux hommes amoureux, Êtait un simple regard d'Anne d'Autriche. Le premier avantage avait ÊtÊ au duc de Buckingham : arrivÊ inopinÊment en vue de l'Ïle de RÊ avec quatre-vingt-dix vaisseaux et vingt mille hommes Á peu prÉs, il avait surpris le comte de Toiras, qui commandait pour le roi dans l'Ïle ; il avait, aprÉs un combat sanglant, opÊrÊ son dÊbarquement. Relatons en passant que dans ce combat avait pÊri le baron de Chantal ; le baron de Chantal laissait orpheline une petite fille de dix-huit mois. Cette petite fille fut depuis Mme de SÊvignÊ. Le comte de Toiras se retira dans la citadelle Saint-Martin avec la garnison, et jeta une centaine d'hommes dans un petit fort qu'on appelait le fort de La PrÊe. Cet ÊvÊnement avait h×tÊ les rÊsolutions du cardinal ; et en attendant que le roi et lui pussent aller prendre le commandement du siÉge de La Rochelle, qui Êtait rÊsolu, il avait fait partir Monsieur pour diriger les premiÉres opÊrations, et avait fait filer vers le thÊ×tre de la guerre toutes les troupes dont il avait pu disposer. C'Êtait de ce dÊtachement envoyÊ en avant-garde que faisait partie notre ami d'Artagnan. Le roi, comme nous l'avons dit, devait suivre, aussitÆt son lit de justice tenu ; mais en se levant de ce lit de justice, le 28 juin, il s'Êtait senti pris par la fiÉvre ; il n'en avait pas moins voulu partir, mais, son Êtat empirant, il avait ÊtÊ forcÊ de s'arrËter Á Villeroi. Or, oÝ s'arrËtait le roi s'arrËtaient les mousquetaires ; il en rÊsultait que d'Artagnan, qui Êtait purement et simplement dans les gardes, se trouvait sÊparÊ, momentanÊment du moins, de ses bons amis Athos, Porthos et Aramis ; cette sÊparation, qui n'Êtait pour lui qu'une contrariÊtÊ, fÙt certes devenue une inquiÊtude sÊrieuse s'il eÙt pu deviner de quels dangers inconnus il Êtait entourÊ. Il n'en arriva pas moins sans accident au camp Êtabli devant La Rochelle, vers le 10 du mois de septembre de l'annÊe 1627. Tout Êtait dans le mËme Êtat : le duc de Buckingham et ses Anglais, maÏtres de l'Ïle de RÊ, continuaient d'assiÊger, mais sans succÉs, la citadelle de Saint-Martin et le fort de La PrÊe, et les hostilitÊs avec La Rochelle Êtaient commencÊes depuis deux ou trois jours Á propos d'un fort que le duc d'AngoulËme venait de faire construire prÉs de la ville. Les gardes, sous le commandement de M. des Essarts, avaient leur logement aux Minimes. Mais, nous le savons, d'Artagnan, prÊoccupÊ de l'ambition de passer aux mousquetaires, avait rarement fait amitiÊ avec ses camarades ; il se trouvait donc isolÊ et livrÊ Á ses propres rÊflexions. Ses rÊflexions n'Êtaient pas riantes : depuis un an qu'il Êtait arrivÊ Á Paris, il s'Êtait mËlÊ aux affaires publiques ; ses affaires privÊes n'avaient pas fait grand chemin comme amour et comme fortune. Comme amour, la seule femme qu'il eÙt aimÊe Êtait Mme Bonacieux, et Mme Bonacieux avait disparu sans qu'il pÙt dÊcouvrir encore ce qu'elle Êtait devenue. Comme fortune, il s'Êtait fait, lui chÊtif, ennemi du cardinal, c'est-Á-dire d'un homme devant lequel tremblaient les plus grands du royaume, Á commencer par le roi. Cet homme pouvait l'Êcraser, et cependant il ne l'avait pas fait : pour un esprit aussi perspicace que l'Êtait d'Artagnan, cette indulgence Êtait un jour par lequel il voyait dans un meilleur avenir. Puis, il s'Êtait fait encore un autre ennemi moins Á craindre, pensait-il, mais que cependant il sentait instinctivement n'Ëtre pas Á mÊpriser : cet ennemi, c'Êtait Milady. En Êchange de tout cela il avait acquis la protection et la bienveillance de la reine, mais la bienveillance de la reine Êtait, par le temps qui courait, une cause de plus de persÊcution ; et sa protection, on le sait, protÊgeait fort mal : tÊmoins Chalais et Mme Bonacieux. Ce qu'il avait donc gagnÊ de plus clair dans tout cela, c'Êtait le diamant de cinq ou six mille livres qu'il portait au doigt ; et encore ce diamant, en supposant que d'Artagnan, dans ses projets d'ambition, voulÙt le garder pour s'en faire un jour un signe de reconnaissance prÉs de la reine, n'avait en attendant, puisqu'il ne pouvait s'en dÊfaire, pas plus de valeur que les cailloux qu'il foulait Á ses pieds. Nous disons " que les cailloux qu'il foulait Á ses pieds " , car d'Artagnan faisait ces rÊflexions en se promenant solitairement sur un joli petit chemin qui conduisait du camp au village d'Angoutin ; or ces rÊflexions l'avaient conduit plus loin qu'il ne croyait, et le jour commenÚait Á baisser, lorsqu'au dernier rayon du soleil couchant il lui sembla voir briller derriÉre une haie le canon d'un mousquet. D'Artagnan avait l'oeil vif et l'esprit prompt, il comprit que le mousquet n'Êtait pas venu lÁ tout seul et que celui qui le portait ne s'Êtait pas cachÊ derriÉre une haie dans des intentions amicales. Il rÊsolut donc de gagner au large, lorsque de l'autre cÆtÊ de la route, derriÉre un rocher, il aperÚut l'extrÊmitÊ d'un second mousquet. C'Êtait Êvidemment une embuscade. Le jeune homme jeta un coup d'oeil sur le premier mousquet et vit avec une certaine inquiÊtude qu'il s'abaissait dans sa direction, mais aussitÆt qu'il vit l'orifice du canon immobile il se jeta ventre Á terre. En mËme temps le coup partit, il entendit le sifflement d'une balle qui passait au-dessus de sa tËte. Il n'y avait pas de temps Á perdre, d'Artagnan se redressa d'un bond, et au mËme moment la balle de l'autre mousquet fit voler les cailloux Á l'endroit mËme du chemin oÝ il s'Êtait jetÊ la face contre terre. D'Artagnan n'Êtait pas un de ces hommes inutilement braves qui cherchent une mort ridicule pour qu'on dise d'eux qu'ils n'ont pas reculÊ d'un pas, d'ailleurs il ne s'agissait plus de courage ici, d'Artagnan Êtait tombÊ dans un guet-apens. " S'il y a un troisiÉme coup, se dit-il, je suis un homme perdu ! " Et aussitÆt prenant ses jambes Á son cou, il s'enfuit dans la direction du camp, avec la vitesse des gens de son pays si renommÊs pour leur agilitÊ ; mais, quelle que fÙt la rapiditÊ de sa course, le premier qui avait tirÊ, ayant eu le temps de recharger son arme, lui tira un second coup si bien ajustÊ, cette fois, que la balle traversa son feutre et le fit voler Á dix pas de lui. Cependant, comme d'Artagnan n'avait pas d'autre chapeau, il ramassa le sien tout en courant, arriva fort essoufflÊ et fort p×le, dans son logis, s'assit sans rien dire Á personne et se mit Á rÊflÊchir. Cet ÊvÊnement pouvait avoir trois causes : La premiÉre et la plus naturelle pouvait Ëtre une embuscade des Rochelois, qui n'eussent pas ÊtÊ f×chÊs de tuer un des gardes de Sa MajestÊ, d'abord parce que c'Êtait un ennemi de moins, et que cet ennemi pouvait avoir une bourse bien garnie dans sa poche. D'Artagnan prit son chapeau, examina le trou de la balle, et secoua la tËte. La balle n'Êtait pas une balle de mousquet, c'Êtait une balle d'arquebuse ; la justesse du coup lui avait dÊjÁ donnÊ l'idÊe qu'il avait ÊtÊ tirÊ par une arme particuliÉre : ce n'Êtait donc pas une embuscade militaire, puisque la balle n'Êtait pas de calibre. Ce pouvait Ëtre un bon souvenir de M. le cardinal. On se rappelle qu'au moment mËme oÝ il avait, gr×ce Á ce bienheureux rayon de soleil, aperÚu le canon du fusil, il s'Êtonnait de la longanimitÊ de Son Eminence Á son Êgard. Mais d'Artagnan secoua la tËte. Pour les gens vers lesquels elle n'avait qu'Á Êtendre la main, Son Eminence recourait rarement Á de pareils moyens. Ce pouvait Ëtre une vengeance de Milady. Ceci, c'Êtait plus probable. Il chercha inutilement Á se rappeler ou les traits ou le costume des assassins ; il s'Êtait ÊloignÊ d'eux si rapidement, qu'il n'avait eu le loisir de rien remarquer. " Ah ! mes pauvres amis, murmura d'Artagnan, oÝ Ëtes-vous ? et que vous me faites faute ! " D'Artagnan passa une fort mauvaise nuit. Trois ou quatre fois il se rÊveilla en sursaut, se figurant qu'un homme s'approchait de son lit pour le poignarder. Cependant le jour parut sans que l'obscuritÊ eÙt amenÊ aucun incident. Mais d'Artagnan se douta bien que ce qui Êtait diffÊrÊ n'Êtait pas perdu. D'Artagnan resta toute la journÊe dans son logis ; il se donna pour excuse, vis-Á-vis de lui-mËme, que le temps Êtait mauvais. Le surlendemain, Á neuf heures, on battit aux champs. Le duc d'OrlÊans visitait les postes. Les gardes coururent aux armes, d'Artagnan prit son rang au milieu de ses camarades. Monsieur passa sur le front de bataille ; puis tous les officiers supÊrieurs s'approchÉrent de lui pour lui faire leur cour, M. des Essarts, le capitaine des gardes, comme les autres. Au bout d'un instant il parut Á d'Artagnan que M. des Essarts lui faisait signe de s'approcher de lui : il attendit un nouveau geste de son supÊrieur, craignant de se tromper, mais ce geste s'Êtant renouvelÊ, il quitta les rangs et s'avanÚa pour prendre l'ordre. " Monsieur va demander des hommes de bonne volontÊ pour une mission dangereuse, mais qui fera honneur Á ceux qui l'auront accomplie, et je vous ai fait signe afin que vous vous tinssiez prËt. -- Merci, mon capitaine ! " rÊpondit d'Artagnan, qui ne demandait pas mieux que de se distinguer sous les yeux du lieutenant gÊnÊral. En effet, les Rochelois avaient fait une sortie pendant la nuit et avaient repris un bastion dont l'armÊe royaliste s'Êtait emparÊe deux jours auparavant ; il s'agissait de pousser une reconnaissance perdue pour voir comment l'armÊe gardait ce bastion. Effectivement, au bout de quelques instants, Monsieur Êleva la voix et dit : " Il me faudrait, pour cette mission, trois ou quatre volontaires conduits par un homme sÙr. -- Quant Á l'homme sÙr, je l'ai sous la main, Monseigneur, dit M. des Essarts en montrant d'Artagnan ; et quant aux quatre ou cinq volontaires, Monseigneur n'a qu'Á faire connaÏtre ses intentions, et les hommes ne lui manqueront pas. -- Quatre hommes de bonne volontÊ pour venir se faire tuer avec moi ! " dit d'Artagnan en levant son ÊpÊe. Deux de ses camarades aux gardes s'ÊlancÉrent aussitÆt, et deux soldats s'Êtant joints Á eux, il se trouva que le nombre demandÊ Êtait suffisant ; d'Artagnan refusa donc tous les autres, ne voulant pas faire de passe-droit Á ceux qui avaient la prioritÊ. On ignorait si, aprÉs la prise du bastion, les Rochelois l'avaient ÊvacuÊ ou s'ils y avaient laissÊ garnison ; il fallait donc examiner le lieu indiquÊ d'assez prÉs pour vÊrifier la chose. D'Artagnan partit avec ses quatre compagnons et suivit la tranchÊe : les deux gardes marchaient au mËme rang que lui et les soldats venaient par-derriÉre. Ils arrivÉrent ainsi, en se couvrant de revËtements, jusqu'Á une centaine de pas du bastion ! LÁ, d'Artagnan, en se retournant, s'aperÚut que les deux soldats avaient disparu. Il crut qu'ayant eu peur ils Êtaient restÊs en arriÉre et continua d'avancer. Au dÊtour de la contrescarpe, ils se trouvÉrent Á soixante pas Á peu prÉs du bastion. On ne voyait personne, et le bastion semblait abandonnÊ. Les trois enfants perdus dÊlibÊraient s'ils iraient plus avant, lorsque tout Á coup une ceinture de fumÊe ceignit le gÊant de pierre, et une douzaine de balles vinrent siffler autour de d'Artagnan et de ses deux compagnons. Ils savaient ce qu'ils voulaient savoir : le bastion Êtait gardÊ. Une plus longue station dans cet endroit dangereux eÙt donc ÊtÊ une imprudence inutile ; d'Artagnan et les deux gardes tournÉrent le dos et commencÉrent une retraite qui ressemblait Á une fuite. En arrivant Á l'angle de la tranchÊe qui allait leur servir de rempart, un des gardes tomba : une balle lui avait traversÊ la poitrine. L'autre, qui Êtait sain et sauf, continua sa course vers le camp. D'Artagnan ne voulut pas abandonner ainsi son compagnon, et s'inclina vers lui pour le relever et l'aider Á rejoindre les lignes ; mais en ce moment deux coups de fusil partirent : une balle cassa la tËte du garde dÊjÁ blessÊ, et l'autre vint s'aplatir sur le roc aprÉs avoir passÊ Á deux pouces de d'Artagnan. Le jeune homme se retourna vivement, car cette attaque ne pouvait venir du bastion, qui Êtait masquÊ par l'angle de la tranchÊe. L'idÊe des deux soldats qui l'avaient abandonnÊ lui revint Á l'esprit et lui rappela ses assassins de la surveille ; il rÊsolut donc cette fois de savoir Á quoi s'en tenir, et tomba sur le corps de son camarade comme s'il Êtait mort. Il vit aussitÆt deux tËtes qui s'Êlevaient au-dessus d'un ouvrage abandonnÊ qui Êtait Á trente pas de lÁ : c'Êtaient celles de nos deux soldats. D'Artagnan ne s'Êtait pas trompÊ : ces deux hommes ne l'avaient suivi que pour l'assassiner, espÊrant que la mort du jeune homme serait mise sur le compte de l'ennemi. Seulement, comme il pouvait n'Ëtre que blessÊ et dÊnoncer leur crime, ils s'approchÉrent pour l'achever ; heureusement, trompÊs par la ruse de d'Artagnan, ils nÊgligÉrent de recharger leurs fusils. Lorsqu'ils furent Á dix pas de lui, d'Artagnan, qui en tombant avait eu grand soin de ne pas l×cher son ÊpÊe, se releva tout Á coup et d'un bond se trouva prÉs d'eux. Les assassins comprirent que s'ils s'enfuyaient du cÆtÊ du camp sans avoir tuÊ leur homme, ils seraient accusÊs par lui ; aussi leur premiÉre idÊe fut-elle de passer Á l'ennemi. L'un d'eux prit son fusil par le canon, et s'en servit comme d'une massue : il en porta un coup terrible Á d'Artagnan, qui l'Êvita en se jetant de cÆtÊ, mais par ce mouvement il livra passage au bandit, qui s'ÊlanÚa aussitÆt vers le bastion. Comme les Rochelois qui le gardaient ignoraient dans quelle intention cet homme venait Á eux, ils firent feu sur lui et il tomba frappÊ d'une balle qui lui brisa l'Êpaule. Pendant ce temps, d'Artagnan s'Êtait jetÊ sur le second soldat, l'attaquant avec son ÊpÊe ; la lutte ne fut pas longue, ce misÊrable n'avait pour se dÊfendre que son arquebuse dÊchargÊe ; l'ÊpÊe du garde glissa contre le canon de l'arme devenue inutile et alla traverser la cuisse de l'assassin, qui tomba. D'Artagnan lui mit aussitÆt la pointe du fer sur la gorge. " Oh ! ne me tuez pas ! s'Êcria le bandit ; gr×ce, gr×ce, mon officier ! et je vous dirai tout. -- Ton secret vaut-il la peine que je te garde la vie au moins ? demanda le jeune homme en retenant son bras. -- Oui ; si vous estimez que l'existence soit quelque chose quand on a vingt-deux ans comme vous et qu'on peut arriver Á tout, Êtant beau et brave comme vous l'Ëtes. -- MisÊrable ! dit d'Artagnan, voyons, parle vite, qui t'a chargÊ de m'assassiner ? -- Une femme que je ne connais pas, mais qu'on appelle Milady. -- Mais si tu ne connais pas cette femme, comment sais-tu son nom ? -- Mon camarade la connaissait et l'appelait ainsi, c'est Á lui qu'elle a eu affaire et non pas Á moi ; il a mËme dans sa poche une lettre de cette personne qui doit avoir pour vous une grande importance, Á ce que je lui ai entendu dire. -- Mais comment te trouves-tu de moitiÊ dans ce guet-apens ? -- Il m'a proposÊ de faire le coup Á nous deux et j'ai acceptÊ. -- Et combien vous a-t-elle donnÊ pour cette belle expÊdition ? -- Cent louis. -- Eh bien, Á la bonne heure, dit le jeune homme en riant, elle estime que je vaux quelque chose ; cent louis ! c'est une somme pour deux misÊrables comme vous : aussi je comprends que tu aies acceptÊ, et je te fais gr×ce, mais Á une condition ! -- Laquelle ? demanda le soldat inquiet en voyant que tout n'Êtait pas fini. -- C'est que tu vas aller me chercher la lettre que ton camarade a dans sa poche. -- Mais, s'Êcria le bandit, c'est une autre maniÉre de me tuer ; comment voulez-vous que j'aille chercher cette lettre sous le feu du bastion ? -- Il faut pourtant que tu te dÊcides Á l'aller chercher, ou je te jure que tu vas mourir de ma main. -- Gr×ce, Monsieur, pitiÊ ! au nom de cette jeune dame que vous aimez, que vous croyez morte peut-Ëtre, et qui ne l'est pas ! s'Êcria le bandit en se mettant Á genoux et s'appuyant sur sa main, car il commenÚait Á perdre ses forces avec son sang. -- Et d'oÝ sais-tu qu'il y a une jeune femme que j'aime, et que j'ai cru ce