it de lui confier Êtait important. Il rÊsolut donc de courir Á l'instant mËme chez le comte de Rochefort, et de lui dire que la reine cherchait un messager pour l'envoyer Á Londres. " Pardon, si je vous quitte, ma chÉre Madame Bonacieux, dit-il ; mais, ne sachant pas que vous me viendriez voir, j'avais pris rendez-vous avec un de mes amis ; je reviens Á l'instant mËme, et si vous voulez m'attendre seulement une demi-minute, aussitÆt que j'en aurai fini avec cet ami, je reviens vous prendre, et, comme il commence Á se faire tard, je vous reconduis au Louvre. -- Merci, Monsieur, rÊpondit Mme Bonacieux : vous n'Ëtes point assez brave pour m'Ëtre d'une utilitÊ quelconque, et je m'en retournerai bien au Louvre toute seule. -- Comme il vous plaira, Madame Bonacieux, reprit l'ex-mercier. Vous reverrai-je bientÆt ? -- Sans doute ; la semaine prochaine, je l'espÉre, mon service me laissera quelque libertÊ, et j'en profiterai pour revenir mettre de l'ordre dans nos affaires, qui doivent Ëtre quelque peu dÊrangÊes. -- C'est bien ; je vous attendrai. Vous ne m'en voulez pas ? -- Moi ! pas le moins du monde. -- A bientÆt, alors ? -- A bientÆt. " Bonacieux baisa la main de sa femme, et s'Êloigna rapidement. " Allons, dit Mme Bonacieux, lorsque son mari eut refermÊ la porte de la rue, et qu'elle se trouva seule, il ne manquait plus Á cet imbÊcile que d'Ëtre cardinaliste ! Et moi qui avais rÊpondu Á la reine, moi qui avais promis Á ma pauvre maÏtresse... Ah ! mon Dieu, mon Dieu ! elle va me prendre pour quelqu'une de ces misÊrables dont fourmille le palais, et qu'on a placÊes prÉs d'elle pour l'espionner ! Ah ! Monsieur Bonacieux ! je ne vous ai jamais beaucoup aimÊ ; maintenant, c'est bien pis : je vous hais ! et, sur ma parole, vous me le paierez ! " Au moment oÝ elle disait ces mots, un coup frappÊ au plafond lui fit lever la tËte, et une voix, qui parvint Á elle Á travers le plancher, lui cria : " ChÉre Madame Bonacieux, ouvrez-moi la petite porte de l'allÊe, et je vais descendre prÉs de vous. " CHAPITRE XVIII. L'AMANT ET LE MARI " Ah ! Madame, dit d'Artagnan en entrant par la porte que lui ouvrait la jeune femme, permettez-moi de vous le dire, vous avez lÁ un triste mari. -- Vous avez donc entendu notre conversation ? demanda vivement Mme Bonacieux en regardant d'Artagnan avec inquiÊtude. -- Tout entiÉre. -- Mais comment cela ? mon Dieu ! -- Par un procÊdÊ Á moi connu, et par lequel j'ai entendu aussi la conversation plus animÊe que vous avez eue avec les sbires du cardinal. -- Et qu'avez-vous compris dans ce que nous disions ? -- Mille choses : d'abord, que votre mari est un niais et un sot, heureusement ; puis, que vous Êtiez embarrassÊe, ce dont j'ai ÊtÊ fort aise, et que cela me donne une occasion de me mettre Á votre service, et Dieu sait si je suis prËt Á me jeter dans le feu pour vous ; enfin que la reine a besoin qu'un homme brave, intelligent et dÊvouÊ fasse pour elle un voyage Á Londres. J'ai au moins deux des trois qualitÊs qu'il vous faut, et me voilÁ. " Mme Bonacieux ne rÊpondit pas, mais son coeur battait de joie, et une secrÉte espÊrance brilla Á ses yeux. " Et quelle garantie me donnerez-vous, demanda-t-elle, si je consens Á vous confier cette mission ? -- Mon amour pour vous. Voyons, dites, ordonnez : que faut-il faire ? -- Mon Dieu ! mon Dieu ! murmura la jeune femme, dois-je vous confier un pareil secret, Monsieur ? Vous Ëtes presque un enfant ! -- Allons, je vois qu'il vous faut quelqu'un qui vous rÊponde de moi. -- J'avoue que cela me rassurerait fort. -- Connaissez-vous Athos ? -- Non. -- Porthos ? -- Non. -- Aramis ? -- Non. Quels sont ces Messieurs ? -- Des mousquetaires du roi. Connaissez-vous M. de TrÊville, leur capitaine ? -- Oh ! oui, celui-lÁ, je le connais, non pas personnellement, mais pour en avoir entendu plus d'une fois parler Á la reine comme d'un brave et loyal gentilhomme. -- Vous ne craignez pas que lui vous trahisse pour le cardinal, n'est-ce pas ? -- Oh ! non, certainement. -- Eh bien, rÊvÊlez-lui votre secret, et demandez-lui, si important, si prÊcieux, si terrible qu'il soit, si vous pouvez me le confier. -- Mais ce secret ne m'appartient pas, et je ne puis le rÊvÊler ainsi. -- Vous l'alliez bien confier Á M. Bonacieux, dit d'Artagnan avec dÊpit. -- Comme on confie une lettre au creux d'un arbre, Á l'aile d'un pigeon, au collier d'un chien. -- Et cependant, moi, vous voyez bien que je vous aime. -- Vous le dites. -- Je suis un galant homme ! -- Je le crois. -- Je suis brave ! -- Oh ! cela, j'en suis sÙre. -- Alors, mettez-moi donc Á l'Êpreuve. " Mme Bonacieux regarda le jeune homme, retenue par une derniÉre hÊsitation. Mais il y avait une telle ardeur dans ses yeux, une telle persuasion dans sa voix, qu'elle se sentit entraÏnÊe Á se fier Á lui. D'ailleurs elle se trouvait dans une de ces circonstances oÝ il faut risquer le tout pour le tout. La reine Êtait aussi bien perdue par une trop grande retenue que par une trop grande confiance. Puis, avouons-le, le sentiment involontaire qu'elle Êprouvait pour ce jeune protecteur la dÊcida Á parler. " Ecoutez, lui dit-elle, je me rends Á vos protestations et je cÉde Á vos assurances. Mais je vous jure devant Dieu qui nous entend, que si vous me trahissez et que mes ennemis me pardonnent, je me tuerai en vous accusant de ma mort. -- Et moi, je vous jure devant Dieu, Madame, dit d'Artagnan, que si je suis pris en accomplissant les ordres que vous me donnez, je mourrai avant de rien faire ou dire qui compromette quelqu'un. " Alors la jeune femme lui confia le terrible secret dont le hasard lui avait dÊjÁ rÊvÊlÊ une partie en face de la Samaritaine. Ce fut leur mutuelle dÊclaration d'amour. D'Artagnan rayonnait de joie et d'orgueil. Ce secret qu'il possÊdait, cette femme qu'il aimait, la confiance et l'amour, faisaient de lui un gÊant. " Je pars, dit-il, je pars sur-le-champ. -- Comment ! vous partez ! s'Êcria Mme Bonacieux, et votre rÊgiment, votre capitaine ? -- Sur mon ×me, vous m'aviez fait oublier tout cela, chÉre Constance ! oui, vous avez raison, il me faut un congÊ. -- Encore un obstacle, murmura Mme Bonacieux avec douleur. -- Oh ! celui-lÁ, s'Êcria d'Artagnan aprÉs un moment de rÊflexion, je le surmonterai, soyez tranquille. -- Comment cela ? -- J'irai trouver ce soir mËme M. de TrÊville, que je chargerai de demander pour moi cette faveur Á son beau-frÉre, M. des Essarts. -- Maintenant, autre chose. -- Quoi ? demanda d'Artagnan, voyant que Mme Bonacieux hÊsitait Á continuer. -- Vous n'avez peut-Ëtre pas d'argent ? -- Peut-Ëtre est de trop, dit d'Artagnan en souriant. -- Alors, reprit Mme Bonacieux en ouvrant une armoire et en tirant de cette armoire le sac qu'une demi-heure auparavant caressait si amoureusement son mari, prenez ce sac. -- Celui du cardinal ! s'Êcria en Êclatant de rire d'Artagnan qui, comme on s'en souvient, gr×ce Á ses carreaux enlevÊs, n'avait pas perdu une syllabe de la conversation du mercier et de sa femme. -- Celui du cardinal, rÊpondit Mme Bonacieux ; vous voyez qu'il se prÊsente sous un aspect assez respectable. -- Pardieu ! s'Êcria d'Artagnan, ce sera une chose doublement divertissante que de sauver la reine avec l'argent de Son Eminence ! -- Vous Ëtes un aimable et charmant jeune homme, dit Mme Bonacieux. Croyez que Sa MajestÊ ne sera point ingrate. -- Oh ! je suis dÊjÁ grandement rÊcompensÊ ! s'Êcria d'Artagnan. Je vous aime, vous me permettez de vous le dire ; c'est dÊjÁ plus de bonheur que je n'en osais espÊrer. -- Silence ! dit Mme Bonacieux en tressaillant. -- Quoi ? -- On parle dans la rue. -- C'est la voix... -- De mon mari. Oui, je l'ai reconnue ! " D'Artagnan courut Á la porte et poussa le verrou. " Il n'entrera pas que je ne sois parti, dit-il, et quand je serai parti, vous lui ouvrirez. -- Mais je devrais Ëtre partie aussi, moi. Et la disparition de cet argent, comment la justifier si je suis lÁ ? -- Vous avez raison, il faut sortir. -- Sortir, comment ? On nous verra si nous sortons. -- Alors il faut monter chez moi. -- Ah ! s'Êcria Mme Bonacieux, vous me dites cela d'un ton qui me fait peur. " Mme Bonacieux prononÚa ces paroles avec une larme dans les yeux. D'Artagnan vit cette larme, et, troublÊ, attendri, il se jeta Á ses genoux. " Chez moi, dit-il, vous serez en sÙretÊ comme dans un temple, je vous en donne ma parole de gentilhomme. -- Partons, dit-elle, je me fie Á vous, mon ami. " D'Artagnan rouvrit avec prÊcaution le verrou, et tous deux, lÊgers comme des ombres, se glissÉrent par la porte intÊrieure dans l'allÊe, montÉrent sans bruit l'escalier et rentrÉrent dans la chambre de d'Artagnan. Une fois chez lui, pour plus de sÙretÊ, le jeune homme barricada la porte ; ils s'approchÉrent tous deux de la fenËtre, et par une fente du volet ils virent M. Bonacieux qui causait avec un homme en manteau. A la vue de l'homme en manteau, d'Artagnan bondit, et, tirant son ÊpÊe Á demi, s'ÊlanÚa vers la porte. C'Êtait l'homme de Meung. " Qu'allez-vous faire ? s'Êcria Mme Bonacieux ; vous nous perdez. -- Mais j'ai jurÊ de tuer cet homme ! dit d'Artagnan. -- Votre vie est vouÊe en ce moment et ne vous appartient pas. Au nom de la reine, je vous dÊfends de vous jeter dans aucun pÊril Êtranger Á celui du voyage. -- Et en votre nom, n'ordonnez-vous rien ? -- En mon nom, dit Mme Bonacieux avec une vive Êmotion ; en mon nom, je vous en prie. Mais Êcoutons, il me semble qu'ils parlent de moi. " D'Artagnan se rapprocha de la fenËtre et prËta l'oreille. M. Bonacieux avait rouvert sa porte, et voyant l'appartement vide, il Êtait revenu Á l'homme au manteau qu'un instant il avait laissÊ seul. " Elle est partie, dit-il, elle sera retournÊe au Louvre. -- Vous Ëtes sÙr, rÊpondit l'Êtranger, qu'elle ne s'est pas doutÊe dans quelles intentions vous Ëtes sorti ? -- Non, rÊpondit Bonacieux avec suffisance ; c'est une femme trop superficielle. -- Le cadet aux gardes est-il chez lui ? -- Je ne le crois pas ; comme vous le voyez, son volet est fermÊ, et l'on ne voit aucune lumiÉre briller Á travers les fentes. -- C'est Êgal, il faudrait s'en assurer. -- Comment cela ? -- En allant frapper Á sa porte. -- Je demanderai Á son valet. -- Allez. " Bonacieux rentra chez lui, passa par la mËme porte qui venait de donner passage aux deux fugitifs, monta jusqu'au palier de d'Artagnan et frappa. Personne ne rÊpondit. Porthos, pour faire plus grande figure, avait empruntÊ ce soir-lÁ Planchet. Quant Á d'Artagnan, il n'avait garde de donner signe d'existence. Au moment oÝ le doigt de Bonacieux rÊsonna sur la porte, les deux jeunes gens sentirent bondir leurs coeurs. " Il n'y a personne chez lui, dit Bonacieux. -- N'importe, rentrons toujours chez vous, nous serons plus en sÙretÊ que sur le seuil d'une porte. -- Ah ! mon Dieu ! murmura Mme Bonacieux, nous n'allons plus rien entendre. -- Au contraire, dit d'Artagnan, nous n'entendrons que mieux. " D'Artagnan enleva les trois ou quatre carreaux qui faisaient de sa chambre une autre oreille de Denys, Êtendit un tapis Á terre, se mit Á genoux, et fit signe Á Mme Bonacieux de se pencher, comme il le faisait, vers l'ouverture. " Vous Ëtes sÙr qu'il n'y a personne ? dit l'inconnu. -- J'en rÊponds, dit Bonacieux. -- Et vous pensez que votre femme ?... -- Est retournÊe au Louvre. -- Sans parler Á aucune personne qu'Á vous ? -- J'en suis sÙr. -- C'est un point important, comprenez-vous ? -- Ainsi, la nouvelle que je vous ai apportÊe a donc une valeur... ? -- TrÉs grande, mon cher Bonacieux, je ne vous le cache pas. -- Alors le cardinal sera content de moi ? -- Je n'en doute pas. -- Le grand cardinal ! -- Vous Ëtes sÙr que, dans sa conversation avec vous, votre femme n'a pas prononcÊ de noms propres ? -- Je ne crois pas. -- Elle n'a nommÊ ni Mme de Chevreuse, ni M. de Buckingham, ni Mme de Vernet ? -- Non, elle m'a dit seulement qu'elle voulait m'envoyer Á Londres pour servir les intÊrËts d'une personne illustre. " " Le traÏtre ! murmura Mme Bonacieux. -- Silence ! " dit d'Artagnan en lui prenant une main qu'elle lui abandonna sans y penser. " N'importe, continua l'homme au manteau, vous Ëtes un niais de n'avoir pas feint d'accepter la commission, vous auriez la lettre Á prÊsent ; l'Etat qu'on menace Êtait sauvÊ, et vous... -- Et moi ? -- Eh bien, vous ! le cardinal vous donnait des lettres de noblesse... -- Il vous l'a dit ? -- Oui, je sais qu'il voulait vous faire cette surprise. -- Soyez tranquille, reprit Bonacieux ; ma femme m'adore, et il est encore temps. " " Le niais ! murmura Mme Bonacieux. -- Silence ! " dit d'Artagnan en lui serrant plus fortement la main. " Comment est-il encore temps ? reprit l'homme au manteau. -- Je retourne au Louvre, je demande Mme Bonacieux, je dis que j'ai rÊflÊchi, je renoue l'affaire, j'obtiens la lettre, et je cours chez le cardinal. -- Eh bien, allez vite ; je reviendrai bientÆt savoir le rÊsultat de votre dÊmarche. " L'inconnu sortit. " L'inf×me ! dit Mme Bonacieux en adressant encore cette ÊpithÉte Á son mari. -- Silence ! " rÊpÊta d'Artagnan en lui serrant la main plus fortement encore. Un hurlement terrible interrompit alors les rÊflexions de d'Artagnan et de Mme Bonacieux. C'Êtait son mari, qui s'Êtait aperÚu de la disparition de son sac et qui criait au voleur. " Oh ! mon Dieu ! s'Êcria Mme Bonacieux, il va ameuter tout le quartier. " Bonacieux cria longtemps ; mais comme de pareils cris, attendu leur frÊquence, n'attiraient personne dans la rue des Fossoyeurs, et que d'ailleurs la maison du mercier Êtait depuis quelque temps assez mal famÊe, voyant que personne ne venait, il sortit en continuant de crier, et l'on entendit sa voix qui s'Êloignait dans la direction de la rue du Bac. " Et maintenant qu'il est parti, Á votre tour de vous Êloigner, dit Mme Bonacieux ; du courage, mais surtout de la prudence, et songez que vous vous devez Á la reine. -- A elle et Á vous ! s'Êcria d'Artagnan. Soyez tranquille, belle Constance, je reviendrai digne de sa reconnaissance ; mais reviendrai- je aussi digne de votre amour ? " La jeune femme ne rÊpondit que par la vive rougeur qui colora ses joues. Quelques instants aprÉs, d'Artagnan sortit Á son tour, enveloppÊ, lui aussi, d'un grand manteau que retroussait cavaliÉrement le fourreau d'une longue ÊpÊe. Mme Bonacieux le suivit des yeux avec ce long regard d'amour dont la femme accompagne l'homme qu'elle se sent aimer ; mais lorsqu'il eut disparu Á l'angle de la rue, elle tomba Á genoux, et joignant les mains : " O mon Dieu ! s'Êcria-t-elle, protÊgez la reine, protÊgez-moi ! " CHAPITRE XIX. PLAN DE CAMPAGNE D'Artagnan se rendit droit chez M. de TrÊville. Il avait rÊflÊchi que, dans quelques minutes, le cardinal serait averti par ce damnÊ inconnu, qui paraissait Ëtre son agent, et il pensait avec raison qu'il n'y avait pas un instant Á perdre. Le coeur du jeune homme dÊbordait de joie. Une occasion oÝ il y avait Á la fois gloire Á acquÊrir et argent Á gagner se prÊsentait Á lui, et, comme premier encouragement, venait de le rapprocher d'une femme qu'il adorait. Ce hasard faisait donc presque du premier coup, pour lui plus qu'il n'eÙt osÊ demander Á la Providence. M. de TrÊville Êtait dans son salon avec sa cour habituelle de gentilshommes. D'Artagnan, que l'on connaissait comme un familier de la maison, alla droit Á son cabinet et le fit prÊvenir qu'il l'attendait pour chose d'importance. D'Artagnan Êtait lÁ depuis cinq minutes Á peine, lorsque M. de TrÊville entra. Au premier coup d'oeil et Á la joie qui se peignait sur son visage, le digne capitaine comprit qu'il se passait effectivement quelque chose de nouveau. Tout le long de la route, d'Artagnan s'Êtait demandÊ s'il se confierait Á M. de TrÊville, ou si seulement il lui demanderait de lui accorder carte blanche pour une affaire secrÉte. Mais M. de TrÊville avait toujours ÊtÊ si parfait pour lui, il Êtait si fort dÊvouÊ au roi et Á la reine, il haÐssait si cordialement le cardinal, que le jeune homme rÊsolut de tout lui dire. " Vous m'avez fait demander, mon jeune ami ? dit M. de TrÊville. -- Oui, Monsieur, dit d'Artagnan, et vous me pardonnerez, je l'espÉre, de vous avoir dÊrangÊ, quand vous saurez de quelle chose importante il est question. -- Dites alors, je vous Êcoute. -- Il ne s'agit de rien de moins, dit d'Artagnan, en baissant la voix, que de l'honneur et peut-Ëtre de la vie de la reine. -- Que dites-vous lÁ ? demanda M. de TrÊville en regardant tout autour de lui s'ils Êtaient bien seuls, et en ramenant son regard interrogateur sur d'Artagnan. -- Je dis, Monsieur, que le hasard m'a rendu maÏtre d'un secret... -- Que vous garderez, j'espÉre, jeune homme, sur votre vie. -- Mais que je dois vous confier, Á vous, Monsieur, car vous seul pouvez m'aider dans la mission que je viens de recevoir de Sa MajestÊ. -- Ce secret est-il Á vous ? -- Non, Monsieur, c'est celui de la reine. -- Etes-vous autorisÊ par Sa MajestÊ Á me le confier ? -- Non, Monsieur, car au contraire le plus profond mystÉre m'est recommandÊ. -- Et pourquoi donc allez-vous le trahir vis-Á-vis de moi ? -- Parce que, je vous le dis, sans vous je ne puis rien, et que j'ai peur que vous ne me refusiez la gr×ce que je viens vous demander, si vous ne savez pas dans quel but je vous la demande. -- Gardez votre secret, jeune homme, et dites-moi ce que vous dÊsirez. -- Je dÊsire que vous obteniez pour moi, de M. des Essarts, un congÊ de quinze jours. -- Quand cela ? -- Cette nuit mËme. -- Vous quittez Paris ? -- Je vais en mission. -- Pouvez-vous me dire oÝ ? -- A Londres. -- Quelqu'un a-t-il intÊrËt Á ce que vous n'arriviez pas Á votre but ? -- Le cardinal, je le crois, donnerait tout au monde pour m'empËcher de rÊussir. -- Et vous partez seul ? -- Je pars seul. -- En ce cas, vous ne passerez pas Bondy ; c'est moi qui vous le dis, foi de TrÊville. -- Comment cela ? -- On vous fera assassiner. -- Je serai mort en faisant mon devoir. -- Mais votre mission ne sera pas remplie. -- C'est vrai, dit d'Artagnan. -- Croyez-moi, continua TrÊville, dans les entreprises de ce genre, il faut Ëtre quatre pour arriver un. -- Ah ! vous avez raison, Monsieur, dit d'Artagnan ; mais vous connaissez Athos, Porthos et Aramis, et vous savez si je puis disposer d'eux. -- Sans leur confier le secret que je n'ai pas voulu savoir ? -- Nous nous sommes jurÊ, une fois pour toutes, confiance aveugle et dÊvouement Á toute Êpreuve ; d'ailleurs vous pouvez leur dire que vous avez toute confiance en moi, et ils ne seront pas plus incrÊdules que vous. -- Je puis leur envoyer Á chacun un congÊ de quinze jours, voilÁ tout : Á Athos, que sa blessure fait toujours souffrir, pour aller aux eaux de Forges ! Á Porthos et Á Aramis, pour suivre leur ami, qu'ils ne veulent pas abandonner dans une si douloureuse position. L'envoi de leur congÊ sera la preuve que j'autorise leur voyage. -- Merci, Monsieur, et vous Ëtes cent fois bon. -- Allez donc les trouver Á l'instant mËme, et que tout s'exÊcute cette nuit. Ah ! et d'abord Êcrivez-moi votre requËte Á M. des Essarts. Peut- Ëtre aviez-vous un espion Á vos trousses, et votre visite, qui dans ce cas est dÊjÁ connue du cardinal, sera lÊgitimÊe ainsi. " D'Artagnan formula cette demande, et M. de TrÊville, en la recevant de ses mains, assura qu'avant deux heures du matin les quatre congÊs seraient au domicile respectif des voyageurs. " Ayez la bontÊ d'envoyer le mien chez Athos, dit d'Artagnan. Je craindrais, en rentrant chez moi, d'y faire quelque mauvaise rencontre. -- Soyez tranquille. Adieu et bon voyage ! A propos ! " dit M. de TrÊville en le rappelant. D'Artagnan revint sur ses pas. " Avez-vous de l'argent ? " D'Artagnan fit sonner le sac qu'il avait dans sa poche. " Assez ? demanda M. de TrÊville. -- Trois cents pistoles. -- C'est bien, on va au bout du monde avec cela ; allez donc. " D'Artagnan salua M. de TrÊville, qui lui tendit la main ; d'Artagnan la lui serra avec un respect mËlÊ de reconnaissance. Depuis qu'il Êtait arrivÊ Á Paris, il n'avait eu qu'Á se louer de cet excellent homme, qu'il avait toujours trouvÊ digne, loyal et grand. Sa premiÉre visite fut pour Aramis ; il n'Êtait pas revenu chez son ami depuis la fameuse soirÊe oÝ il avait suivi Mme Bonacieux. Il y a plus : Á peine avait-il vu le jeune mousquetaire, et Á chaque fois qu'il l'avait revu, il avait cru remarquer une profonde tristesse empreinte sur son visage. Ce soir encore, Aramis veillait sombre et rËveur ; d'Artagnan lui fit quelques questions sur cette mÊlancolie profonde ; Aramis s'excusa sur un commentaire du dix-huitiÉme chapitre de saint Augustin qu'il Êtait forcÊ d'Êcrire en latin pour la semaine suivante, et qui le prÊoccupait beaucoup. Comme les deux amis causaient depuis quelques instants, un serviteur de M. de TrÊville entra porteur d'un paquet cachetÊ. " Qu'est-ce lÁ ? demanda Aramis. -- Le congÊ que Monsieur a demandÊ, rÊpondit le laquais. -- Moi, je n'ai pas demandÊ de congÊ. -- Taisez-vous et prenez, dit d'Artagnan. Et vous, mon ami, voici une demi-pistole pour votre peine ; vous direz Á M. de TrÊville que M. Aramis le remercie bien sincÉrement. Allez. " Le laquais salua jusqu'Á terre et sortit. " Que signifie cela ? demanda Aramis. -- Prenez ce qu'il vous faut pour un voyage de quinze jours, et suivez- moi. -- Mais je ne puis quitter Paris en ce moment, sans savoir... " Aramis s'arrËta. " Ce qu'elle est devenue, n'est-ce pas ? continua d'Artagnan. -- Qui ? reprit Aramis. -- La femme qui Êtait ici, la femme au mouchoir brodÊ. -- Qui vous a dit qu'il y avait une femme ici ? rÊpliqua Aramis en devenant p×le comme la mort. -- Je l'ai vue. -- Et vous savez qui elle est ? -- Je crois m'en douter, du moins. -- Ecoutez, dit Aramis, puisque vous savez tant de choses, savez-vous ce qu'est devenue cette femme ? -- Je prÊsume qu'elle est retournÊe Á Tours. -- A Tours ? oui, c'est bien cela ; vous la connaissez. Mais comment est-elle retournÊe Á Tours sans me rien dire ? -- Parce qu'elle a craint d'Ëtre arrËtÊe. -- Comment ne m'a-t-elle pas Êcrit ? -- Parce qu'elle craint de vous compromettre. -- D'Artagnan, vous me rendez la vie ! s'Êcria Aramis. Je me croyais mÊprisÊ, trahi. J'Êtais si heureux de la revoir ! Je ne pouvais croire qu'elle risqu×t sa libertÊ pour moi, et cependant pour quelle cause serait-elle revenue Á Paris ? -- Pour la cause qui aujourd'hui nous fait aller en Angleterre. -- Et quelle est cette cause ? demanda Aramis. -- Vous le saurez un jour, Aramis ; mais, pour le moment, j'imiterai la retenue de la niÉce du docteur. " Aramis sourit, car il se rappelait le conte qu'il avait fait certain soir Á ses amis. " Eh bien, donc, puisqu'elle a quittÊ Paris et que vous en Ëtes sÙr, d'Artagnan, rien ne m'y arrËte plus, et je suis prËt Á vous suivre. Vous dites que nous allons ?... -- Chez Athos, pour le moment, et si vous voulez venir, je vous invite mËme Á vous h×ter, car nous avons dÊjÁ perdu beaucoup de temps. A propos, prÊvenez Bazin. -- Bazin vient avec nous ? demanda Aramis. -- Peut-Ëtre. En tout cas, il est bon qu'il nous suive pour le moment chez Athos. " Aramis appela Bazin, et aprÉs lui avoir ordonnÊ de le venir joindre chez Athos : " Partons donc " , dit-il en prenant son manteau, son ÊpÊe et ses trois pistolets, et en ouvrant inutilement trois ou quatre tiroirs pour voir s'il n'y trouverait pas quelque pistole ÊgarÊe. Puis, quand il se fut bien assurÊ que cette recherche Êtait superflue, il suivit d'Artagnan en se demandant comment il se faisait que le jeune cadet aux gardes sÙt aussi bien que lui quelle Êtait la femme Á laquelle il avait donnÊ l'hospitalitÊ, et sÙt mieux que lui ce qu'elle Êtait devenue. Seulement, en sortant, Aramis posa sa main sur le bras de d'Artagnan, et le regardant fixement : " Vous n'avez parlÊ de cette femme Á personne ? dit-il. -- A personne au monde. -- Pas mËme Á Athos et Á Porthos ? -- Je ne leur en ai pas soufflÊ le moindre mot. -- A la bonne heure. " Et, tranquille sur ce point important, Aramis continua son chemin avec d'Artagnan, et tous deux arrivÉrent bien tÆt chez Athos. Ils le trouvÉrent tenant son congÊ d'une main et la lettre de M. de TrÊville de l'autre. " Pouvez-vous m'expliquer ce que signifient ce congÊ et cette lettre que je viens de recevoir ? " dit Athos ÊtonnÊ. " Mon cher Athos, je veux bien, puisque votre santÊ l'exige absolument, que vous vous reposiez quinze jours. Allez donc prendre les eaux de Forges ou telles autres qui vous conviendront, et rÊtablissez-vous promptement. Votre affectionnÊ TrÊville " " Eh bien, ce congÊ et cette lettre signifient qu'il faut me suivre, Athos. -- Aux eaux de Forges ? -- LÁ ou ailleurs. -- Pour le service du roi ? -- Du roi ou de la reine : ne sommes-nous pas serviteurs de Leurs MajestÊs ? " En ce moment, Porthos entra. " Pardieu, dit-il, voici une chose Êtrange : depuis quand, dans les mousquetaires, accorde-t-on aux gens des congÊs sans qu'ils les demandent ? -- Depuis, dit d'Artagnan, qu'ils ont des amis qui les demandent pour eux. -- Ah ! ah ! dit Porthos, il paraÏt qu'il y a du nouveau ici ? -- Oui, nous partons, dit Aramis. -- Pour quel pays ? demanda Porthos. -- Ma foi, je n'en sais trop rien, dit Athos ; demande cela Á d'Artagnan. -- Pour Londres, Messieurs, dit d'Artagnan. -- Pour Londres ! s'Êcria Porthos ; et qu'allons-nous faire Á Londres ? -- VoilÁ ce que je ne puis vous dire, Messieurs, et il faut vous fier Á moi. -- Mais pour aller Á Londres, ajouta Porthos, il faut de l'argent, et je n'en ai pas. -- Ni moi, dit Aramis. -- Ni moi, dit Athos. -- J'en ai, moi, reprit d'Artagnan en tirant son trÊsor de sa poche et en le posant sur la table. Il y a dans ce sac trois cents pistoles ; prenons-en chacun soixante-quinze ; c'est autant qu'il en faut pour aller Á Londres et pour en revenir. D'ailleurs, soyez tranquilles, nous n'y arriverons pas tous, Á Londres. -- Et pourquoi cela ? -- Parce que, selon toute probabilitÊ, il y en aura quelques-uns d'entre nous qui resteront en route. -- Mais est-ce donc une campagne que nous entreprenons ? -- Et des plus dangereuses, je vous en avertis. -- Ah ÚÁ, mais, puisque nous risquons de nous faire tuer, dit Porthos, je voudrais bien savoir pourquoi, au moins ? -- Tu en seras bien plus avancÊ ! dit Athos. -- Cependant, dit Aramis, je suis de l'avis de Porthos. -- Le roi a-t-il l'habitude de vous rendre des comptes ? Non ; il vous dit tout bonnement : " Messieurs, on se bat en Gascogne ou dans les Flandres ; allez vous battre " , et vous y allez. Pourquoi ? vous ne vous en inquiÊtez mËme pas. -- D'Artagnan a raison, dit Athos, voilÁ nos trois congÊs qui viennent de M. de TrÊville, et voilÁ trois cents pistoles qui viennent je ne sais d'oÝ. Allons nous faire tuer oÝ l'on nous dit d'aller. La vie vaut-elle la peine de faire autant de questions ? D'Artagnan, je suis prËt Á te suivre. -- Et moi aussi, dit Porthos. -- Et moi aussi, dit Aramis. Aussi bien, je ne suis pas f×chÊ de quitter Paris. J'ai besoin de distractions. -- Eh bien, vous en aurez, des distractions, Messieurs, soyez tranquilles, dit d'Artagnan. -- Et maintenant, quand partons-nous ? dit Athos. -- Tout de suite, rÊpondit d'Artagnan, il n'y a pas une minute Á perdre. -- HolÁ ! Grimaud, Planchet, Mousqueton, Bazin ! criÉrent les quatre jeunes gens appelant leurs laquais, graissez nos bottes et ramenez les chevaux de l'hÆtel. " En effet, chaque mousquetaire laissait Á l'hÆtel gÊnÊral comme Á une caserne son cheval et celui de son laquais. Planchet, Grimaud, Mousqueton et Bazin partirent en toute h×te. " Maintenant, dressons le plan de campagne, dit Porthos. OÝ allons- nous d'abord ? -- A Calais, dit d'Artagnan ; c'est la ligne la plus directe pour arriver Á Londres. -- Eh bien, dit Porthos, voici mon avis. -- Parle. -- Quatre hommes voyageant ensemble seraient suspects : d'Artagnan nous donnera Á chacun ses instructions, je partirai en avant par la route de Boulogne pour Êclairer le chemin ; Athos partira deux heures aprÉs par celle d'Amiens ; Aramis nous suivra par celle de Noyon ; quant Á d'Artagnan, il partira par celle qu'il voudra, avec les habits de Planchet, tandis que Planchet nous suivra en d'Artagnan et avec l'uniforme des gardes. -- Messieurs, dit Athos, mon avis est qu'il ne convient pas de mettre en rien des laquais dans une pareille affaire : un secret peut par hasard Ëtre trahi par des gentilshommes, mais il est presque toujours vendu par des laquais. -- Le plan de Porthos me semble impraticable, dit d'Artagnan, en ce que j'ignore moi-mËme quelles instructions je puis vous donner. Je suis porteur d'une lettre, voilÁ tout. Je n'ai pas et ne puis faire trois copies de cette lettre, puisqu'elle est scellÊe ; il faut donc, Á mon avis, voyager de compagnie. Cette lettre est lÁ, dans cette poche. Et il montra la poche oÝ Êtait la lettre. Si je suis tuÊ, l'un de vous la prendra et vous continuerez la route ; s'il est tuÊ, ce sera le tour d'un autre, et ainsi de suite ; pourvu qu'un seul arrive, c'est tout ce qu'il faut. -- Bravo, d'Artagnan ! ton avis est le mien, dit Athos. Il faut Ëtre consÊquent, d'ailleurs : je vais prendre les eaux, vous m'accompagnerez ; au lieu des eaux de Forges, je vais prendre les eaux de mer ; je suis libre. On veut nous arrËter, je montre la lettre de M. de TrÊville, et vous montrez vos congÊs ; on nous attaque, nous nous dÊfendons ; on nous juge, nous soutenons mordicus que nous n'avions d'autre intention que de nous tremper un certain nombre de fois dans la mer ; on aurait trop bon marchÊ de quatre hommes isolÊs, tandis que quatre hommes rÊunis font une troupe. Nous armerons les quatre laquais de pistolets et de mousquetons ; si l'on envoie une armÊe contre nous, nous livrerons bataille, et le survivant, comme l'a dit d'Artagnan, portera la lettre. -- Bien dit, s'Êcria Aramis ; tu ne parles pas souvent, Athos, mais quand tu parles, c'est comme saint Jean Bouche d'or. J'adopte le plan d'Athos. Et toi, Porthos ? -- Moi aussi, dit Porthos, s'il convient Á d'Artagnan. D'Artagnan, porteur de la lettre, est naturellement le chef de l'entreprise ; qu'il dÊcide, et nous exÊcuterons. -- Eh bien, dit d'Artagnan, je dÊcide que nous adoptions le plan d'Athos et que nous partions dans une demi-heure. -- AdoptÊ ! " reprirent en choeur les trois mousquetaires. Et chacun, allongeant la main vers le sac, prit soixante-quinze pistoles et fit ses prÊparatifs pour partir Á l'heure convenue. CHAPITRE XX. VOYAGE A deux heures du matin, nos quatre aventuriers sortirent de Paris par la barriÉre Saint-Denis ; tant qu'il fit nuit, ils restÉrent muets ; malgrÊ eux, ils subissaient l'influence de l'obscuritÊ et voyaient des embÙches partout. Aux premiers rayons du jour, leurs langues se dÊliÉrent ; avec le soleil, la gaietÊ revint : c'Êtait comme Á la veille d'un combat, le coeur battait, les yeux riaient ; on sentait que la vie qu'on allait peut-Ëtre quitter Êtait, au bout du compte, une bonne chose. L'aspect de la caravane, au reste, Êtait des plus formidables : les chevaux noirs des mousquetaires, leur tournure martiale, cette habitude de l'escadron qui fait marcher rÊguliÉrement ces nobles compagnons du soldat, eussent trahi le plus strict incognito. Les valets suivaient, armÊs jusqu'aux dents. Tout alla bien jusqu'Á Chantilly, oÝ l'on arriva vers les huit heures du matin. Il fallait dÊjeuner. On descendit devant une auberge que recommandait une enseigne reprÊsentant Saint Martin donnant la moitiÊ de son manteau Á un pauvre . On enjoignit aux laquais de ne pas desseller les chevaux et de se tenir prËts Á repartir immÊdiatement. On entra dans la salle commune, et l'on se mit Á table. Un gentilhomme, qui venait d'arriver par la route de Dammartin, Êtait assis Á cette mËme table et dÊjeunait. Il entama la conversation sur la pluie et le beau temps ; les voyageurs rÊpondirent : il but Á leur santÊ ; les voyageurs lui rendirent sa politesse. Mais au moment oÝ Mousqueton venait annoncer que les chevaux Êtaient prËts et oÝ l'on se levait de table, l'Êtranger proposa Á Porthos la santÊ du cardinal. Porthos rÊpondit qu'il ne demandait pas mieux, si l'Êtranger Á son tour voulait boire Á la santÊ du roi. L'Êtranger s'Êcria qu'il ne connaissait d'autre roi que Son Eminence. Porthos l'appela ivrogne ; l'Êtranger tira son ÊpÊe. " Vous avez fait une sottise, dit Athos ; n'importe, il n'y a plus Á reculer maintenant : tuez cet homme et venez nous rejoindre le plus vite que vous pourrez. " Et tous trois remontÉrent Á cheval et repartirent Á toute bride, tandis que Porthos promettait Á son adversaire de le perforer de tous les coups connus dans l'escrime. " Et d'un ! dit Athos au bout de cinq cents pas. -- Mais pourquoi cet homme s'est-il attaquÊ Á Porthos plutÆt qu'Á tout autre ? demanda Aramis. -- Parce que, Porthos parlant plus haut que nous tous, il l'a pris pour le chef, dit d'Artagnan. -- J'ai toujours dit que ce cadet de Gascogne Êtait un puits de sagesse " , murmura Athos. Et les voyageurs continuÉrent leur route. A Beauvais, on s'arrËta deux heures, tant pour faire souffler les chevaux que pour attendre Porthos. Au bout de deux heures, comme Porthos n'arrivait pas, ni aucune nouvelle de lui, on se remit en chemin. A une lieue de Beauvais, Á un endroit oÝ le chemin se trouvait resserrÊ entre deux talus, on rencontra huit ou dix hommes qui, profitant de ce que la route Êtait dÊpavÊe en cet endroit, avaient l'air d'y travailler en y creusant des trous et en pratiquant des orniÉres boueuses. Aramis, craignant de salir ses bottes dans ce mortier artificiel, les apostropha durement. Athos voulut le retenir, il Êtait trop tard. Les ouvriers se mirent Á railler les voyageurs, et firent perdre par leur insolence la tËte mËme au froid Athos qui poussa son cheval contre l'un d'eux. Alors chacun de ces hommes recula jusqu'au fossÊ et y prit un mousquet cachÊ ; il en rÊsulta que nos sept voyageurs furent littÊralement passÊs par les armes. Aramis reÚut une balle qui lui traversa l'Êpaule, et Mousqueton une autre balle qui se logea dans les parties charnues qui prolongent le bas des reins. Cependant Mousqueton seul tomba de cheval, non pas qu'il fÙt griÉvement blessÊ, mais, comme il ne pouvait voir sa blessure, sans doute il crut Ëtre plus dangereusement blessÊ qu'il ne l'Êtait. " C'est une embuscade, dit d'Artagnan, ne brÙlons pas une amorce, et en route. " Aramis, tout blessÊ qu'il Êtait, saisit la criniÉre de son cheval, qui l'emporta avec les autres. Celui de Mousqueton les avait rejoints, et galopait tout seul Á son rang. " Cela nous fera un cheval de rechange, dit Athos. -- J'aimerais mieux un chapeau, dit d'Artagnan ; le mien a ÊtÊ emportÊ par une balle. C'est bien heureux, ma foi, que la lettre que je porte n'ait pas ÊtÊ dedans. -- Ah ÚÁ, mais ils vont tuer le pauvre Porthos quand il passera, dit Aramis. -- Si Porthos Êtait sur ses jambes, il nous aurait rejoints maintenant, dit Athos. M'est avis que, sur le terrain, l'ivrogne se sera dÊgrisÊ. " Et l'on galopa encore pendant deux heures, quoique les chevaux fussent si fatiguÊs, qu'il Êtait Á craindre qu'ils ne refusassent bientÆt le service. Les voyageurs avaient pris la traverse, espÊrant de cette faÚon Ëtre moins inquiÊtÊs, mais, Á CrÉve-coeur, Aramis dÊclara qu'il ne pouvait aller plus loin. En effet, il avait fallu tout le courage qu'il cachait sous sa forme ÊlÊgante et sous ses faÚons polies pour arriver jusque-lÁ. A tout moment il p×lissait, et l'on Êtait obligÊ de le soutenir sur son cheval ; on le descendit Á la porte d'un cabaret, on lui laissa Bazin qui, au reste, dans une escarmouche, Êtait plus embarrassant qu'utile, et l'on repartit dans l'espÊrance d'aller coucher Á Amiens. " Morbleu ! dit Athos, quand ils se retrouvÉrent en route, rÊduits Á deux maÏtres et Á Grimaud et Planchet, morbleu ! je ne serai plus leur dupe, et je vous rÊponds qu'ils ne me feront pas ouvrir la bouche ni tirer l'ÊpÊe d'ici Á Calais. J'en jure... -- Ne jurons pas, dit d'Artagnan, galopons, si toutefois nos chevaux y consentent. " Et les voyageurs enfoncÉrent leurs Êperons dans le ventre de leurs chevaux, qui, vigoureusement stimulÊs, retrouvÉrent des forces. On arriva Á Amiens Á minuit, et l'on descendit Á l'auberge du Lis d'Or . L'hÆtelier avait l'air du plus honnËte homme de la terre, il reÚut les voyageurs son bougeoir d'une main et son bonnet de coton de l'autre ; il voulut loger les deux voyageurs chacun dans une charmante chambre, malheureusement chacune de ces chambres Êtait Á l'extrÊmitÊ de l'hÆtel. D'Artagnan et Athos refusÉrent ; l'hÆte rÊpondit qu'il n'y en avait cependant pas d'autres dignes de Leurs Excellences ; mais les voyageurs dÊclarÉrent qu'ils coucheraient dans la chambre commune, chacun sur un matelas qu'on leur jetterait Á terre. L'hÆte insista, les voyageurs tinrent bon ; il fallut faire ce qu'ils voulurent. Ils venaient de disposer leur lit et de barricader leur porte en dedans, lorsqu'on frappa au volet de la cour ; ils demandÉrent qui Êtait lÁ, reconnurent la voix de leurs valets et ouvrirent. En effet, c'Êtaient Planchet et Grimaud. " Grimaud suffira pour garder les chevaux, dit Planchet ; si ces Messieurs veulent, je coucherai en travers de leur porte ; de cette faÚon-lÁ, ils seront sÙrs qu'on n'arrivera pas jusqu'Á eux. -- Et sur quoi coucheras-tu ? dit d'Artagnan.-- Voici mon lit " , rÊpondit Planchet. Et il montra une botte de paille. " Viens donc, dit d'Artagnan, tu as raison : la figure de l'hÆte ne me convient pas, elle est trop gracieuse. -- Ni Á moi non plus " , dit Athos. Planchet monta par la fenËtre, s'installa en travers de la porte, tandis que Grimaud allait s'enfermer dans l'Êcurie, rÊpondant qu'Á cinq heures du matin lui et les quatre chevaux seraient prËts. La nuit fut assez tranquille, on essaya bien vers les deux heures du matin d'ouvrir la porte ;, mais comme Planchet se rÊveilla en sursaut et cria : -- Qui va lÁ ? -- on rÊpondit qu'on se trompait, et on s'Êloigna. A quatre heures du matin, on entendit un grand bruit dans les Êcuries. Grimaud avait voulu rÊveiller les garÚons d'Êcurie, et les garÚons d'Êcurie le battaient. Quand on ouvrit la fenËtre, on vit le pauvre garÚon sans connaissance, la tËte fendue d'un coup de manche Á fourche. Planchet descendit dans la cour et voulut seller les chevaux ; les chevaux Êtaient fourbus. Celui de Mousqueton seul, qui avait voyagÊ sans maÏtre pendant cinq ou six heures la veille, aurait pu continuer la route ; mais, par une erreur inconcevable, le chirurgien vÊtÊrinaire qu'on avait envoyÊ chercher, Á ce qu'il paraÏt, pour saigner le cheval de l'hÆte, avait saignÊ celui de Mousqueton. Cela commenÚait Á devenir inquiÊtant : tous ces accidents successifs Êtaient peut-Ëtre le rÊsultat du hasard, mais ils pouvaient tout aussi bien Ëtre le fruit d'un complot. Athos et d'Artagnan sortirent, tandis que Planchet allait s'informer s'il n'y avait pas trois chevaux Á vendre dans les environs. A la porte Êtaient deux chevaux tout ÊquipÊs, frais et vigoureux. Cela faisait bien l'affaire. Il demanda oÝ Êtaient les maÏtres ; on lui dit que les maÏtres avaient passÊ la nuit dans l'auberge et rÊglaient leur compte Á cette heure avec le maÏtre. Athos descendit pour payer la dÊpense, tandis que d'Artagnan et Planchet se tenaient sur la porte de la rue ; l'hÆtelier Êtait dans une chambre basse et reculÊe, on pria Athos d'y passer. Athos entra sans dÊfiance et tira deux pistoles pour payer : l'hÆte Êtait seul et assis devant son bureau, dont un des tiroirs Êtait entrouvert. Il prit l'argent que lui prÊsenta Athos, le tourna et le retourna dans ses mains, et tout Á coup, s'Êcriant que la piÉce Êtait fausse, il dÊclara qu'il allait le faire arrËter, lui et son compagnon, comme faux-monnayeurs. " DrÆle ! dit Athos, en marchant sur lui, je vais te couper les oreilles ! " Au mËme moment, quatre hommes armÊs jusqu'aux dents entrÉrent par les portes latÊrales et se jetÉrent sur Athos. " Je suis pris, cria Athos de toutes les forces de ses poumons ; au large, d'Artagnan ! pique, pique ! " et il l×cha deux coups de pistolet. D'Artagnan et Planchet ne se le firent pas rÊpÊter Á deux fois, ils dÊtachÉrent les deux chevaux qui attendaient Á la porte, sautÉrent dessus, leur enfoncÉrent leurs Êperons dans le ventre et partirent au triple galop. " Sais-tu ce qu'est devenu Athos ? demanda d'Artagnan Á Planchet en courant. -- Ah ! Monsieur, dit Planchet, j'en ai vu tomber deux Á ses deux coups, et il m'a semblÊ, Á travers la porte vitrÊe, qu'il ferraillait avec les autres. -- Brave Athos ! murmura d'Artagnan. Et quand on pense qu'il faut l'abandonner ! Au reste, autant nous attend peut-Ëtre Á deux pas d'ici. En avant, Planchet, en avant ! tu es un brave homme. -- Je vous l'ai dit, Monsieur, rÊpondit Planchet, les Picards, Úa se reconnaÏt Á l'user ; d'ailleurs je suis ici dans mon pays, Úa m'excite. " Et tous deux, piquant de plus belle, arrivÉrent Á Saint-Omer d'une seule traite. A Saint-Omer, ils firent souffler les chevaux la bride passÊe Á leurs bras, de peur d'accident, et mangÉrent un morceau sur le pouce tout debout dans la rue ; aprÉs quoi ils repartirent. A cent pas des portes de Calais, le cheval de d'Artagnan s'abattit, et il n'y eut pas moyen de le faire se relever : le sang lui sortait par le nez et par les yeux ; restait celui de Planchet, mais celui-lÁ s'Êtait arrËtÊ, et il n'y eut plus moyen de le faire repartir. Heureusement, comme nous l'avons dit, ils Êtaient Á cent pas de la ville ; ils laissÉrent les deux montures sur le grand chemin et coururent au port. Planchet fit remarquer Á son maÏtre un gentilhomme qui arrivait avec son valet et qui ne les prÊcÊdait que d'une cinquantaine de pas. Ils s'approchÉrent vivement de ce gentilhomme, qui paraissait fort affairÊ. Il avait ses bottes couvertes de poussiÉre, et s'informait s'il ne pourrait point passer Á l'instant mËme en Angleterre. " Rien ne serait plus facile, rÊpondit le patron d'un b×timent prËt Á mettre Á la voile ; mais, ce matin, est arrivÊ l'ordre de ne laisser partir personne sans une permission expresse de M. le cardinal. -- J'ai cette permission, dit le gentilhomme en tirant un papier de sa poche ; la voici. -- Faites-la viser par le gouverneur du port, dit le patron, et donnez-moi la prÊfÊrence. -- OÝ trouverai-je le gouverneur ? -- A sa campagne. -- Et cette campagne est situÊe ? -- A un quart de lieue de la ville ; tenez, vous la voyez d'ici, au pied de cette petite Êminence, ce toit en ardoises. -- TrÉs bien ! " dit le gentilhomme. Et, suivi de son laquais, il prit le chemin de la maison de campagne du gouverneur. D'Artagnan et Planchet suivirent le gentilhomme Á cinq cents pas de distance. Une fois hors de la ville, d'Artagnan pressa le pas et rejoignit le gentilhomme comme il entrait dans un petit bois. " Monsieur, lui dit d'Artagnan, vous me paraissez fort pressÊ ? -- On ne peut plus pressÊ, Monsieur. -- J'en suis dÊsespÊrÊ, dit d'Artagnan, car, comme je suis trÉs pressÊ aussi, je voulais vous prier de me rendre un service. -- Lequel ? -- De me laisser passer le premier. -- Impossible, dit le gentilhomme, j'ai fait soixante lieues en quarante- quatre heures, et il faut que demain Á midi je sois Á Londres. -- J'ai fait le mËme chemin en quarante heures, et il faut que demain Á dix heures du matin je sois Á Londres. -- DÊsespÊrÊ, Monsieur ; mais je suis arrivÊ le premier et je ne passerai pas le second. -- DÊsespÊrÊ, Monsieur ; mais je suis arrivÊ le second, et je passerai le premier. -- Service du roi ! dit le gentilhomme. -- Service de moi ! dit d'Artagnan. -- Mais c'est une mauvaise querelle que vous me cherchez lÁ, ce me semble. -- Parbleu ! que voulez-vous que ce soit ? -- Que dÊsirez-vous ? -- Vous voulez le savoir ? -- Certainement. -- Eh bien, je veux l'ordre dont vous Ëtes porteur, attendu que je n'en ai pas, moi, et qu'il m'en faut un. -- Vous plaisantez, je prÊsume. -- Je ne plaisante jamais. -- Laissez-moi passer ! -- Vous ne passerez pas. -- Mon brave jeune homme, je vais vous casser la tËte. HolÁ, Lubin ! mes pistolets. -- Planchet, dit d'Artagnan, charge-toi du valet, je me charge du maÏtre. " Planchet, enhardi par le premier exploit, sauta sur Lubin, et comme il Êtait fort et vigoureux, il le renversa les reins contre terre et lui mit le genou sur la poitrine. " Faites votre affaire, Monsieur, dit Planchet ; moi, j'ai fait la mienne. " Voyant cela, le gentilhomme tira son ÊpÊe et fondit sur d'Artagnan ; mais il avait affaire Á forte partie. En trois secondes d'Artagnan lui fournit trois coups d'ÊpÊe en disant Á chaque coup : " Un pour Athos, un pour Porthos, un pour Aramis. " Au troisiÉme coup, le gentilhomme tomba comme une masse. D'Artagnan le crut mort, ou tout au moins Êvanoui, et s'approcha pour lui prendre l'ordre ; mais au moment oÝ il Êtendait le bras afin de le fouiller, le blessÊ qui n'avait pas l×chÊ son ÊpÊe, lui porta un coup de pointe dans la poitrine en disant : " Un pour vous. -- Et un pour moi ! au dernier les bons ! " s'Êcria d'Artagnan furieux, en le clouant par terre d'un quatriÉme coup d'ÊpÊe dans le ventre. Cette fois, le gentilhomme ferma les yeux et s'Êvanouit. D'Artagnan fouilla dans la poche oÝ il l'avait vu remettre l'ordre de passage, et le prit. Il Êtait au nom du comte de Wardes. Puis, jetant un dernier coup d'oeil sur le beau jeune homme, qui avait vingt-cinq ans Á peine et qu'il laissait lÁ, gisant, privÊ de sentiment et peut-Ëtre mort, il poussa un soupir sur cette Êtrange destinÊe qui porte les hommes Á se dÊtruire les uns les autres pour les intÊrËts de gens qui leur sont Êtrangers et qui souvent ne savent pas mËme qu'ils existent. Mais il fut bientÆt tirÊ de ces rÊflexions par Lubin, qui poussait des hurlements et criait de toutes ses forces au secours. Planchet lui appliqua la main sur la gorge et serra de toutes ses forces. " Monsieur, dit-il, tant que je le tiendrai ainsi, il ne criera pas, j'en suis bien sÙr ; mais aussitÆt que je le l×cherai, il va se remettre Á crier. Je le reconnais pour un Normand, et les Normands sont entËtÊs. " En effet, tout comprimÊ qu'il Êtait, Lubin essayait encore de filer des sons. " Attends ! " dit d'Artagnan. Et prenant son mouchoir, il le b×illonna. " Maintenant, dit Planchet, lions-le Á un arbre. " La chose fut faite en conscience, puis on tira le comte de Wardes prÉs de son domestique ; et comme la nuit commenÚait Á tomber et que le garrottÊ et le blessÊ Êtaient tous deux Á quelques pas dans le bois, il Êtait Êvident qu'ils devaient rester jusqu'au lendemain. " Et maintenant, dit d'Artagnan, chez le gouverneur ! -- Mais vous Ëtes blessÊ, ce me semble ? dit Planchet. -- Ce n'est rien, occupons-nous du plus pressÊ ; puis nous reviendrons Á ma blessure, qui, au reste, ne me paraÏt pas trÉs dangereuse. " Et tous deux s'acheminÉrent Á grands pas vers la campagne du digne fonctionnaire. On annonÚa M. le comte de Wardes. D'Artagnan fut introduit. " Vous avez un ordre signÊ du cardinal ? dit le gouverneur. -- Oui, Monsieur, rÊpondit d'Artagnan, le voici. -- Ah ! ah ! il est en rÉgle et bien recommandÊ, dit le gouverneur. -- C'est tout simple, rÊpondit d'Artagnan, je suis de ses plus fidÉles. -- Il paraÏt que Son Eminence veut empËcher quelqu'un de parvenir en Angleterre. -- Oui, un certain d'Artagnan, un gentilhomme bÊarnais qui est parti de Paris avec trois de ses amis dans l'intention de gagner Londres. -- Le connaissez-vous personnellement ? demanda le gouverneur. -- Qui cela ? -- Ce d'Artagnan ? -- A merveille. -- Donnez-moi son signalement alors. -- Rien de plus facile. " Et d'Artagnan donna trait pour trait le signalement du comte de Wardes. " Est-il accompagnÊ ? demanda le gouverneur. -- Oui, d'un valet nommÊ Lubin. -- On veillera sur eux, et si on leur met la main dessus, Son Eminence peut Ëtre tranquille, ils seront reconduits Á Paris sous bonne escorte. -- Et ce faisant, Monsieur le gouverneur, dit d'Artagnan, vous aurez bien mÊritÊ du cardinal. -- Vous le reverrez Á votre retour, Monsieur le comte ? -- Sans aucun doute. -- Dites-lui, je vous prie, que je suis bien son serviteur. -- Je n'y manquerai pas. " Et joyeux de cette assurance, le gouverneur visa le laissez-passer et le remit Á d'Artagnan. D'Artagnan ne perdit pas son temps en compliments inutiles, il salua le gouverneur, le remercia et partit. Une fois dehors, lui et Planchet prirent leur course, et faisant un long dÊtour, ils ÊvitÉrent le bois et rentrÉrent par une autre porte. Le b×timent Êtait toujours prËt Á partir, le patron attendait sur le port. " Eh bien ? dit-il en apercevant d'Artagnan. -- Voici ma passe visÊe, dit celui-ci. -- Et cet autre gentilhomme ? -- Il ne partira pas aujourd'hui, dit d'Artagnan, mais soyez tranquille, je paierai le passage pour nous deux. -- En ce cas, partons, dit le patron. -- Partons ! " rÊpÊta d'Artagnan. Et il sauta avec Planchet dans le canot ; cinq minutes aprÉs, ils Êtaient Á bord. Il Êtait temps : Á une demi-lieue en mer, d'Artagnan vit briller une lumiÉre et entendit une dÊtonation. C'Êtait le coup de canon qui annonÚait la fermeture du port. Il Êtait temps de s'occuper de sa blessure ; heureusement, comme l'avait pensÊ d'Artagnan, elle n'Êtait pas des plus dangereuses : la pointe de l'ÊpÊe avait rencontrÊ une cÆte et avait glissÊ le long de l'os ; de plus, la chemise s'Êtait collÊe aussitÆt Á la plaie, et Á peine avait-elle rÊpandu quelques gouttes de sang. D'Artagnan Êtait brisÊ de fatigue : on lui Êtendit un matelas sur le pont, il se jeta dessus et s'endormit. Le lendemain, au point du jour, il se trouva Á trois ou quatre lieues seulement des cÆtes d'Angleterre ; la brise avait ÊtÊ faible toute la nuit, et l'on avait peu marchÊ. A dix heures, le b×timent jetait l'ancre dans le port de Douvres. A dix heures et demie, d'Artagnan mettait le pied sur la terre d'Angleterre, en s'Êcriant : " Enfin, m'y voilÁ ! " Mais ce n'Êtait pas tout : il fallait gagner Londres. En Angleterre, la poste Êtait assez bien servie. D'Artagnan et Planchet prirent chacun un bidet, un postillon courut devant eux ; en quatre heures ils arrivÉrent aux portes de la capitale. D'Artagnan ne connaissait pas Londres, d'Artagnan ne savait pas un mot d'anglais ; mais il Êcrivit le nom de Buckingham sur un papier, et chacun lui indiqua l'hÆtel du duc. Le duc Êtait Á la chasse Á Windsor, avec le roi. D'Artagnan demanda le valet de chambre de confiance du duc, qui, l'ayant accompagnÊ dans tous ses voyages, parlait parfaitement franÚais ; il lui dit qu'il arrivait de Paris pour affaire de vie et de mort, et qu'il fallait qu'il parl×t Á son maÏtre Á l'instant mËme. La confiance avec laquelle parlait d'Artagnan convainquit Patrice ; c'Êtait le nom de ce ministre du ministre. Il fit seller deux chevaux et se chargea de conduire le jeune garde. Quant Á Planchet, on l'avait descendu de sa monture, raide comme un jonc : le pauvre garÚon Êtait au bout de ses forces ; d'Artagnan semblait de fer. On arriva au ch×teau ; lÁ on se renseigna : le roi et Buckingham chassaient Á l'oiseau dans des marais situÊs Á deux ou trois lieues de lÁ. En vingt minutes on fut au lieu indiquÊ. BientÆt Patrice entendit la voix de son maÏtre, qui appelait son faucon. " Qui faut-il que j'annonce Á Milord duc ? demanda Patrice. -- Le jeune homme qui, un soir, lui a cherchÊ une querelle sur le Pont- Neuf, en face de la Samaritaine. -- SinguliÉre recommandation ! -- Vous verrez qu'elle en vaut bien une autre. " Patrice mit son cheval au galop, atteignit le duc et lui annonÚa dans les termes que nous avons dits qu'un messager l'attendait. Buckingham reconnut d'Artagnan Á l'instant mËme, et se doutant que quelque chose se passait en France dont on lui faisait parvenir la nouvelle, il ne prit que le temps de demander oÝ Êtait celui qui la lui apportait ; et ayant reconnu de loin l'uniforme des gardes, il mit son cheval au galop et vint droit Á d'Artagnan. Patrice, par discrÊtion, se tint Á l'Êcart. " Il n'est point arrivÊ malheur Á la reine ? s'Êcria Buckingham, rÊpandant toute sa pensÊe et tout son amour dans cette interrogation. -- Je ne crois pas ; cependant je crois qu'elle court quelque grand pÊril dont Votre Gr×ce seule peut la tirer. -- Moi ? s'Êcria Buckingham. Eh quoi ! je serais assez heureux pour lui Ëtre bon Á quelque chose ! Parlez ! parlez ! -- Prenez cette lettre, dit d'Artagnan. -- Cette lettre ! de qui vient cette lettre ? -- De Sa MajestÊ, Á ce que je pense. -- De Sa MajestÊ ! " dit Buckingham, p×lissant si fort que d'Artagnan crut qu'il allait se trouver mal. Et il brisa le cachet. " Quelle est cette dÊchirure ? dit-il en montrant Á d'Artagnan un endroit oÝ elle Êtait percÊe Á jour. -- Ah ! ah ! dit d'Artagnan, je n'avais pas vu cela ; c'est l'ÊpÊe du comte de Wardes qui aura fait ce beau coup en me trouant la poitrine. -- Vous Ëtes blessÊ ? demanda Buckingham en rompant le cachet. -- Oh ! rien ! dit d'Artagnan, une Êgratignure. -- Juste Ciel ! qu'ai-je lu ! s'Êcria le duc. Patrice, reste ici, ou plutÆt rejoins le roi partout oÝ il sera, et dis Á Sa MajestÊ que je la supplie bien humblement de m'excuser, mais qu'une affaire de la plus haute importance me rappelle Á Londres. Venez, Monsieur, venez. " Et tous deux reprirent au galop le chemin de la capitale. CHAPITRE XXI. LA COMTESSE DE WINTER Tout le long de la route, le duc se fit mettre au courant par d'Artagnan non pas de tout ce qui s'Êtait passÊ, mais de ce que d'Artagnan savait. En rapprochant ce qu'il avait entendu sortir de la bouche du jeune homme de ses souvenirs Á lui, il put donc se faire une idÊe assez exacte d'une position de la gravitÊ de laquelle, au reste, la lettre de la reine, si courte et si peu explicite qu'elle fÙt, lui donnait la mesure. Mais ce qui l'Êtonnait surtout, c'est que le cardinal, intÊressÊ comme il l'Êtait Á ce que le jeune homme ne mÏt pas le pied en Angleterre, ne fÙt point parvenu Á l'arrËter en route. Ce fut alors, et sur la manifestation de cet Êtonnement, que d'Artagnan lui raconta les prÊcautions prises, et comment, gr×ce au dÊvouement de ses trois amis qu'il avait ÊparpillÊs tout sanglants sur la route, il Êtait arrivÊ Á en Ëtre quitte pour le coup d'ÊpÊe qui avait traversÊ le billet de la reine, et qu'il avait rendu Á M. de Wardes en si terrible monnaie. Tout en Êcoutant ce rÊcit, fait avec la plus grande simplicitÊ, le duc regardait de temps en temps le jeune homme d'un air ÊtonnÊ, comme s'il n'eÙt pas pu comprendre que tant de prudence, de courage et de dÊvouement s'alli×t avec un visage qui n'indiquait pas encore vingt ans. Les chevaux allaient comme le vent, et en quelques minutes ils furent aux portes de Londres. D'Artagnan avait cru qu'en arrivant dans la ville le duc allait ralentir l'allure du sien, mais il n'en fut pas ainsi : il continua sa route Á fond de train, s'inquiÊtant peu de renverser ceux qui Êtaient sur son chemin. En effet, en traversant la CitÊ, deux ou trois accidents de ce genre arrivÉrent ; mais Buckingham ne dÊtourna pas mËme la tËte pour regarder ce qu'Êtaient devenus ceux qu'il avait culbutÊs. D'Artagnan le suivait au milieu de cris qui ressemblaient fort Á des malÊdictions. En entrant dans la cour de l'hÆtel, Buckingham sauta Á bas de son cheval, et, sans s'inquiÊter de ce qu'il deviendrait, il lui jeta la bride sur le cou et s'ÊlanÚa vers le perron. D'Artagnan en fit autant, avec un peu plus d'inquiÊtude, cependant, pour ces nobles animaux dont il avait pu apprÊcier le mÊrite ; mais il eut la consolation de voir que trois ou quatre valets s'Êtaient dÊjÁ ÊlancÊs des cuisines et des Êcuries, et s'emparaient aussitÆt de leurs montures. Le duc marchait si rapidement, que d'Artagnan avait peine Á le suivre. Il traversa successivement plusieurs salons d'une ÊlÊgance dont les plus grands seigneurs de France n'avaient pas mËme l'idÊe, et il parvint enfin dans une chambre Á coucher qui Êtait Á la fois un miracle de goÙt et de richesse. Dans l'alcÆve de cette chambre Êtait une porte, prise dans la tapisserie, que le duc ouvrit avec une petite clef d'or qu'il portait suspendue Á son cou par une chaÏne du mËme mÊtal. Par discrÊtion, d'Artagnan Êtait restÊ en arriÉre ; mais au moment oÝ Buckingham franchissait le seuil de cette porte, il se retourna, et voyant l'hÊsitation du jeune homme : " Venez, lui dit-il, et si vous avez le bonheur d'Ëtre admis en la prÊsence de Sa MajestÊ, dites-lui ce que vous avez vu. " EncouragÊ par cette invitation, d'Artagnan suivit le duc, qui referma la porte derriÉre lui. Tous deux se trouvÉrent alors dans une petite chapelle toute tapissÊe de soie de Perse et brochÊe d'or, ardemment ÊclairÊe par un grand nombre de bougies. Au-dessus d'une espÉce d'autel, et au-dessous d'un dais de velours bleu surmontÊ de plumes blanches et rouges, Êtait un portrait de grandeur naturelle reprÊsentant Anne d'Autriche, si parfaitement ressemblant, que d'Artagnan poussa un cri de surprise : on eÙt cru que la reine allait parler. Sur l'autel, et au-dessous du portrait, Êtait le coffret qui renfermait les ferrets de diamants. Le duc s'approcha de l'autel, s'agenouilla comme eÙt pu faire un prËtre devant le Christ ; puis il ouvrit le coffret. " Tenez, lui dit-il en tirant du coffre un gros noeud de ruban bleu tout Êtincelant de diamants ; tenez, voici ces prÊcieux ferrets avec lesquels j'avais fait le serment d'Ëtre enterrÊ. La reine me les avait donnÊs, la reine me les reprend : sa volontÊ, comme celle de Dieu, soit faite en toutes choses. " Puis il se mit Á baiser les uns aprÉs les autres ces ferrets dont il fallait se sÊparer. Tout Á coup, il poussa un cri terrible. " Qu'y a-t-il ? demanda d'Artagnan avec inquiÊtude, et que vous arrive-t-il, Milord ? -- Il y a que tout est perdu, s'Êcria Buckingham en devenant p×le comme un trÊpassÊ ; deux de ces ferrets manquent, il n'y en a plus que dix. -- Milord les a-t-il perdus, ou croit-il qu'on les lui ait volÊs ? -- On me les a volÊs, reprit le duc, et c'est le cardinal qui a fait le coup. Tenez, voyez, les rubans qui les soutenaient ont ÊtÊ coupÊs avec des ciseaux. -- Si Milord pouvait se douter qui a commis le vol... Peut-Ëtre la personne les a-t-elle encore entre les mains. -- Attendez, attendez ! s'Êcria le duc. La seule fois que j'ai mis ces ferrets, c'Êtait au bal du roi, il y a huit jours, Á Windsor. La comtesse de Winter, avec laquelle j'Êtais brouillÊ, s'est rapprochÊe de moi Á ce bal. Ce raccommodement, c'Êtait une vengeance de femme jalouse. Depuis ce jour, je ne l'ai pas revue. Cette femme est un agent du cardinal. -- Mais il en a donc dans le monde entier ! s'Êcria d'Artagnan. -- Oh ! oui, oui, dit Buckingham en serrant les dents de colÉre ; oui, c'est un terrible lutteur. Mais cependant, quand doit avoir lieu ce bal ? -- Lundi prochain. -- Lundi prochain ! cinq jours encore, c'est plus de temps qu'il ne nous en faut. Patrice ! s'Êcria le duc en ouvrant la porte de la chapelle, Patrice ! " Son valet de chambre de confiance parut. " Mon joaillier et mon secrÊtaire ! " Le valet de chambre sortit avec une promptitude et un mutisme qui prouvaient l'habitude qu'il avait contractÊe d'obÊir aveuglÊment et sans rÊplique. Mais, quoique ce fÙt le joaillier qui eÙt ÊtÊ appelÊ le premier, ce fut le secrÊtaire qui parut d'abord. C'Êtait tout simple, il habitait l'hÆtel. Il trouva Buckingham assis devant une table dans sa chambre Á coucher, et Êcrivant quelques ordres de sa propre main. " Monsieur Jackson, lui dit-il, vous allez vous rendre de ce pas chez le lord-chancelier, et lui dire que je le charge de l'exÊcution de ces ordres. Je dÊsire qu'ils soient promulguÊs Á l'instant mËme. -- Mais, Monseigneur, si le lord-chancelier m'interroge sur les motifs qui ont pu porter Votre Gr×ce Á une mesure si extraordinaire, que rÊpondrai-je ? -- Que tel a ÊtÊ mon bon plaisir, et que je n'ai de compte Á rendre Á personne de ma volontÊ. -- Sera-ce la rÊponse qu'il devra transmettre Á Sa MajestÊ, reprit en souriant le secrÊtaire, si par hasard Sa MajestÊ avait la curiositÊ de savoir pourquoi aucun vaisseau ne peut sortir des ports de la Grande- Bretagne ? -- Vous avez raison, Monsieur, rÊpondit Buckingham ; il dirait en ce cas au roi que j'ai dÊcidÊ la guerre, et que cette mesure est mon premier acte d'hostilitÊ contre la France. " Le secrÊtaire s'inclina et sortit. " Nous voilÁ tranquilles de ce cÆtÊ, dit Buckingham en se retournant vers d'Artagnan. Si les ferrets ne sont point dÊjÁ partis pour la France, ils n'y arriveront qu'aprÉs vous. -- Comment cela ? -- Je viens de mettre un embargo sur tous les b×timents qui se trouvent Á cette heure dans les ports de Sa MajestÊ, et, Á moins de permission particuliÉre, pas un seul n'osera lever l'ancre. " D'Artagnan regarda avec stupÊfaction cet homme qui mettait le pouvoir illimitÊ dont il Êtait revËtu par la confiance d'un roi au service de ses amours. Buckingham vit, Á l'expression du visage du jeune homme, ce qui se passait dans sa pensÊe, et il sourit. " Oui, dit-il, oui, c'est qu'Anne d'Autriche est ma vÊritable reine ; sur un mot d'elle, je trahirais mon pays, je trahirais mon roi, je trahirais mon Dieu. Elle m'a demandÊ de ne point envoyer aux protestants de La Rochelle le secours que je leur avais promis, et je l'ai fait. Je manquais Á ma parole, mais qu'importe ! j'obÊissais Á son dÊsir ; n'ai-je point ÊtÊ grandement payÊ de mon obÊissance, dites ? car c'est Á cette obÊissance que je dois son portrait. " D'Artagnan admira Á quels fils fragiles et inconnus sont parfois suspendues les destinÊes d'un peuple et la vie des hommes. Il en Êtait au plus profond de ses rÊflexions, lorsque l'orfÉvre entra : c'Êtait un Irlandais des plus habiles dans son art, et qui avouait lui- mËme qu'il gagnait cent mille livres par an avec le duc de Buckingham. " Monsieur O'Reilly, lui dit le duc en le conduisant dans la chapelle, voyez ces ferrets de diamants, et dites-moi ce qu'ils valent la piÉce. " L'orfÉvre jeta un seul coup d'oeil sur la faÚon ÊlÊgante dont ils Êtaient montÊs, calcula l'un dans l'autre la valeur des diamants, et sans hÊsitation aucune : " Quinze cents pistoles la piÉce, Milord, rÊpondit-il. -- Combien faudrait-il de jours pour faire deux ferrets comme ceux-lÁ ? Vous voyez qu'il en manque deux. -- Huit jours, Milord. -- Je les paierai trois mille pistoles la piÉce, il me les faut aprÉs-demain. -- Milord les aura. -- Vous Ëtes un homme prÊcieux, Monsieur O'Reilly, mais ce n'est pas le tout : ces ferrets ne peuvent Ëtre confiÊs Á personne, il faut qu'ils soient faits dans ce palais. -- Impossible, Milord, il n'y a que moi qui puisse les exÊcuter pour qu'on ne voie pas la diffÊrence entre les nouveaux et les anciens. -- Aussi, mon cher Monsieur O'Reilly, vous Ëtes mon prisonnier, et vous voudriez sortir Á cette heure de mon palais que vous ne le pourriez pas ; prenez-en donc votre parti. Nommez-moi ceux de vos garÚons dont vous aurez besoin, et dÊsignez-moi les ustensiles qu'ils doivent apporter. " L'orfÉvre connaissait le duc, il savait que toute observation Êtait inutile, il en prit donc Á l'instant mËme son parti. " Il me sera permis de prÊvenir ma femme ? demanda-t-il. -- Oh ! il vous sera mËme permis de la voir, mon cher Monsieur O'Reilly : votre captivitÊ sera douce, soyez tranquille ; et comme tout dÊrangement vaut un dÊdommagement, voici, en dehors du prix des deux ferrets, un bon de mille pistoles pour vous faire oublier l'ennui que je vous cause. " D'Artagnan ne revenait pas de la surprise que lui causait ce ministre, qui remuait Á pleines mains les hommes et les millions. Quant Á l'orfÉvre, il Êcrivit Á sa femme en lui envoyant le bon de mille pistoles, et en la chargeant de lui retourner en Êchange son plus habile apprenti, un assortiment de diamants dont il lui donnait le poids et le titre, et une liste des outils qui lui Êtaient nÊcessaires. Buckingham conduisit l'orfÉvre dans la chambre qui lui Êtait destinÊe, et qui, au bout d'une demi-heure, fut transformÊe en atelier. Puis il mit une sentinelle Á chaque porte, avec dÊfense de laisser entrer qui que ce fÙt, Á l'exception de son valet de chambre Patrice. Il est inutile d'ajouter qu'il Êtait absolument dÊfendu Á l'orfÉvre O'Reilly et Á son aide de sortir sous quelque prÊtexte que ce fÙt. Ce point rÊglÊ, le duc revint Á d'Artagnan. " Maintenant, mon jeune ami, dit-il, l'Angleterre est Á nous deux ; que voulez-vous, que dÊsirez-vous ? -- Un lit, rÊpondit d'Artagnan ; c'est, pour le moment, je l'avoue, la chose dont j'ai le plus besoin. " Buckingham donna Á d'Artagnan une chambre qui touchait Á la sienne. Il voulait garder le jeune homme sous sa main, non pas qu'il se dÊfi×t de lui, mais pour avoir quelqu'un Á qui parler constamment de la reine. Une heure aprÉs fut promulguÊe dans Londres l'ordonnance de ne laisser sortir des ports aucun b×timent chargÊ pour la France, pas mËme le paquebot des lettres. Aux yeux de tous, c'Êtait une dÊclaration de guerre entre les deux royaumes. Le surlendemain, Á onze heures, les deux ferrets en diamants Êtaient achevÊs, mais si exactement imitÊs, mais si parfaitement pareils, que Buckingham ne put reconnaÏtre les nouveaux des anciens, et que les plus exercÊs en pareille matiÉre y auraient ÊtÊ trompÊs comme lui. AussitÆt il fit appeler d'Artagnan. " Tenez, lui dit-il, voici les ferrets de diamants que vous Ëtes venu chercher, et soyez mon tÊmoin que tout ce que la puissance humaine pouvait faire, je l'ai fait. -- Soyez tranquille, Milord : je dirai ce que j'ai vu ; mais Votre Gr×ce me remet les ferrets sans la boÏte ? -- La boÏte vous embarrasserait. D'ailleurs la boÏte m'est d'autant plus prÊcieuse, qu'elle me reste seule. Vous direz que je la garde. -- Je ferai votre commission mot Á mot, Milord. -- Et maintenant, reprit Buckingham en regardant fixement le jeune homme, comment m'acquitterai-je jamais envers vous ? " D'Artagnan rougit jusqu'au blanc des yeux. Il vit que le duc cherchait un moyen de lui faire accepter quelque chose, et cette idÊe que le sang de ses compagnons et le sien lui allait Ëtre payÊ par de l'or anglais lui rÊpugnait Êtrangement. " Entendons-nous, Milord, rÊpondit d'Artagnan, et pesons bien les faits d'avance, afin qu'il n'y ait point de mÊprise. Je suis au service du roi et de la reine de France, et fais partie de la compagnie des gardes de M. des Essarts, lequel, ainsi que son beau-frÉre M. de TrÊville, est tout particuliÉrement attachÊ Á Leurs MajestÊs. J'ai donc tout fait pour la reine et rien pour Votre Gr×ce. Il y a plus, c'est que peut-Ëtre n'eussÊ-je rien fait de tout cela, s'il ne se fÙt agi d'Ëtre agrÊable Á quelqu'un qui est ma dame Á moi, comme la reine est la vÆtre. -- Oui, dit le duc en souriant, et je crois mËme connaÏtre cette autre personne, c'est... -- Milord, je ne l'ai point nommÊe, interrompit vivement le jeune homme. -- C'est juste, dit le duc ; c'est donc Á cette personne que je dois Ëtre reconnaissant de votre dÊvouement. -- Vous l'avez dit, Milord, car justement Á cette heure qu'il est question de guerre, je vous avoue que je ne vois dans Votre Gr×ce qu'un Anglais, et par consÊquent qu'un ennemi que je serais encore plus enchantÊ de rencontrer sur le champ de bataille que dans le parc de Windsor ou dans les corridors du Louvre ; ce qui, au reste, ne m'empËchera pas d'exÊcuter de point en point ma mission et de me faire tuer, si besoin est, pour l'accomplir ; mais, je le rÊpÉte Á Votre Gr×ce, sans qu'elle ait personnellement pour cela plus Á me remercier de ce que je fais pour moi dans cette seconde entrevue, que de ce que j'ai dÊjÁ fait pour elle dans la premiÉre. -- Nous disons, nous : " Fier comme un Ecossais " , murmura Buckingham. -- Et nous disons, nous : " Fier comme un Gascon " , rÊpondit d'Artagnan. Les Gascons sont les Ecossais de la France. " D'Artagnan salua le duc et s'apprËta Á partir. " Eh bien, vous vous en allez comme cela ? Par oÝ ? Comment ? -- C'est vrai. -- Dieu me damne ! les FranÚais ne doutent de rien ! -- J'avais oubliÊ que l'Angleterre Êtait une Ïle, et que vous en Êtiez le roi. -- Allez au port, demandez le brick le Sund , remettez cette lettre au capitaine ; il vous conduira Á un petit port oÝ certes on ne vous attend pas, et oÝ n'abordent ordinairement que des b×timents pËcheurs. -- Ce port s'appelle ? -- Saint-Valery ; mais, attendez donc : arrivÊ lÁ, vous entrerez dans une mauvaise auberge sans nom et sans enseigne, un vÊritable bouge Á matelots ; il n'y a pas Á vous tromper, il n'y en a qu'une. -- AprÉs ? -- Vous demanderez l'hÆte, et vous lui direz : Forward . -- Ce qui veut dire ? -- En avant : c'est le mot d'ordre. Il vous donnera un cheval tout sellÊ et vous indiquera le chemin que vous devez suivre ; vous trouverez ainsi quatre relais sur votre route. Si vous voulez, Á chacun d'eux, donner votre adresse Á Paris, les quatre chevaux vous y suivront ; vous en connaissez dÊjÁ deux, et vous m'avez paru les apprÊcier en amateur : ce sont ceux que nous montions ; rapportez-vous-en Á moi, les autres ne leur sont point infÊrieurs. Ces quatre chevaux sont ÊquipÊs pour la campagne. Si fier que vous soyez, vous ne refuserez pas d'en accepter un et de faire accepter les trois autres Á vos compagnons : c'est pour nous faire la guerre, d'ailleurs. La fin excuse les moyens, comme vous dites, vous autres FranÚais, n'est-ce pas ? -- Oui, Milord, j'accepte, dit d'Artagnan ; et s'il plaÏt Á Dieu, nous ferons bon usage de vos prÊsents. -- Maintenant, votre main, jeune homme ; peut-Ëtre nous rencontrerons-nous bientÆt sur le champ de bataille ; mais, en attendant, nous nous quitterons bons amis, je l'espÉre. -- Oui, Milord, mais avec l'espÊrance de devenir ennemis bientÆt. -- Soyez tranquille, je vous le promets. -- Je compte sur votre parole, Milord. " D'Artagnan salua le duc et s'avanÚa vivement vers le port. En face la Tour de Londres, il trouva le b×timent dÊsignÊ, remit sa lettre au capitaine, qui la fit viser par le gouverneur du port, et appareilla aussitÆt. Cinquante b×timents Êtaient en partance et attendaient. En passant bord Á bord de l'un d'eux, d'Artagnan crut reconnaÏtre la femme de Meung, la mËme que le gentilhomme inconnu avait appelÊe " Milady " , et que lui, d'Artagnan, avait trouvÊe si belle ; mais gr×ce au courant du fleuve et au bon vent qui soufflait, son navire allait si vite qu'au bout d'un instant on fut hors de vue. Le lendemain, vers neuf heures du matin, on aborda Á Saint-Valery. D'Artagnan se dirigea Á l'instant mËme vers l'auberge indiquÊe, et la reconnut aux cris qui s'en Êchappaient : on parlait de guerre entre l'Angleterre et la France comme de chose prochaine et indubitable, et les matelots joyeux faisaient bombance. D'Artagnan fendit la foule, s'avanÚa vers l'hÆte, et prononÚa le mot Forward . A l'instant mËme, l'hÆte lui fit signe de le suivre, sortit avec lui par une porte qui donnait dans la cour, le conduisit Á l'Êcurie oÝ l'attendait un cheval tout sellÊ, et lui demanda s'il avait besoin de quelque autre chose. " J'ai besoin de connaÏtre la route que je dois suivre, dit d'Artagnan. -- Allez d'ici Á Blangy, et de Blangy Á Neufch×tel. A Neufch×tel, entrez Á l'auberge de la Herse d'Or , donnez le mot d'ordre Á l'hÆtelier, et vous trouverez comme ici un cheval tout sellÊ. -- Dois-je quelque chose ? demanda d'Artagnan. -- Tout est payÊ, dit l'hÆte, et largement. Allez donc, et que Dieu vous conduise ! -- Amen ! " rÊpondit le jeune homme en partant au galop. Quatre heures aprÉs, il Êtait Á Neufch×tel. Il suivit strictement les instructions reÚues ; Á Neufch×tel, comme Á Saint-Valery, il trouva une monture toute sellÊe et qui l'attendait ; il voulut transporter les pistolets de la selle qu'il venait de quitter Á la selle qu'il allait prendre : les fontes Êtaient garnies de pistolets pareils. " Votre adresse Á Paris ? -- HÆtel des Gardes, compagnie des Essarts. -- Bien, rÊpondit celui-ci. -- Quelle route faut-il prendre ? demanda Á son tour d'Artagnan. -- Celle de Rouen ; mais vous laisserez la ville Á votre droite. Au petit village d'Ecouis, vous vous arrËterez, il n'y a qu'une auberge, l'Ecu de France . Ne la jugez pas d'aprÉs son apparence ; elle aura dans ses Êcuries un cheval qui vaudra celui-ci. -- MËme mot d'ordre ? -- Exactement. -- Adieu, maÏtre ! -- Bon voyage, gentilhomme ! avez-vous besoin de quelque chose ? " D'Artagnan fit signe de la tËte que non, et repartit Á fond de train. A Ecouis, la mËme scÉne se rÊpÊta : il trouva un hÆte aussi prÊvenant, un cheval frais et reposÊ ; il laissa son adresse comme il l'avait fait, et repartit du mËme train pour Pontoise. A Pontoise, il changea une derniÉre fois de monture, et Á neuf heures il entrait au grand galop dans la cour de l'hÆtel de M. de TrÊville. Il avait fait prÉs de soixante lieues en douze heures. M. de TrÊville le reÚut comme s'il l'avait vu le matin mËme ; seulement, en lui serrant la main un peu plus vivement que de coutume, il lui annonÚa que la compagnie de M. des Essarts Êtait de garde au Louvre et qu'il pouvait se rendre Á son poste. CHAPITRE XXII. LE BALLET DE LA MERLAISON Le lendemain, il n'Êtait bruit dans tout Paris que du bal que MM. les Êchevins de la ville donnaient au roi et Á la reine, et dans lequel Leurs MajestÊs devaient danser le fameux ballet de la Merlaison, qui Êtait le ballet favori du roi. Depuis huit jours on prÊparait, en effet, toutes choses Á l'HÆtel de Ville pour cette solennelle soirÊe. Le menuisier de la ville avait dressÊ des Êchafauds sur lesquels devaient se tenir les dames invitÊes ; l'Êpicier de la ville avait garni les salles de deux cents flambeaux de cire blanche, ce qui Êtait un luxe inouÐ pour cette Êpoque ; enfin vingt violons avaient ÊtÊ prÊvenus, et le prix qu'on leur accordait avait ÊtÊ fixÊ au double du prix ordinaire, attendu, dit ce rapport, qu'ils devaient sonner toute la nuit. A dix heures du matin, le sieur de La Coste, enseigne des gardes du roi, suivi de deux exempts et de plusieurs archers du corps, vint demander au greffier de la ville, nommÊ ClÊment, toutes les clefs des portes, des chambres et bureaux de l'HÆtel. Ces clefs lui furent remises Á l'instant mËme ; chacune d'elles portait un billet qui devait servir Á la faire reconnaÏtre, et Á partir de ce moment le sieur de La Coste fut chargÊ de la garde de toutes les portes et de toutes les avenues. A onze heures vint Á son tour Duhallier, capitaine des gardes, amenant avec lui cinquante archers qui se rÊpartirent aussitÆt dans l'HÆtel de Ville, aux portes qui leur avaient ÊtÊ assignÊes. A trois heures arrivÉrent deux compagnies des gardes, l'une franÚaise, l'autre suisse. La compagnie des gardes franÚaises Êtait composÊe moitiÊ des hommes de M. Duhallier, moitiÊ des hommes de M. des Essarts. A six heures du soir, les invitÊs commencÉrent Á entrer. A mesure qu'ils entraient, ils Êtaient placÊs dans la grande salle, sur les Êchafauds prÊparÊs. A neuf heures arriva Mme la premiÉre prÊsidente. Comme c'Êtait, aprÉs la reine, la personne la plus considÊrable de la fËte, elle fut reÚue par Messieurs de la ville et placÊe dans la loge en face de celle que devait occuper la reine. . A dix heures on dressa la collation des confitures pour le roi, dans la petite salle du cÆtÊ de l'Êglise Saint-Jean, et cela en face du buffet d'argent de la ville, qui Êtait gardÊ par quatre archers. A minuit on entendit de grands cris et de nombreuses acclamations : c'Êtait le roi qui s'avanÚait Á travers les rues qui conduisent du Louvre Á l'HÆtel de Ville, et qui Êtaient toutes illuminÊes avec des lanternes de couleur. AussitÆt MM. les Êchevins, vËtus de leurs robes de drap et prÊcÊdÊs de six sergents tenant chacun un flambeau Á la main, allÉrent au-devant du roi, qu'ils rencontrÉrent sur les degrÊs, oÝ le prÊvÆt des marchands lui fit compliment sur sa bienvenue, compliment auquel Sa MajestÊ rÊpondit en s'excusant d'Ëtre venue si tard, mais en rejetant la faute sur M. le cardinal, lequel l'avait retenue jusqu'Á onze heures pour parler des affaires de l'Etat. Sa MajestÊ, en habit de cÊrÊmonie, Êtait accompagnÊe de S. A. R. Monsieur, du comte de Soissons, du grand prieur, du duc de Longueville, du duc d'Elbeuf, du comte d'Harcourt, du comte de La Roche-Guyon, de M. de Liancourt, de M. de Baradas, du comte de Cramail et du chevalier de Souveray. Chacun remarqua que le roi avait l'air triste et prÊoccupÊ. Un cabinet avait ÊtÊ prÊparÊ pour le roi, et un autre pour Monsieur. Dans chacun de ces cabinets Êtaient dÊposÊs des habits de masques. Autant avait ÊtÊ fait pour la reine et pour Mme la prÊsidente. Les seigneurs et les dames de la suite de Leurs MajestÊs devaient s'habiller deux par deux dans des chambres prÊparÊes Á cet effet. Avant d'entrer dans le cabinet, le roi recommanda qu'on le vÏnt prÊvenir aussitÆt que paraÏtrait le cardinal. Une demi-heure aprÉs l'entrÊe du roi, de nouvelles acclamations retentirent : celles-lÁ annonÚaient l'arrivÊe de la reine : les Êchevins firent ainsi qu'ils avaient fait dÊjÁ, et, prÊcÊdÊs des sergents, ils s'avancÉrent au-devant de leur illustre convive. La reine entra dans la salle : on remarqua que, comme le roi, elle avait l'air triste et surtout fatiguÊ. Au moment oÝ elle entrait, le rideau d'une petite tribune qui jusque-lÁ Êtait restÊ fermÊ s'ouvrit, et l'on vit apparaÏtre la tËte p×le du cardinal vËtu en cavalier espagnol. Ses yeux se fixÉrent sur ceux de la reine, et un sourire de joie terrible passa sur ses lÉvres : la reine n'avait pas ses ferrets de diamants. La reine resta quelque temps Á recevoir les compliments de Messieurs de la ville et Á rÊpondre aux saluts des dames. Tout Á coup, le roi apparut avec le cardinal Á l'une des portes de la salle. Le cardinal lui parlait tout bas, et le roi Êtait trÉs p×le. Le roi fendit la foule et, sans masque, les rubans de son pourpoint Á peine nouÊs, il s'approcha de la reine, et d'une voix altÊrÊe : " Madame, lui dit-il, pourquoi donc, s'il vous plaÏt, n'avez-vous point vos ferrets de diamants, quand vous savez qu'il m'eÙt ÊtÊ agrÊable de les voir ? " La reine Êtendit son regard autour d'elle, et vit derriÉre le roi le cardinal qui souriait d'un sourire diabolique. " Sire, rÊpondit la reine d'une voix altÊrÊe, parce qu'au milieu de cette grande foule j'ai craint qu'il ne leur arriv×t malheur. -- Et vous avez eu tort, Madame ! Si je vous ai fait ce cadeau, c'Êtait pour que vous vous en pariez. Je vous dis que vous avez eu tort. " Et la voix du roi Êtait tremblante de colÉre ; chacun regardait et Êcoutait avec Êtonnement, ne comprenant rien Á ce qui se passait. " Sire, dit la reine, je puis les envoyer chercher au Louvre, oÝ ils sont, et ainsi les dÊsirs de Votre MajestÊ seront accomplis. -- Faites, Madame, faites, et cela au plus tÆt : car dans une heure le ballet va commencer. " La reine salua en signe de soumission et suivit les dames qui devaient la conduire Á son cabinet. De son cÆtÊ, le roi regagna le sien. Il y eut dans la salle un moment de trouble et de confusion. Tout le monde avait pu remarquer qu'il s'Êtait passÊ quelque chose entre le roi et la reine ; mais tous deux avaient parlÊ si bas, que, chacun par respect s'Êtant ÊloignÊ de quelques pas, personne n'avait rien entendu. Les violons sonnaient de toutes leurs forces, mais on ne les Êcoutait pas. Le roi sortit le premier de son cabinet ; il Êtait en costume de chasse des plus ÊlÊgants, et Monsieur et les autres seigneurs Êtaient habillÊs comme lui. C'Êtait le costume que le roi portait le mieux, et vËtu ainsi il semblait vÊritablement le premier gentilhomme de son royaume. Le cardinal s'approcha du roi et lui remit une boÏte. Le roi l'ouvrit et y trouva deux ferrets de diamants. " Que veut dire cela ? demanda-t-il au cardinal. -- Rien, rÊpondit celui-ci ; seulement si la reine a les ferrets, ce dont je doute, comptez-les, Sire, et si vous n'en trouvez que dix, demandez Á Sa MajestÊ qui peut lui avoir dÊrobÊ les deux ferrets que voici. " Le roi regarda le cardinal comme pour l'interroger ; mais il n'eut le temps de lui adresser aucune question : un cri d'admiration sortit de toutes les bouches. Si le roi semblait le premier gentilhomme de son royaume, la reine Êtait Á coup sÙr la plus belle femme de France. Il est vrai que sa toilette de chasseresse lui allait Á merveille ; elle avait un chapeau de feutre avec des plumes bleues, un surtout en velours gris perle rattachÊ avec des agrafes de diamants, et une jupe de satin bleu toute brodÊe d'argent. Sur son Êpaule gauche Êtincelaient les ferrets soutenus par un noeud de mËme couleur que les plumes et la jupe. Le roi tressaillit de joie et le cardinal de colÉre ; cependant, distants comme ils l'Êtaient de la reine, ils ne pouvaient compter les ferrets ; la reine les avait, seulement en avait-elle dix ou en avait-elle douze ? En ce moment, les violons sonnÉrent le signal du ballet. Le roi s'avanÚa vers Mme la prÊsidente, avec laquelle il devait danser, et S. A. R. Monsieur avec la reine. On se mit en place, et le ballet commenÚa. Le roi figurait en face de la reine, et chaque fois qu'il passait prÉs d'elle, il dÊvorait du regard ces ferrets, dont il ne pouvait savoir le compte. Une sueur froide couvrait le front du cardinal. Le ballet dura une heure ; il avait seize entrÊes. Le ballet finit au milieu des applaudissements de toute la salle, chacun reconduisit sa dame Á sa place ; mais le roi profita du privilÉge qu'il avait de laisser la sienne oÝ il se trouvait, pour s'avancer vivement vers la reine. " Je vous remercie, Madame, lui dit-il, de la dÊfÊrence que vous avez montrÊe pour mes dÊsirs, mais je crois qu'il vous manque deux ferrets, et je vous les rapporte. " A ces mots, il tendit Á la reine les deux ferrets que lui avait remis le cardinal. " Comment, Sire ! s'Êcria la jeune reine jouant la surprise, vous m'en donnez encore deux autres ; mais alors, cela m'en fera donc quatorze ? " En effet, le roi compta, et les douze ferrets se trouvÉrent sur l'Êpaule de Sa MajestÊ. Le roi appela le cardinal : " Eh bien, que signifie cela, Monsieur le cardinal ? demanda le roi d'un ton sÊvÉre. -- Cela signifie, Sire, rÊpondit le cardinal, que je dÊsirais faire accepter ces deux ferrets Á Sa MajestÊ, et que n'osant les lui offrir moi-mËme, j'ai adoptÊ ce moyen. -- Et j'en suis d'autant plus reconnaissante Á Votre Eminence, rÊpondit Anne d'Autriche avec un sourire qui prouvait qu'elle n'Êtait pas dupe de cette ingÊnieuse galanterie, que je suis certaine que ces deux ferrets vous coÙtent aussi cher Á eux seuls que les douze autres ont coÙtÊ Á Sa MajestÊ. " Puis, ayant saluÊ le roi et le cardinal, la reine reprit le chemin de la chambre oÝ elle s'Êtait habillÊe et oÝ elle devait se dÊvËtir. L'attention que nous avons ÊtÊ obligÊs de donner pendant le commencement de ce chapitre aux personnages illustres que nous y avons introduits nous a ÊcartÊs un instant de celui Á qui Anne d'Autriche devait le triomphe inouÐ qu'elle venait de remporter sur le cardinal, et qui, confondu, ignorÊ, perdu dans la foule entassÊe Á l'une des portes, regardait de lÁ cette scÉne comprÊhensible seulement pour quatre personnes : le roi, la reine, Son Eminence et lui. La reine venait de regagner sa chambre, et d'Artagnan s'apprËtait Á se retirer, lorsqu'il sentit qu'on lui touchait lÊgÉrement l'Êpaule ; il se retourna, et vit une jeune femme qui lui faisait signe de la suivre. Cette jeune femme avait le visage couvert d'un loup de velours noir, mais malgrÊ cette prÊcaution, qui, au reste, Êtait bien plutÆt prise pour les autres que pour lui, il reconnut Á l'instant mËme son guide ordinaire, la lÊgÉre et spirituelle Mme Bonacieux. La veille ils s'Êtaient vus Á peine chez le suisse Germain, oÝ d'Artagnan l'avait fait demander. La h×te qu'avait la jeune femme de porter Á la reine cette excellente nouvelle de l'heureux retour de son messager fit que les deux amants ÊchangÉrent Á peine quelques paroles. D'Artagnan suivit donc Mme Bonacieux, mÙ par un double sentiment, l'amour et la curiositÊ. Pendant toute la route, et Á mesure que les corridors devenaient plus dÊserts, d'Artagnan voulait arrËter la jeune femme, la saisir, la contempler, ne fÙt-ce qu'un instant ; mais, vive comme un oiseau, elle glissait toujours entre ses mains, et lorsqu'il voulait parler, son doigt ramenÊ sur sa bouche avec un petit geste impÊratif plein de charme lui rappelait qu'il Êtait sous l'empire d'une puissance Á laquelle il devait aveuglÊment obÊir, et qui lui interdisait jusqu'Á la plus lÊgÉre plainte ; enfin, aprÉs une minute ou deux de tours et de dÊtours, Mme Bonacieux ouvrit une porte et introduisit le jeune homme dans un cabinet tout Á fait obscur. LÁ elle lui fit un nouveau signe de mutisme, et ouvrant une seconde porte cachÊe par une tapisserie dont les ouvertures rÊpandirent tout Á coup une vive lumiÉre, elle disparut. D'Artagnan demeura un instant immobile et se demandant oÝ il Êtait, mais bientÆt un rayon de lumiÉre qui pÊnÊtrait par cette chambre, l'air chaud et parfumÊ qui arrivait jusqu'Á lui, la conversation de deux ou trois femmes, au langage Á la fois respectueux et ÊlÊgant, le mot de MajestÊ plusieurs fois rÊpÊtÊ, lui indiquÉrent clairement qu'il Êtait dans un cabinet attenant Á la chambre de la reine. Le jeune homme se tint dans l'ombre et attendit. La reine paraissait gaie et heureuse, ce qui semblait fort Êtonner les personnes qui l'entouraient, et qui avaient au contraire l'habitude de la voir presque toujours soucieuse. La reine rejetait ce sentiment joyeux sur la beautÊ de la fËte, sur le plaisir que lui avait fait Êprouver le ballet, et comme il n'est pas permis de contredire une reine, qu'elle sourie ou qu'elle pleure, chacun renchÊrissait sur la galanterie de MM. les Êchevins de la ville de Paris. Quoique d'Artagnan ne connÙt point la reine, il distingua sa voix des autres voix, d'abord Á un lÊger accent Êtranger, puis Á ce sentiment de domination naturellement empreint dans toutes les paroles souveraines. Il l'entendait s'approcher et s'Êloigner de cette porte ouverte, et deux ou trois fois il vit mËme l'ombre d'un corps intercepter la lumiÉre. Enfin, tout Á coup une main et un bras adorables de forme et de blancheur passÉrent Á travers la tapisserie ; d'Artagnan comprit que c'Êtait sa rÊcompense : il se jeta Á genoux, saisit cette main et appuya respectueusement ses lÉvres ; puis cette main se retira laissant dans les siennes un objet qu'il reconnut pour Ëtre une bague ; aussitÆt la porte se referma, et d'Artagnan se retrouva dans la plus complÉte obscuritÊ. D'Artagnan mit la bague Á son doigt et attendit de nouveau ; il Êtait Êvident que tout n'Êtait pas fini encore. AprÉs la rÊcompense de son dÊvouement venait la rÊcompense de son amour. D'ailleurs, le ballet Êtait dansÊ, mais la soirÊe Êtait Á peine commencÊe : on soupait Á trois heures, et l'horloge Saint-Jean, depuis quelque temps dÊjÁ, avait sonnÊ deux heures trois quarts. En effet, peu Á peu le bruit des voix diminua dans la chambre voisine ; puis on l'entendit s'Êloigner ; puis la porte du cabinet oÝ Êtait d'Artagnan se rouvrit, et Mme Bonacieux s'y ÊlanÚa. " Vous, enfin ! s'Êcria d'Artagnan. -- Silence ! dit la jeune femme en appuyant sa main sur les lÉvres du jeune homme : silence ! et allez-vous-en par oÝ vous Ëtes venu. -- Mais oÝ et quand vous reverrai-je ? s'Êcria d'Artagnan. -- Un billet que vous trouverez en rentrant vous le dira. Partez, partez ! " Et Á ces mots elle ouvrit la porte du corridor et poussa d'Artagnan hors du cabinet. D'Artagnan obÊit comme un enfant, sans rÊsistance et sans objection aucune, ce qui prouve qu'il Êtait bien rÊellement amoureux. CHAPITRE XXIII. LE RENDEZ-VOUS D'Artagnan revint chez lui tout courant, et quoiqu'il fÙt plus de trois heures du matin, et qu'il eÙt les plus mÊchants quartiers de Paris Á traverser, il ne fit aucune mauvaise rencontre. On sait qu'il y a un dieu pour les ivrognes et les amoureux. Il trouva la porte de son allÊe entrouverte, monta son escalier, et frappa doucement et d'une faÚon convenue entre lui et son laquais. Planchet, qu'il avait renvoyÊ deux heures auparavant de l'HÆtel de Ville en lui recommandant de l'attendre, vint lui ouvrir la porte. " Quelqu'un a-t-il apportÊ une lettre pour moi ? demanda vivement d'Artagnan. -- Personne n'a apportÊ de lettre, Monsieur, rÊpondit Planchet ; mais il y en a une qui est venue toute seule. -- Que veux-tu dire, imbÊcile ? -- Je veux dire qu'en rentrant, quoique j'eusse la clef de votre appartement dans ma poche et que cette clef ne m'eÙt point quittÊ, j'ai trouvÊ une lettre sur le tapis vert de la table, dans votre chambre Á coucher. -- Et oÝ est cette lettre ? -- Je l'ai laissÊe oÝ elle Êtait, Monsieur. Il n'est pas naturel que les lettres entrent ainsi chez les gens. Si la fenËtre Êtait ouverte encore, ou seulement entreb×illÊe, je ne dis pas ; mais non, tout Êtait hermÊtiquement fermÊ. Monsieur, prenez garde, car il y a trÉs certainement quelque magie lÁ-dessous. " Pendant ce temps, le jeune homme s'ÊlanÚait dans la chambre et ouvrait la lettre ; elle Êtait de Mme Bonacieux, et conÚue en ces termes : " On a de vifs remerciements Á vous faire et Á vous transmettre. Trouvez-vous ce soir vers dix heures Á Saint-Cloud, en face du pavillon qui s'ÊlÉve Á l'angle de la maison de M. d'EstrÊes. " C. B. " En lisant cette lettre, d'Artagnan sentait son coeur se dilater et s'Êtreindre de ce doux spasme qui torture et caresse le coeur des amants. C'Êtait le premier billet qu'il recevait, c'Êtait le premier rendez-vous qui lui Êtait accordÊ. Son coeur, gonflÊ par l'ivresse de la joie, se sentait prËt Á dÊfaillir sur le seuil de ce paradis terrestre qu'on appelait l'amour. " Eh bien, Monsieur, dit Planchet, qui avait vu son maÏtre rougir et p×lir successivement ; Eh bien, n'est-ce pas que j'avais devinÊ juste et que c'est quelque mÊchante affaire ? -- Tu te trompes, Planchet, rÊpondit d'Artagnan, et la preuve, c'est que voici un Êcu pour que tu boives Á ma santÊ. -- Je remercie Monsieur de l'Êcu qu'il me donne, et je lui promets de suivre exactement ses instructions ; mais il n'en est pas moins vrai que les lettres qui entrent ainsi dans les maisons fermÊes... -- Tombent du ciel, mon ami, tombent du ciel. -- Alors, Monsieur est content ? demanda Planchet. -- Mon cher Planchet, je suis le plus heureux des hommes ! -- Et je puis profiter du bonheur de Monsieur pour aller me coucher ? -- Oui, va. -- Que toutes les bÊnÊdictions du Ciel tombent sur Monsieur, mais il n'en est pas moins vrai que cette lettre... " Et Planchet se retira en secouant la tËte avec un air de doute que n'Êtait point parvenue Á effacer entiÉrement la libÊralitÊ de d'Artagnan. RestÊ seul, d'Artagnan lut et relut son billet, puis il baisa et rebaisa vingt fois ces lignes tracÊes par la main de sa belle maÏtresse. Enfin il se coucha, s'endormit et fit des rËves d'or. A sept heures du matin, il se leva et appela Planchet, qui, au second appel, ouvrit la porte, le visage encore mal nettoyÊ des inquiÊtudes de la veille. " Planchet, lui dit d'Artagnan, je sors pour toute la journÊe peut-Ëtre ; tu es donc libre jusqu'Á sept heures du soir ; mais, Á sept heures du soir, tiens-toi prËt avec deux chevaux. -- Allons ! dit Planchet, il paraÏt que nous allons encore nous faire traverser la peau en plusieurs endroits. -- Tu prendras ton mousqueton et tes pistolets. -- Eh bien, que disais-je ? s'Êcria Planchet. LÁ, j'en Êtais sÙr ;, maudite lettre ! -- Mais rassure-toi donc, imbÊcile, il s'agit tout simplement d'une partie de plaisir. -- Oui ! comme les voyages d'agrÊment de l'autre jour, oÝ il pleuvait des balles et oÝ il poussait des chausse-trapes. -- Au reste, si vous avez peur, Monsieur Planchet, reprit d'Artagnan, j'irai sans vous ; j'aime mieux voyager seul que d'avoir un compagnon qui tremble. -- Monsieur me fait injure, dit Planchet ; il me semblait cependant qu'il m'avait vu Á l'oeuvre. -- Oui, mais j'ai cru que tu avais usÊ tout ton courage d'une seule fois. -- Monsieur verra que dans l'occasion il m'en reste encore ; seulement je prie Monsieur de ne pas trop le prodiguer, s'il veut qu'il m'en reste longtemps. -- Crois-tu en avoir encore une certaine somme Á dÊpenser ce soir ? -- Je l'espÉre : -- Eh bien, je compte sur toi. -- A l'heure dite, je serai prËt ; seulement je croyais que Monsieur n'avait qu'un cheval Á l'Êcurie des gardes. -- Peut-Ëtre n'y en a-t-il qu'un encore dans ce moment-ci, mais ce soir il y en aura quatre. -- Il paraÏt que notre voyage Êtait un voyage de remonte ? -- Justement " , dit d'Artagnan. Et ayant fait Á Planchet un dernier geste de recommandation, il sortit. M. Bonacieux Êtait sur sa porte. L'intention de d'Artagnan Êtait de passer outre, sans parler au digne mercier ; mais celui-ci fit un salut si doux et si bÊnin, que force fut Á son locataire non seulement de le lui rendre, mais encore de lier conversation avec lui. Comment d'ailleurs ne pas avoir un peu de condescendance pour un mari dont la femme vous a donnÊ un rendez-vous le soir mËme Á Saint-Cloud, en face du pavillon de M. d'EstrÊes ! D'Artagnan s'approcha de l'air le plus aimable qu'il put prendre. La conversation tomba tout naturellement sur l'incarcÊration du pauvre homme. M. Bonacieux, qui ignorait que d'Artagnan eÙt entendu sa conversation avec l'inconnu de Meung, raconta Á son jeune locataire les persÊcutions de ce monstre de M. de Laffemas, qu'il ne cessa de qualifier pendant tout son rÊcit du titre de bourreau du cardinal et s'Êtendit longuement sur la Bastille, les verrous, les guichets, les soupiraux, les grilles et les instruments de torture. D'Artagnan l'Êcouta avec une complaisance exemplaire ; puis, lorsqu'il eut fini : " Et Mme Bonacieux, dit-il enfin savez-vous qui l'avait enlevÊe ? car je n'oublie pas que c'est Á cette circonstance f×cheuse que je dois le bonheur d'avoir fait votre connaissance. -- Ah ! dit M. Bonacieux, ils se sont bien gardÊs de me le dire, et ma femme de son cÆtÊ m'a jurÊ ses grands dieux qu'elle ne le savait pas. Mais vous-mËme, continua M. Bonacieux d'un ton de bonhomie parfaite, qu'Ëtes-vous devenu tous ces jours passÊs ? je ne vous ai vu, ni vous ni vos amis, et ce n'est pas sur le pavÊ de Paris, je pense, que vous avez ramassÊ toute la poussiÉre que Planchet Êpoussetait hier sur vos bottes. -- Vous avez raison, mon cher Monsieur Bonacieux, mes amis et moi nous avons fait un petit voyage. -- Loin d'ici ? -- Oh ! mon Dieu non, Á une quarantaine de lieues seulement ; nous avons ÊtÊ conduire M. Athos aux eaux de Forges, oÝ mes amis sont restÊs. -- Et vous Ëtes revenu, vous, n'est-ce pas ? reprit M. Bonacieux en donnant Á sa physionomie son air le plus malin. Un beau garÚon comme vous n'obtient pas de longs congÊs de sa maÏtresse, et nous Êtions impatiemment attendu Á Paris, n'est-ce pas ? -- Ma foi, dit en riant le jeune homme, je vous l'avoue, d'autant mieux, mon cher Monsieur Bonacieux, que je vois qu'on ne peut rien vous cacher. Oui, j'Êtais attendu, et bien impatiemment, je vous en rÊponds. " Un lÊger nuage passa sur le front de Bonacieux, mais si lÊger, que d'Artagnan ne s'en aperÚut pas. " Et nous allons Ëtre rÊcompensÊ de notre diligence ? continua le mercier avec une lÊgÉre altÊration dans la voix, altÊration que d'Artagnan ne remarqua pas plus qu'il n'avait fait du nuage momentanÊ qui, un instant auparavant, avait assombri la figure du digne homme. -- Ah ! faites donc le bon apÆtre ! dit en riant d'Artagnan. -- Non, ce que je vous en dis, reprit Bonacieux, c'est seulement pour savoir si nous rentrons tard. -- Pourquoi cette question, mon cher hÆte ? demanda d'Artagnan ; est- ce que vous comptez m'attendre ? -- Non, c'est que depuis mon arrestation et le vol qui a ÊtÊ commis chez moi, je m'effraie chaque fois que j'entends ouvrir une porte, et surtout la nuit. Dame, que voulez-vous ! je ne suis point homme d'ÊpÊe, moi ! -- Eh bien, ne vous effrayez pas si je rentre Á une heure, Á deux ou trois heures du matin ; si je ne rentre pas du tout, ne vous effrayez pas encore. " Cette fois, Bonacieux devint si p×le, que d'Artagnan ne put faire autrement que de s'en apercevoir, et lui demanda ce qu'il avait. " Rien, rÊpondit Bonacieux, rien. Depuis mes malheurs seulement, je suis sujet Á des faiblesses qui me prennent tout Á coup, et je viens de me sentir pa